La question énergétique touche aussi les agences immobilières sociales. Y répondre n’est guère aisé pour ces petites structures. Il faut convaincre lespropriétaires de réaliser des investissements efficients sur le plan énergétique, au bénéfice du locataire. Une gageure ! Onze AIS nous ont expliquéleurs pratiques de terrain. Mais elles ne ciblent pas seulement les propriétaires : elles s’adressent aussi aux locataires, comme nous vous l’expliquerons dans le prochain numérod’Alter Échos.
La plupart des logements AIS ont été pris en gestion à une époque où l’efficience énergétique des bâtiments n’était pas unepriorité. La libéralisation du marché du gaz et de l’électricité ainsi que la hausse des coûts de l’énergie ont changé la donne. Les facturesdes ménages les plus fragilisés grimpent en flèche.
Dans ce contexte, l’urgence n’est pas tant de lutter contre le réchauffement climatique mais bien d’apporter des réponses qui réduisent la facture énergétiquedes locataires… Encore faut-il qu’elles soient financièrement supportables par les propriétaires et que ceux-ci y voient leur intérêt.
La réalité du marché
« Quand je prends un logement en gestion, je ne vais pas le refuser sur la base d’une mauvaise isolation, surtout en ces temps de crise du logement », explique Isabelle Jennes,gestionnaire d’Iris à Bruxelles1. Rien ne résume mieux la situation que ce constat. Les AIS font avec ce que leur offre le marché.
« Quand on propose à un propriétaire la moitié du loyer qu’il veut obtenir, il est très difficile de lui demander, en plus, de faire des travaux, note MagaliCollignon, gestionnaire de Logement gestion Dinant-Philippeville2. Dans nos choix, nous restons attentifs à l’isolation, au mode de chauffage. Mais on fait aussi avec ce qu’il y asur le marché. Les priorités sont la salubrité et la sécurité, travaux qui priment sur l’efficience énergétique. » À Jette3,l’AIS ne s’attarde pas non plus à cet aspect. « On n’a pas de grosses transformations à effectuer au niveau du bâti ou au niveau énergétique, sauf exception,commente Olivier Blairon, le responsable technique. Récemment, on a eu deux appartements qui ont été entièrement rénovés : double vitrage avec hautcoefficient de rendement et chaudière à condensation à haut rendement. Mais, 70 à 80 % du parc locatif sont dotés de simples vitrages et de vieilleschaudières. Notre parc locatif se rénove comme celui d’un peu tout le monde : on attend que les chaudières soient en fin de vie… Même avec les primes, il y a peu dedemandes de la part des propriétaires. Il ne s’agit pas de mauvaise volonté : les coûts de rénovation chiffrent vite. Même s’ils confient leurs biens en gestion pourneuf ans et qu’ils bénéficient d’une réduction de précompte immobilier, les sous, il leur faut les sortir. Il faut compter 5 000 à 10 000 euros pour unerénovation. » Et ici aussi, les aspects sécurité et salubrité priment sur l’efficience énergétique.
Même son de cloche chez Joël Schallenbergh, responsable de Gestion logement Namur4, qui rappelle lui aussi la situation de « crise du logement à loyermodéré ». Pour lui – et nombre d’AIS partagent son point de vue – les propriétaires qui jouent le jeu en diminuant leurs loyers sont les pluscontrôlés du marché (permis de location, pompiers, etc.) et les avantages de diminution du précompte immobilier et les primes provinciales ne compensent pas les fraisengagés. Et de souligner un paradoxe : « À terme, les AIS se retrouveront avec des logements de qualité supérieure à la moyenne des logements, mais avec desloyers inférieurs à la moyenne. »
L’efficience énergétique préoccupe néanmoins les responsables d’AIS. « On ne peut pas mettre de côté cette problématique, d’autant qu’onassure un accompagnement social de locataires fragilisés », insiste Olivier Destrebecq, président de l’AIS Logicentre5 – et, depuis peu, Échevin duLogement (MR) à La Louvière. Pour Eric Damanet de Gestion logement Gembloux-Fosses6, la négociation s’établit aussi en fonction de l’efficienceénergétique et en fonction du loyer. Au sein de l’AIS d’Habitat et Rénovation à Ixelles7, Pierre Burton précise que « quand on prend un logement enlocation, on visite avec une architecte conseiller en rénovation. Cela permet de signaler au propriétaire qu’il peut avoir accès aux primes en passant par l’AIS, sinon il n’enbénéficiera pas. Par exemple, pour mettre en place des chaudières performantes, on signale au propriétaire qu’il peut bénéficier d’une double prime : uneà l’énergie et une autre à la rénovation. »
D’autres AIS ne se sont, en revanche, pas encore penchées sur le sujet. Yves Konen, gestionnaire de Liège Logement8 : « On est une petite équipe, on travailledéjà beaucoup sur la rénovation pour mettre aux normes de salubrité et de sécurité. Même si on est attentif aux aspects énergétiquesquand on prend un logement en gestion, on n’a pas encore poussé les propriétaires à se renseigner sur les primes régionales. En plus, cela risque d’entraîner desrépercussions à la hausse sur le loyer. » Sans compter la crainte que les propriétaires vendent : « J’ai perdu deux ou trois bâtiments cette année carles propriétaires en avaient marre de la législation. »
Pour Stéphane Gérard de l’AIS Nord Luxembourg9, « le problème est que l’on se tourne vers le propriétaire pour voir s’il est prêt àinvestir dans le logement sans augmenter son loyer. En toute logique, il se demande pourquoi investir si c’est uniquement le locataire qui en bénéficie. » Un constatpartagé par nombre de responsables d’AIS.
