L’Onem va rappeler des travailleurs qu’il avait détachés auprès des ALE. Bientôt régionalisées, les agences locales pour l’emploi risquent-elles ainsi d’être vidées de leur substance avant transfert ? Régions et syndicats n’auraient été consultés qu’a posteriori. Et du côté des travailleurs, on s’inquiète.
Passé presque inaperçu, un amendement à la loi-programme du 22 mars 2012 voté par les partis de la majorité fédérale risque pourtant bien de semer une certaine zizanie dans les semaines qui viennent. Celui-ci stipule en effet que les ALE (agences locales pour l’emploi) pourront dorénavant être chargées par l’Onem « de la mission d’évaluer la recherche active d’emploi des chômeurs indemnisés ou des chômeurs qui sont inscrits en tant que jeunes diplômés à la recherche d’un premier emploi en vue d’obtenir une allocation d’insertion ». Dans ce contexte, l’Onem pourra ainsi « charger les membres du personnel qui (…) ont été mis par lui à la disposition de l’agence locale pour l’emploi (…) de la mission d’évaluer la recherche active d’emploi (…) » de ce même public.
En d’autres mots, des travailleurs engagés par l’Onem, mais détachés auprès des ALE pour les aider dans leur travail d’accompagnement des chômeurs vont être rappelés (ou sont déjà en train de l’être, selon certains) vers l’Onem pour effectuer un travail de facilitateur auprès des jeunes qui bénéficient d’allocations d’insertion, à un bémol près cependant : « L’objectif est que les agents ALE mènent les premiers entretiens d’évaluation avec les demandeurs d’emploi concernés. À ce stade, l’évaluation ne donne lieu à aucune sanction », a en effet précisé Monica De Coninck1 (SP.a), ministre fédérale de l’Emploi, dans une réponse à une question posée par Zoé Genot (Ecolo) en commission des affaires sociales du 22 mai.
Notons également que d’après la ministre, seuls les agents ALE qui ont le profil pour procéder à ce genre d’évaluation seront, après une formation adéquate et analogue à celle des facilitateurs de l’Onem, impliqués dans la procédure d’évaluation. Les agents ALE procéderont à ces évaluations dans les locaux des bureaux de chômage de l’Onem et ne seront pas en contact avec les demandeurs d’emploi de la commune de leur ALE. Rayon chiffres, même si rien n’est encore officiel (les directions locales de l’Onem doivent dans un premier temps définir leurs besoins et dans un second temps s’entendre avec les présidents des ALE sur les personnes qui seront affectées à l’Onem), on parle de neuf agents « rapatriés » à Bruxelles, 20 en Région wallonne et de 20 à 25 en Région flamande. Notons que les travailleurs pourront se partager soit entre un mi-temps à l’Onem et un mi-temps à l’ALE, soit fonctionner à temps plein à l’Onem.
Là où le bât blesse pour certains, c’est que les syndicats et surtout les Régions semblent avoir été informés de cette mesure « a posteriori » par Monica De Coninck alors que, rappelons-le, la prochaine réforme institutionnelle prévoit la régionalisation des ALE. Et du côté des agences locales pour l’emploi concernées, certains font également part de leur mal-être face à cette décision et ses conséquences éventuelles pour les travailleurs et les structures.
Des dératés entre le fédéral et les régions ?
Dans cette situation, les régions semblent faire grise mine. Au sud du pays, on dresse d’ailleurs un constat tranchant. « Nous n’avons pas été consultés par Madame De Coninck, qui par cette mesure empiète sur les perspectives de transfert des compétences, déplore Philippe Mattart, chef de cabinet d’André Antoine2 (CDH), ministre de l’Emploi de la Région wallonne. Dans ce contexte, nous avons demandé une convocation rapide d’une rencontre interministérielle pour en discuter. Elle devrait avoir lieu dans les quinze jours. Il est urgent que nous nous parlions avant que l’on entre dans les transferts de compétences. » Du côté de Bruxelles, Benoît Cerexhe (CDH), ministre de l’Emploi, a répondu à une question à ce sujet au parlement bruxellois le 6 juin. Une réponse dans laquelle il affirme être en contact avec le fédéral pour y voir plus clair. Une réunion avec les ALE bruxelloises serait également prévue.
Et en effet, cette situation pose certaines questions, notamment au niveau de la coordination entre le fédéral et les Régions pour ce qui est, justement, du transfert des compétences en ce qui concerne l’emploi. « Si avec un aussi petit dossier que les ALE c’est déjà le chaos, qu’est ce que ça va être pour le reste », commente à ce sujet un directeur d’une ALE de la Région de Bruxelles-Capitale, qui a préféré rester anonyme.
