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Regard critique · Justice sociale

Genre

L’entrepreneuriat alternatif au féminin

Les femmes sont peu valorisées dans le monde de l’entrepreneuriat. L’économie sociale reste, elle aussi, souvent dans l’ombre. Le projet Women Coop met en lumière les forces de l’entrepreneuriat alternatif au féminin et ses bienfaits, pour les femmes, la collectivité, la société.

14-03-2018 Alter Échos n° 461
Pour agir à contre-courant des clichés et des discours ambiants, Women Coop mise sur les forces des femmes actives dans le monde de l’entreprise. (c) Unsplash/Alexis Brown

Les femmes sont peu valorisées dans le monde de l’entrepreneuriat. L’économie sociale reste, elle aussi, souvent dans l’ombre. Le projet Women Coop met en lumière les forces de l’entrepreneuriat alternatif au féminin et ses bienfaits, pour les femmes, la collectivité, la société.

L’entreprise, une affaire d’hommes? Femmes et entrepreneuriat, un couple dissonant? Légion sont les stéréotypes de genre qui affublent les femmes d’un manque d’ambition professionnelle et les hommes d’une capacité quasi «innée» d’entreprendre. Face aux discours englués de clichés en tout genre, le programme Women Coop sensibilise à la notion de genre dans l’entrepreneuriat. À la manœuvre: la coopérative d’argent solidaire Crédal et ses deux partenaires Step Entreprendre et Groupe One. Tous trois actifs dans le soutien à l’entrepreneuriat, ces organismes encouragent les modèles économiques alternatifs, empreints d’économie sociale, solidaire et durable. En toute cohérence, le projet Women Coop invite lui aussi à entreprendre autrement et plus particulièrement sur la base du modèle coopératif(1).

«Lorsqu’on évoque la question du genre, le réflexe des structures d’accompagnement est de croire qu’on leur demande de différencier la manière d’accompagner les hommes et les femmes et, donc, de renforcer les clivages.», Delphine Stévens, codirectrice de Step Entreprendre

Women Coop vise à inspirer et à outiller les femmes, (futures) entrepreneures, travailleuses dans des coopératives, actrices du monde de l’entreprise… Il s’adresse aussi aux agences-conseil, guichets d’entreprises, organismes de microfinance et autres structures qui accompagnent les projets d’entreprises. Des milieux où, comme ailleurs, la notion de genre est souvent soit inexistante, soit mal interprétée. «Lorsqu’on évoque la question du genre, le réflexe des structures d’accompagnement est de croire qu’on leur demande de différencier la manière d’accompagner les hommes et les femmes et, donc, de renforcer les clivages, fait remarquer Delphine Stévens, codirectrice de Step Entreprendre. L’idée de Women Coop est de susciter un questionnement sur la notion de genre, d’amener la réflexion, de déconstruire certains clichés, pour que les accompagnateurs acquièrent davantage de compétences et de connaissances sur le sujet. À eux, ensuite, de se forger une opinion et de remettre les choses en perspective dans le cadre de leurs activités.»

Évacuer les «problèmes»

À l’origine de Women Coop, une série de constats sur l’entrepreneuriat au féminin et sur ses représentations. «L’entrepreneuriat au féminin est trop souvent présenté comme un problème, explique Marie Ledent, coordinatrice de Crédal Accompagnement. Les discours ambiants véhiculent l’idée qu’il n’y a pas assez de femmes entrepreneures, qu’elles manquent d’ambition, ne voient pas les choses en termes de croissance, ne créent pas assez d’emplois, prennent peu de risques, sont peu innovantes… La conciliation vie privée/vie professionnelle est également souvent vue comme un frein.» Un amas d’idées reçues qui ne collent pas avec les réalités de terrain rencontrées par Crédal, Step Entreprendre et Groupe One. Quotidiennement, ces structures accompagnent des femmes mues par la volonté d’entreprendre, de monter leur projet. «On constate que les femmes n’ont pas peur des risques. Elles préparent bien leurs projets, elles sont prudentes. Quand elles présentent des chiffres, elles le font de manière concrète et réaliste. Mais cette prudence joue parfois en leur défaveur. Beaucoup de femmes ont le sentiment de ne pas être prises au sérieux, notamment lorsqu’elles présentent leur plan financier auprès des banques.»

