Mauvais bulletin pour la plupart des pays européens, qui voient la note de leur dette dégradée, ou menacée de l’être si leurs décideurs ne font rien pour enrayer les tendances. L’agence Standard and Poor’s en particulier, confirmait les alertes qu’elle avait émises (tiens! tiens!) juste avant le sommet européen de début décembre supposé entamer le grand redressement économique et budgétaire de l’Union.
Le Royaume-Uni, lui, garde son triple A, et donc une dette publique bon marché, alors qu’il a opté pour des politiques de relance peu coûteuses pour l’Etat. C’est une véritable prime au plus haut taux de chômage depuis 17 ans, à des privatisations accrues de l’enseignement et de la santé, etc. Un bon point pour ne pas avoir intégré l’euro.
Il est des économistes et des banquiers, gens pourtant doués pour le politiquement correct, qui affirment qu’on nage en plein délire avec ce mécanisme consistant à baser désormais toute appréciation de la valeur d’un produit financier sur les rapports de trois agences de notation, qui ont plus d’une fois montré leur manque flagrant de clairvoyance, en particulier en envoyant les investisseurs en rangs serrés parier sur les subprime. Rien que pour cela, on aurait pu leur attribuer un triple C (« Ultra spéculatif »).
Le fonctionnement du marché que nous ont vendu ces économistes depuis Adam Smith faisait le pari d’acteurs économiques rationnels, c’est-à-dire doués de capacités de discernement autonomes, et qui s’ils prenaient éventuellement les mêmes décisions, ne le faisaient pas tous en même temps. Désormais, la finance pousse-bouton ressemble à un canot sur une grosse mer : si les passagers se déplacent tous sur le même bord, ils se retrouvent tous à la mer.
Mais le délire est encore plus patent quand on décode la dimension politique qui se dévoile dans la manière dont ces agences justifient leur pouvoir d’influence. Leur mission se retrouve tout entière dans cette petite phrase : « Nous établissons des diagnostics prospectifs, nous ne sommes pas des prescripteurs, plutôt des guides. »1 En d’autres mots : nous ne vous disons pas ce que vous devez faire, nous vous disons que vous devez vraiment faire quelque chose… Mais, peut-on vraiment faire confiance aux « guides »? L’Histoire a démontré qu’ils ne sont pas toujours sensés.
D’autant plus lorsque les « guides » assènent un « Nous avons voulu faire un geste fort pour signaler la gravité de la crise touchant la zone euro. » Donner un avis, poser une évaluation. Sachant bien sûr que cela n’induit jamais le principe du remède…
La démocratie, c’est une idée simple incompatible avec ces faux-semblants : c’est la maîtrise collective de son devenir par une société. C’est donc exactement l’inverse de cette indexation de toute décision politique sur un point de référence unique, inefficace, autiste et trompeur.
Dans le monde du travail, quelqu’un qui, d’une position d’autorité, vous dit tous les trois mois « Refais ton boulot, il est raté », alors que vous avez docilement suivi ses instructions tout en sachant qu’elles n’étaient pas praticables et qu’elles ne permettaient pas d’atteindre l’objectif annoncé, cela s’appelle du mobbing, du harcèlement moral. C’est bien la situation dans laquelle nous nous trouvons collectivement, avec les injonctions contradictoires de relancer la croissance tout en écrasant les dépenses publiques.
Les agences de notation sont un pouvoir consacré par les détenteurs de capitaux, pour les aider à faire moins d’erreurs dans le choix de leurs débiteurs. On ne sortira pas du cercle vicieux sans créer de contre-pouvoir, sans mettre en place une forme d’institution avocate des débiteurs, qui défende la majorité des contribuables contre la minorité des spéculateurs2. En attendant, la crise économique s’approfondit.
1. Voir l’interview de Jean-Michel Six, chef économiste Europe de Standard & Poor’s, dans les pages économiques du Monde du 7 décembre 2011.
2. Chez nous ce serait la Banque centrale européenne, émettrice de l’euro. Serait-ce là la raison pour laquelle elle est diabolisée par les agences?