Suggérer lors de la négociation
Le défi est donc de convaincre le propriétaire de faire des investissements énergétiques. « On peut conseiller d’améliorer l’isolation ou le systèmede chauffage », note Catherine Lassoie, gestionnaire de l’AIS des Rivières10 à Saint-Ghislain. Cela peut se faire au début de la négociation ou pendant lapériode de gestion du logement. Mais il s’agit d’un travail de fourmi. Il serait en effet trop simpliste d’adopter une approche standardisée : il faut tenir compte de l’état dubâtiment, et puis un propriétaire n’est pas l’autre, et certain
s sont âgés aussi et ne veulent plus se compliquer la vie. Il faut donc sensibiliser, convaincre, et laconfiance est primordiale pour arriver à des résultats : inutile de vouloir forcer la main.
« S’il s’agit d’un logement ancien avec convecteurs à gaz, je dirai que cela ne correspond plus aux standards actuels, explique Isabelle Jennes d’Iris. Je suggèrerai aupropriétaire d’installer le chauffage central, tout en signalant qu’il y a des primes à la rénovation et que je peux récolter des devis auprès des entreprises. Maisil faut qu’il y ait une légitimité pour le propriétaire à faire des travaux. C’est lui qui décide in fine. Le but, c’est aussi d’avoir le logement, donc jene vais pas m’attarder sur du simple vitrage. »
Pierre Denis, de Logement pour tous11 à Anderlecht, procède selon la même approche : « On ne va pas refuser un logement mal isolé. On va le prendre eton va « travailler » le propriétaire. On l’appâte avec les primes à l’énergie, les primes de rénovation et la réduction d’impôts. Lors de lanégociation, l’efficience énergétique est un argument mais il faut que le propriétaire soit dans la confiance par rapport au travail de l’AIS. Et cette façon defaire fonctionne bien : on a, par exemple, mené une opération châssis dans le cadre d’un bail de neuf ans. Avec les primes, cela représente 30 % des frais réels pourle propriétaire. »
De son côté, Joël Schallenbergh cite l’exemple d’une convention passée avec le CPAS de Namur. « Les logements ont des châssis avec du simple vitrageimpeccable. J’ai accepté de les prendre en gestion mais j’ai annoncé au CPAS qu’il percevra un loyer inférieur, vu le surcoût au niveau énergétique pour lelocataire. En revanche, si on peut réduire la facture énergétique en faisant des investissements, alors l’AIS pourra proposer un loyer plus élevé au CPAS.»
Renégocier
Avec les logements déjà pris en gestion, l’attitude varie également. « Si les gens confient leur bien pour trois ans, nous avons peu de marges, explique Pierre Denis deLogement pour tous. Et c’est pareil pour ceux qui sont en fin de contrat de gestion de neuf ans. » Pour sa part, Eric Damanet de Gestion logement Gembloux-Fosses cite le cas d’unpropriétaire qui a accepté de faire des travaux pour améliorer l’efficience énergétique du bâtiment parce qu’il avait déjà travaillé avecl’AIS et lui faisait confiance. Il constate toutefois à quel point il est difficile de convaincre les propriétaires d’investir dans leur bâtiment, même en insistant sur lavalorisation de leur patrimoine. Même constat chez Joël Schallenbergh : « C’est vrai que ceux qui ont l’habitude de bosser avec les AIS sont déjà convaincus.Après deux ou trois ans de gestion, si j’arrive à leur démontrer que l’augmentation de la facture énergétique des locataires résulte de l’augmentation ducoût de l’énergie et pas de leur consommation, alors ils sont prêts à faire des travaux énergétiques. Sinon, je pointe le risque que les locataires partentailleurs dans le privé, où ils payeront un loyer plus cher mais où les charges énergétiques seront moins élevées. » Actuellement, l’AISnamuroise est en train de placer de nouveaux châssis dans 35 logements – sur un parc de 239.