«Des études montrent que les femmes vont entreprendre autrement, en travaillant de manière collaborative, plutôt que compétitive.», Marie Ledent, coordinatrice de Crédal Accompagnement

À l’heure où le vaste monde de l’entreprise reste une affaire d’hommes, les femmes sont toujours en proie aux discriminations. Elles sont minoritaires dans les autorités décisionnelles et sous-représentées aux postes à responsabilités. Elles sont moins bien payées (8% d’écart salarial entre hommes et femmes, 20% sur une base annuelle et en tenant compte des temps partiels). Les femmes créent aussi moins d’entreprises que les hommes (70% des indépendants en Belgique sont des hommes). «C’est une réalité, souligne Marie Ledent. Et cela s’explique par toute une série de facteurs, comme la répartition des rôles entre les hommes et les femmes dans la société. Les femmes restent davantage responsables de la sphère privée que de la sphère publique.»

Miser sur les forces

Pour agir à contre-courant des clichés et des discours ambiants, Women Coop mise sur les forces des femmes actives dans le monde de l’entreprise. «On constate que les femmes utilisent leur objet d’entreprise comme un outil pour réinventer leur vie professionnelle et personnelle, poursuit la coordinatrice de Crédal. Des études montrent aussi qu’elles vont entreprendre autrement, en travaillant de manière collaborative, plutôt que compétitive. Leur leadership dans un groupe est généralement plus participatif et plus démocratique. L’entreprise peut donc être un levier pour les femmes, afin qu’elles reprennent du pouvoir sur leur vie, mais aussi pour changer des choses dans la société.»

Économie sociale, coopératives, projets solidaires et durables sont autant de modèles alternatifs qui attirent les femmes. C’est en tout cas le constat partagé par les initiateurs et partenaires de Women Coop. Pourtant, ces formes alternatives d’entrepreneuriat sont souvent méconnues et peu valorisées. L’un des défis de Women Coop est précisément de les sortir de l’ombre. «Dans les médias économiques notamment, un certain entrepreneuriat – qui pourrait être qualifié de ‘masculin’ – est montré comme la norme à atteindre. Par ailleurs, le modèle économique dominant et mis en avant est générateur d’une inégalité dans la répartition des richesses, mise sur la compétition et provoque de l’exclusion, remarque Marie Ledent. Les petites entreprises, les entreprises sociales, les coopératives, sont quant à elles peu rendues visibles. La société aurait pourtant tout intérêt à encourager des modèles économiques alternatifs qui favorisent le bien-être collectif. Ces modèles sont porteurs d’innovation sociale, les femmes y sont performantes et les hommes s’y reconnaissent également.» Et, dans cette affaire-là, tout le monde y gagne.

Quatre rendez-vous
Concrètement, Women Coop, ce sont quatre événements gratuits, à la fois liés et indépendants, proposant des conférences, ateliers, animations et/ou témoignages de femmes. Un premier événement s’est tenu à Namur en février, autour du modèle coopératif comme moyen d’empowerment (autonomisation) pour les femmes. Trois autres événements auront lieu à Liège (21/03 – outils genre), Louvain-la-Neuve (24/4 – femmes et gouvernance) et Braine-le-Comte (24/5 – opportunités et défis). L’équipe de Women Coop a également dressé 16 portraits de femmes entrepreneures ou actives dans le secteur coopératif. Ces portraits seront dévoilés d’ici à la fin juin sur www.womencoop.info. Sur ce site, découvrez le programme complet des événements ainsi que différents outils sur l’entrepreneuriat au féminin au travers du prisme coopératif.

(1) Les coopératives à finalité sociale répondent à un besoin collectif, les décisions y sont prises de manière démocratique (un homme/une femme = une voix), les bénéfices sont majoritairement investis dans l’activité au bénéfice de toutes et tous.

En savoir plus

www.womencoop.info

Lire le dossier «Familles et droit: la loi du genre», Alter Échos, n°456-457, 19 décembre 2017.

Céline Teret

Céline Teret

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