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Regard critique · Justice sociale

Panpan Culture

«L’Époque» : les jeunes après Charlie

Avec son premier long-métrage «L’époque», le jeune réalisateur Matthieu Bareyre, accompagné de l’ingénieur du son Thibaut Dufait, sonde ce moment particulier des 18-25 ans, où «l’on se pose des questions fondamentales: est-ce qu’on accepte le monde dont on hérite ou est-ce qu’on prend le temps de l’interroger?» Entre 2015 et 2017, au hasard de ses déambulations nocturnes, il rencontre des jeunes et en fait émerger un patchwork de rêves et de désespoirs, de passions et de peurs.

Avec son premier long-métrage L’époque, le jeune réalisateur Matthieu Bareyre, accompagné de l’ingénieur du son Thibaut Dufait, sonde ce moment particulier des 18-25 ans, où «l’on se pose des questions fondamentales: est-ce qu’on accepte le monde dont on hérite ou est-ce qu’on prend le temps de l’interroger?» Entre 2015 et 2017, au hasard de ses déambulations nocturnes, il rencontre des jeunes et en fait émerger un patchwork de rêves et de désespoirs, de passions et de peurs.

LES POKS. «C’est le son que ça fait quand tu te prends un coup de matraque. C’est aussi le son des boucliers quand tu balances des bouteilles de verre dessus. POK. POK. POK. C’est aussi le son des mecs qui ont les crânes creux. C’est le son du crâne de Manuel Valls contre celui de Macron. C’est quoi d’autre, POK?», déclame Rose, rencontrée place de la République, qui interroge, tout au long du film, deux fondements de notre société: l’argent et la carte d’identité.

L’Époque est un collage d’images, de sons, de lumières nocturnes, mais aussi de tranches de vie, d’émotions et d’énergies qui ne se libèrent que dans l’opacité de la nuit. «Si, depuis Nocturnes (son premier film, moyen-métrage, une plongée dans les nocturnes de l’hippodrome de Vincennes, NDLR), j’ai choisi d’explorer la nuit, c’est parce que je sentais qu’elle seule pouvait m’offrir ce que je cherchais à filmer: des formes de libération. Je tenais à ce que les jeunes me parlent de ce qui s’agite en eux: leurs sentiments, leurs impressions, leurs rêves, leurs cauchemars, leurs émotions, leurs doutes, leurs questionnements – toutes ces énergies qui ont besoin de s’exprimer et qui forment notre monde intérieur», explique Matthieu Bareyre, qui a effectué, dans le Paris de l’après-Charlie jusqu’aux élections présidentielles, un voyage nocturne aux côtés des jeunes qui ne dorment pas1.

Ce matin-là, plusieurs affaires sont remises faute d’avocats. Ce qui semble énerver la magistrate : « Bah, les prévenus peuvent aussi se défendre tout sels, non ?! »

Dans une ambiance musicale où se relayent La follia (sonate en ré mineur) de Vivaldi, le DJ set de Soall et les raps de FaTyO, SWIP et DAKS le VRAI, on oscille entre ambiances festives et de révolte, entre amour, joie, peurs et violence. Se succèdent scènes de soirées fébriles, d’errements éthyliques donnant lieu à des danses fantasmagoriques sur les pavés de la capitale française et tableaux d’une révolte grondante se déversant sur ces mêmes pavés alors que des jeunes se réunissent pour protester contre la réforme du code du travail portée par la ministre Myriam El Khomri. «J’ai eu l’idée du film juste après les attentats de Charlie Hebdo, se remémore le réalisateur. J’habitais près des événements et, comme beaucoup, j’ai vécu Charlie comme un moment de bascule, avec le sentiment inquiet qu’une nouvelle ère politique s’ouvrait. Les mois à venir s’annonçaient sombres et je n’avais pas du tout envie d’en être le spectateur impuissant. Je voulais trouver une manière de tout vivre de plain-pied. Plonger dans la nuit noire, avec l’espoir d’y trouver quelques lueurs. Quelques jours plus tard, j’ai trouvé le titre, L’Époque, comme une question que je me posais et que je voulais poser aux autres.»