Autre point de crispation : certains intervenants soupçonnent à demi-mot le fédéral de vouloir rappeler un certain nombre de travailleurs qualifiés (les travailleurs rappelés seraient de niveau « A », « B » et « C ») avant de « refiler » les ALE aux Régions, au risque de faire de ces structures des coquilles fortement déforcées, si pas vides. Ce qui inquiéterait jusqu’aux Régions elles-mêmes. « Nous voudrions y voir clair, il faudrait vérifier que l’on n’est pas en train de nous duper », affirme d’ailleurs Philippe Mattart.
Face à ces inquiétudes, le cabinet de Monica De Coninck se positionne, et nuance. « Les responsables pour l’emploi au niveau des entités fédérées ont été informés, lors d’une réunion début mars 2012, de cette nouvelle procédure d’activation pour les jeunes qui bénéficient d’allocations d’insertion », nous dit-on avant d’enchaîner sur un éventuel manque de concertation entre le fédéral et les Régions. « Cette mesure est une décision assumée d’activer un levier qui est, à l’heure actuelle, toujours entre les mains du fédéral. On ne peut tout de même pas dire « Je ne vais pas activer ce levier-là parce que dans deux ans [NDLR le cabinet prévoit les transferts de compétences pour la fin de la législature], il passera aux Régions ». »
Travailleurs inquiets, syndicats discrets ?
Chez les travailleurs des ALE, on se pose aussi des questions. D’autant plus que les syndicats ne semblent pas vraiment avoir été consultés non plus. « La seule consultation a eu lieu a posteriori, via le comité de gestion de l’Onem », explique Pedro Rodriguez, responsable national des travailleurs sans emploi à la CSC3. D’après la CGSLB4, cette mesure était intégrée à d’autres, concernant l’accompagnement des jeunes demandeurs d’emploi. « Nous avons d’ailleurs remis un avis négatif sur l’ensemble, nous explique-t-on. Mais les employeurs ont remis un avis positif, et c’est donc la ministre qui dans ce cas doit trancher. »
Cela dit, on peut dire que l’on a connu les syndicats plus intransigeants sur ce genre de questions. « Il n’y a effectivement pas eu de grève générale, souligne Pedro Rodriguez. Mais nous nous trouvons à une période où l’accumulation de mesures rend la situation difficile. » Quoi qu’il en soit, la mesure décidée au fédéral risque d’avoir certaines conséquences pour les travailleurs. Tout d’abord au niveau de la philosophie de leur travail. « La mission que l’on va confier à ces travailleurs à l’Onem, qui est une mission de contrôle, s’éloigne effectivement de ce qui est fait dans les ALE, où l’on fait plutôt de l’insertion sociale. Même si l’Onem a bien évidemment le droit de rappeler ses travailleurs et que ce n’est pas un problème de travailler pour lui, les missions que l’on va confier à ces travailleurs sont différentes », remarque à ce sujet Laurence Barbaix, qui en tant qu’agent de l’Onem (elle est la directrice de l’ALE de Tournai) s’abstient de tout commentaire, mais qui s’exprime ici en tant que porte-parole de la plate-forme des ALE wallonnes.
Ce changement de mission aurait d’ailleurs des conséquences néfastes sur le moral des troupes, surtout à Bruxelles. « Ces rappels ne se font pas sur base volontaire, explique le directeur de l’ALE bruxelloise. Et cela démoralise complètement les travailleurs des ALE concernées. Je vous garantis que la moitié d’entre eux partira en maladie et que l’autre moitié va démissionner et trouver un autre travail. Il y en a qui postulent déjà ailleurs… » Dans la pratique, le cabinet de Monica De Coninck nous confirme d’ailleurs que la disposition est déjà en vigueur. En Wallonie, il se chuchote que certains travailleurs auraient d’ailleurs déjà été rappelés. « Et pas pour faire du contrôle « light » », d’après Laurence Barbais.