De son côté, Isabelle Jennes propose aussi de faire des travaux d’efficience énergétique à ses propriétaires. « Souvent, c’est le raisonnementmathématique froid qui prime : quel sera le retour sur investissement ? Mais certains culpabilisent un peu ou prennent conscience de l’utilité de l’investissement, quand ils sontpropriétaires depuis longtemps. D’autres en parlent d’eux-mêmes, ils estiment que c’est de leur responsabilité. »
Des incitants qui se font désirer
Nombreux sont les incitants à investir dans l’efficience énergétique d’un logement. Qu’il s’agisse de primes à la rénovation, de primes énergie ou deréduction d’impôts, le retour sur investissement est réel, surtout quand on passe par le biais d’une AIS. Mais, cela ne couvre jamais l’entièreté des frais. Lepropriétaire doit mettre la main à la poche dans tous les cas. Et il faut avancer l’argent avant d’être remboursé par l’administration régionale pour les primes, parle fisc pour les avantages fiscaux.
« Il est difficile d’obtenir les aides, explique Yves Konen à Liège. Les documents sont lourds, comportent des points obscurs et les délais pour retoucher les primes sonttrop longs. » Un constat que ne dément pas Pierre Denis de Logement pour tous : « Les délais sont longs pour obtenir les primes et les permis. Il y a le risque que lepropriétaire se retire, découragé. » Et il y a de quoi. Joël Schallenbergh évoque le cas d’un bâtiment à Namur qui étaitdécoupé en six ou sept kots et avait dû être fermé : « Le propriétaire accepte de le transformer en trois appartements. Lors des travaux, ildécouvre de la mérule. Il contacte la Région qui lui annonce qu’il devra attendre sept à huit mois pour qu’on vérifie s’il a droit à la prime. Pour gagner dutemps, le propriétaire a décidé de prendre cela à sa charge. » Mais tous les propriétaires ne sont pas des mécènes. « Et puis, lespropriétaires se rendent compte aussi que s’ils demandent des primes, ils auront plus de contrôles », remarque Eric Damanet de gestion Logement Gembloux-Fosses.
Pistes financières et pistes techniques
Au vu de ces témoignages, réaliser des travaux énergétiques relève du défi. Le mieux est de les intégrer dans une rénovation globale dulogement. Mais, dans nombre d’AIS, on estime que les incitants actuels ne suffisent plus. Il faudrait mieux prendre en compte l’intérêt du propriétaire. Loin de déposer uncarnet de revendications, les AIS évoquent toutefois quelques pistes susceptibles de convaincre les propriétaires.
Ainsi, Stéphane Gérard de l’AIS Nord Luxembourg suggère-t-il d’offrir aux AIS la possibilité de recourir au Fonds de réduction pour le coût global del’énergie12 pour réaliser des travaux destinés à réduire la facture énergétique des locataires. Par ailleurs, il a déjàrecouru à trois reprises à la prime Mebar13 afin d’améliorer l’isolation de planchers et de greniers de logements. De son côté, Joël Schallenberghestime que les propriétaires de logements AIS devraient avoir droit à un bilan énergétique et un certificat énergétique gratuit. Dans la même logique,il propose de réduire le délai pour l’obtention des primes pour ces propriétaires-là – ce qui impliquerait de mieux dialoguer avec l’administration – et,pourquoi pas, de doubler les primes
pour les propriétaires qui s’engagent à confier leur logement pendant neuf ans à une AIS. Il est rejoint sur ce point par lesreprésentants de l’AIS Nord Luxembourg et de Gestion Logement Gembloux-Fosses. Olivier Blairon de l’AIS de Jette se demande s’il ne faudrait pas prévoir des incitants fiscauxsupplémentaires.