Dans son film, Matthieu Bareyre palpe les angoisses qui empêchent de trouver le sommeil et font grincer des dents. Il interroge les rêves – d’impuissance ou de résistance – et les pleurs et rires qu’ils suscitent. Il dévoile les passions, celles de la musique et de l’amour, qui rendent tout possible, qui peuvent, l’un comme l’autre, «emmener au bout de la terre», comme l’affirme avec fougue DJ Soall, première rencontre du réalisateur.

Entre les rêves et questionnements propres à la jeunesse (les études, le travail, l’amour, la famille, l’avenir), un fil rouge se glisse à intervalles réguliers: la relation que cette jeunesse entretient avec une France marquée au fer rouge par son histoire coloniale, par les discriminations, par la ghettoïsation. Une relation qui prend corps dans le manège de provocation et d’intimidation se jouant avec les représentants de cette «politique toute-puissante»: la police. La police est filmée et refilmée tout au long du long-métrage. Regards menaçants cachés derrière des masques de RoboCop, gamins menottés et tabassés, jeu de rivalité entre la caméra du réalisateur et celle d’un flic en train de le filmer.

Devant les justices de paix, il est de tradition que des parties viennent se défendre seules

Face aux représentants de l’ordre, le Black Block, en première ligne contre la loi Travail et en marge de la COP21, malgré l’interdiction de manifestation instaurée par l’état d’urgence. Le parti pris de Matthieu Bareyre est de s’élancer et de se joindre au mouvement afin «d’épouser visuellement leur point de vue». Derrière les certitudes, dont les masques des manifestants semblent être les témoins, des doutes s’échappent dans les volutes des fumigènes: «J’ai une addiction à la violence et au sbeul (désordre, NDLR), confie l’une des protestataires. Ça joue beaucoup sur ce qui me fait continuer. C’est un peu flippant surtout pour quelqu’un qui a beaucoup d’estime pour la théorie, la philosophie. Je ne sais pas très bien ce qu’il y a derrière…»

Matthieu Bareyre a croisé le chemin de jeunes issus de tous milieux sociaux – étudiants en école de commerce ou en sciences po, jeunes de banlieues, travailleurs, chômeurs, dealers… – sans prendre position, sans tenter d’analyser, de décrypter, mais plutôt en captant les émotions, nous livrant ainsi des portraits de jeunes «dans ce qu’ils ont d’irréductiblement singulier».

«L’époque, on est dedans, c’est un état de fait, c’est un cadre, mais c’est aussi un chaos indescriptible, un magma dans lequel tout le monde s’enlise. On ne peut pas regarder son époque comme un objet distinct. Ce qui importe, c’est l’effort, c’est le mouvement par lequel on se dit ‘je vais essayer de regarder dans quoi on est’. Mais, moi qui regarde, j’y suis autant que celui qui est regardé.» Matthieu Bareyre et son compagnon ingénieur du son ont mêlé leurs vies avec celles des jeunes qu’ils ont rencontrés, faisant de ce film une sorte «d’expérience totale» afin de «sauvegarder des images qui puissent résister un peu au passage du temps».

 

L’Époque. Un film documentaire réalisé par Matthieu Bareyre, 2018, FR, 94′, VO FR, Artisans du Film/Co-Production: ADF L’Atelier et Alter Ego Production.

Au cinéma Nova à Bruxelles: 12/9 à 20 h + 20/9 à 22 h + 29/9 à 19 h + 3/10 à 20 h + 11/10 à 22 h + 18/10 à 20 heures.

 

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  1. Les citations de Matthieu Bareyre sont issues du dossier de presse, propos recueillis par Elsa Charbit.
Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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