Deuxième effet de la mesure, d’après plusieurs intervenants : une certaine forme de « déqualification » des travailleurs rappelés. Du fait de leur grade, beaucoup de ceux-ci occupaient, au sein des ALE, des postes « élevés », de direction notamment. Or les voilà rappelés pour un poste de facilitateur. « Certains vont passer d’un poste de direction à un statut de sous-facilitateur puisqu’on nous dit que leur rôle sera de faire des PV d’entretien pour les facilitateurs », note le directeur de l’ALE bruxelloise. Ce à quoi le cabinet de Monica De Coninck réagit. « Nous sommes conscients qu’il ne s’agit pas du même travail. Cela dit, nous parlons plutôt de requalification que de déqualification », note-t-on, avant de se montrer rassurants. « Nous comprenons la peur des travailleurs, le changement fait peur. Mais nous voulons l’amener de la manière la plus adaptée qui soit, notamment en donnant une formation complète aux travailleurs. »
Des conséquences sur le terrain
Pour les ALE proprement dites, la situation risque également de changer suite à cette décision. Si certains prévoient déjà leur disparition suite à une volonté politique cristallisée par le rappel des travailleurs vers l’Onem, la future régionalisation, mais aussi par la ponction financière de 55,2 millions d’euros opérée il y a peu sur les ALE ayant développé des activités titre-service (voir Alter Echos n° 284 du 16 novembre 2009 : « [url=https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=284&l=1&d=i&art_id=19346 Les ALE plus légères de quelques millions d’euros »), d’autres se veulent plus « mesurés » tout en leur prédisant des jours difficiles. « Pour certaines ALE, cela va être un drame puisque ce sont les travailleurs les plus formés qui vont partir », explique Zoé Genot5, députée fédérale Ecolo qui a publié plusieurs billets à ce sujet sur son blog (http://www.zoegenot.be). Un constat encore plus prégnant à Bruxelles, où le niveau de qualification général de la population est moins élevé et où trouver des travailleurs qualifiés est donc plus compliqué. « Rien qu’à l’ALE de ma commune, qui est celle de Saint-Josse, le travailleur le plus qualifié risque de partir alors qu’ils ne sont que deux travailleurs et qu’il avait été détaché en 2010 pour renforcer l’équipe, explique toujours Zoé Genot. Ce qui a fonctionné puisqu’il a doublé le travail fourni. Aujourd’hui, s’il part, il n’y aura plus qu’un seul travailleur, le personnel aura diminué de 50 %… »
Un constat que confirme le directeur de l’ALE bruxelloise, tout en en dressant un autre, plus « prospectif ». « Les ALE sont déjà débordées, si on retire des travailleurs, cela ne va plus fonctionner. Mais cela risque aussi d’avoir des conséquences pour d’autres opérateurs, comme les missions locales. Certaines ALE « filtrent » en effet le public et diminuent le flux vers les missions locales de 25 à 30 % ». La Febisp6 (Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle et d’économie sociale d’insertion), qui fédère les neuf missions locales bruxelloises, ne s’y est d’ailleurs pas trompée puisqu’elle a publié le 25 mai dernier un communiqué de presse dans lequel elle déplore la décision du fédéral. « Il risque en effet d’y avoir un effet domino alors que les missions locales, et les autres opérateurs, sont déjà « full », explique Tatiana Vial, attachée emploi. Et puis, le fait de changer ainsi les missions d’un partenaire comme les ALE nous pose question, ces partenariats mettent des années à se mettre en place. Enlever de l’accompagnement pour renforcer le contrôle, cela ne va pas. »
Toujours pour les ALE, le sort réservé aux « prestataires ALE »7 suscite aussi l’inquiétude. « Si les ALE devaient souffrir ou disparaître, beaucoup d’entre eux se disent : « Je vais vivre avec quoi ? » », explique Laurence Barbaix. Une situation, et une réflexion plus générale sur l’avenir du système, qui a d’ailleurs poussé l’inter-régionale wallonne de la FGTB8 à produire une note concernant les ALE. « Si on supprime le système, il faut en effet un cadre pour les personnes qui se trouvent dans ce système, explique Eric Neuprez, secrétaire fédéral. Nous prônons dès lors, dans l’éventualité d’une suppression, le fait de laisser les personnes qui le désirent dans le système jusqu’à ce que celui-ci meure de sa belle mort. » Et notre interlocuteur de préciser que des solutions externes aux ALE existent (comme les titres-services, les aides familiales, les services d’accueil de l’enfance ou encore le dispositif Idess) pour pallier aux différents types de travail qu’elles proposent. Si ce n’est pas une oraison funèbre, ça pourrait tout doucement commencer à y ressembler.
1. Cabinet de Monica De Coninck :
– adresse : rue Ernest Blérot, 1 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 238 28 11
– site : http://www.emploi.belgique.be
– courriel : info@deconinck.belgium.be
2.Cabinet d’André Antoine :
– adresse : rue d’Harscamp, 22 à 5000 Namur
– tél. : 081 25 38 11
– site : http://antoine.wallonie.be
3. CSC :
– adresse : chée de Haecht, 579 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 246 31 11
– site : http://www.csc-en-ligne.be
4.CGSLB :
– adresse : bd Poincaré, 72-74 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 558 51 50
– courriel : cgslb@cgslb.be
– site : http://www.cgslb.be
5. Zoé Genot
– tél. : 02 549 90 59
– courriel : zoe.genot@ecolo.be
6. Febisp, Cantersteen, galerie Ravenstein, 3 bte 4 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 537 72 04.
7. FGTB wallonne :
– adresse : rue de Namur, 47 à 5000 Beez
– tél. : 081 26 51 52
– site : http://www.fgtb-wallonne.be/
8. Les ALE permettent à certains types de public (les prestataires), comme notamment les chômeurs complets indemnisés au chômage depuis deux ans ou les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale inscrits comme demandeurs d’emploi inoccupés, de travailler pendant leur période de chômage et d’améliorer ainsi leur revenu de façon légale. En règle générale, les prestataires peuvent travailler au maximum 45 heures par mois sous ce régime. Les travaux autorisés sont notamment l’aide au petit entretien de jardin ou l’aide à la surveillance ou à l’accompagnement de personnes malades ou d’enfants.