Par ailleurs, en Région wallonne, certains insistent sur la nécessité de créer un soutien technique pour les AIS sous la forme de pôles d’assistance ou detechniciens énergétiques. En Région de Bruxelles-Capitale, des travailleurs d’AIS possèdent déjà ces compétences. Habitat et rénovationtravaille avec une architecte conseiller en rénovation, qui s’est penchée sur l’impact, pour les AIS, de la directive européenne relative à la performanceénergétique des bâtiments (PEB). Chez Iris, Isabelle Jennes et son collègue ont, pour leur part, suivi une formation sur la consommation énergétique etl’isolation des bâtiments. Quant à Logement pour tous, il s’appuie sur l’expertise de l’asbl Rénovassistance, spécialisée dans la rénovation de logements pourpersonnes à faibles revenus.
Conclusion
Les AIS interrogées sont unanimes. Face à la crise du logement, trouver des logements non énergivores n’est pas leur priorité. Il faut d’abord convaincre despropriétaires de leur confier leur bien en échange d’un loyer modéré. Les seuls travaux obligatoires concernent les normes de sécurité et desalubrité.
Dès lors, pour ce qui concerne des améliorations sur le plan énergétique, les AIS doivent trouver d’autres arguments susceptibles de rencontrer l’intérêtdu propriétaire. Or, la diversité des logements et des propriétaires rend complexe cette approche, car il faut procéder au cas par cas. Les AIS peuvent donc difficilementapporter des réponses standardisées en matière de rénovation énergétique. Enfin, il faut aussi apprendre aux locataires à gérer leurconsommation, même si leur logement est convenablement isolé et équipé de chaudières à haut rendement. Ces aspects seront développés dans notreprochaine édition.
1. IRIS asbl/vzw :
– adresse : rue du Vieux Marché aux Grains, 20/10 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 514 18 49
– courriel : asbliris@freegates.be
2. AIS Logement gestion Dinant-Philippeville :
– adresse : rue Edouard Dupont, 8 à 5500 Dinant
– tél. : 082 22 64 94
– courriel : aislogdphi@skynet.be
3. AIS de Jette :
– adresse : Résidence Esseghem II, rue Jules Lahaye, 288 à 1090 Bruxelles
– tél. : 02 421 70 90
– courriel : info@ais-jette.be
4. Gestion logement Namur :
– adresse : rue Saint Nicolas, 71 à 5000 Namur
– tél. : 081 22 59 66
– courriel : gestionlogementnamur@skynet.be
5. Logicentre :
– adresse : rue Kéramis, 26 à 7100 La Louvière
– tél. : 064 27 80 22
– courriel : logicentre@lalouviere.be
6. Gestion logement Gembloux-Fosses :
– adresse : rue Victor Lagneaux, 40/1 à 5060 Tamines
– tél. : 071 74 33 74
– courriel : aisglgf@perso.be
7. AIS Habitat et rénovation :
– adresse : rue Sans-Souci, 110 A à 1050 Ixelles
– tél. : 02 639 60 16
– courriel :ais.hr@misc.irisnet.be
8. AIS Liège Logement :
– adresse : rue Velbruck, 4 à 4000 Liège
– tél. : 04 250 50 78
– courriel : liegelogement@skynet.be
9. AIS Nord Luxembourg :
– adresse : chaussée de Rochefort, 90 à 6900 Marloie
– tél. : 0497 13 98 51
– courriel : ais-nordlux@skynet.be
10. AIS des Rivières :
– adresse : Cité des Aubépines, 5 à 7330 Saint-Ghislain
– tél. : 065 61 19 07
– courriel : info@aisdesrivieres.be
11. Logement pour tous :
– adresse : rue du Chimiste, 34-36 bte 10 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 524 54 30
– courriel : lpt.izw@misc.irisnet.be
12. Le Fonds (fédéral) de réduction du coût global de l’énergie octroie aux personnes privées, des emprunts bon marché, destinés à laréalisation de travaux d’aménagement menant à une réduction des coûts énergétiques.
Il intervient également partiellement comme tiers-investisseur pour « le groupe cible des personnes les plus démunies ». Un fonds créé en 2006 mais quidémarre très lentement et est encore loin d’avoir fait ses preuves.
Site : www.frce.be
13. Prime wallonne destinée aux ménages dont les ressources sont inférieures ou égales au montant du revenu d’intégration majoré de 20 %, Mebar permetd’octroyer des primes de 1 365 euros maximum pour des investissement mobiliers (placement d’appareils de chauffage) ou immobiliers (travaux de menuiserie, d’isolation), favorisantl’utilisation rationnelle de l’énergie.