Les nouveaux gouvernements régionaux maintiendront les ALE. Mais leur action devrait être plus articulée avec d’autres opérateurs. On parle optimalisation, regroupement, réduction.
Aussi bien à Bruxelles qu’en Wallonie, le sort des ALE en inquiète plus d’un depuis quelques années. La faute notamment au fédéral qui leur avait fait un sérieux croc-en-jambe début 2012. À partir de cette date, l’Onem avait commencé à rappeler certains de ses travailleurs détachés auprès des ALE afin de l’aider dans son travail d’accompagnement des chômeurs. Face à ce phénomène, des accusations avaient émergé: le fédéral – et la ministre de l’Emploi de l’époque, Monica De Coninck (sp.a) – cherchait à «rapatrier» un certain nombre de travailleurs qualifiés avant de «refiler» les ALE aux Régions. Sous forme de coquilles presque vides. Car officiellement, les ALE sont régionalisées depuis le 1er juillet 2014. Dans les faits, on parle plutôt du 1er janvier 2015. Voire de 2016.
Une chance?
Paradoxalement, cette régionalisation est presque vécue comme une opportunité par le secteur. «Au fédéral, les ALE se dirigeaient vers une mort programmée. Mais maintenant que la matière est transférée aux Régions, il y a une chance. Les politiques semblent conscients du rôle des ALE. Même si les Régions ne vont pas trouver des moyens que le fédéral n’avait pas. Les ALE qui allaient mal vont continuer à aller mal. Mais le processus de dégradation peut en tout cas être enrayé», juge Laurence Barbaix, présidente de la Plateforme des ALE wallonnes. Une opinion partagée par la Plateforme des ALE/TS bruxelloises, qui regroupe depuis peu toutes les ALE de la capitale (et plus seulement celles actives en titres-services [TS]). «La régionalisation est une manière d’endiguer la fin des ALE», confie l’une de ses représentantes, Fabienne Diez, responsable de l’ALE/TS d’Auderghem.
À les entendre, il était plus que temps. À Bruxelles comme en Wallonie, de nombreuses ALE n’ouvriraient plus qu’un jour par semaine, faute de personnel. Isabelle Gobert, coordinatrice de l’ALE/TS à Evere et représentante de la Plateforme des ALE/TS bruxelloises, note que le «rapatriement» se serait arrêté il y a peu dans la capitale. En Wallonie par contre, Laurence Barbaix note que le problème ne serait pas réglé, «ce qui pose question dans des communes rurales où il n’existe pas d’autres possibilités pour les utilisateurs».
Secrètement, les ALE semblent espérer que la régionalisation viendra stopper le «rapatriement» de travailleurs qui, une fois la régionalisation opérée, dépendront d’Actiris ou du Forem. Pourtant, Actiris et le Forem pourraient être tentés de garder ces travailleurs sous le coude. À la suite de la régionalisation, les services régionaux de l’emploi vont aussi devoir prendre en main le contrôle de la disponibilité des chômeurs, autrefois dévolu à l’Onem. Quelques travailleurs en plus pourraient ne pas être de trop.
Dans ce contexte, tout le monde scrute les déclarations de politique des nouveaux gouvernements bruxellois et wallon avec attention. À Bruxelles, la nouvelle équipe en place entend ainsi «consulter les acteurs de l’emploi et de la formation actifs en Région bruxelloise en vue de leur regroupement (missions locales, ALE, maisons de l’emploi…) pour une meilleure cohérence et une meilleure collaboration entre les acteurs existants, dont les CPAS». En Wallonie, «le gouvernement entend réformer les dispositifs et structures d’aide à la formation et à l’emploi (ALE, maisons de l’emploi, IDESS, …) en vue de réduire leur nombre et accroître leur lisibilité et leur efficacité pour les utilisateurs. Il encouragera également le regroupement de ces structures de proximité dans un lieu unique». Regrouper, réduire… Les ALE doivent-elles craindre pour leur existence? Risquent-elles de se faire «absorber» par Actiris ou le Forem? Verra-t-on des ALE fusionner? À Bruxelles, Christine Dassy affirme que les ALE ne sont pas contre le fait de «travailler mieux en partenariat avec d’autres acteurs, comme les missions locales». Mais avertit: les agences locales pour l’emploi «veulent garder leurs spécificités». Ce que confirme Isabelle Gobert: «Les ALE ont des spécificités, elles prennent en charge un public très éloigné de l’emploi, non rencontré par Actiris.»
En Wallonie, Laurence Barbaix note que des rapprochements avec les maisons de l’emploi ou le Forem existent. «Certaines ALE se trouvent dans les mêmes locaux que les maisons de l’emploi. D’autres accueillent des permanences du Forem. Nous ne sommes pas contre le fait de faire des économies d’échelle à ce niveau.» Mais, note la présidente, «avant de faire une fusion, il faut voir s’il y a une plus-value. Nous avons un ancrage local et il ne faudrait pas que le demandeur d’emploi se trouve dans une situation plus compliquée qu’avant». En d’autres mots, il serait mal vu qu’un chômeur doive prendre le bus sur une longue distance parce que plusieurs ALE ont fusionné. «Il faut une présence physique dans chaque commune», souligne Laurence Barbaix. Avant de préciser qu’elle ne craint pas, pour l’heure, que les ALE se fassent «absorber» par d’autres structures, comme le Forem. «On en est encore loin et la Déclaration de politique générale ne donne pas d’éléments qui pourraient donner à le croire.»
L’écho des ministres
Du côté des nouveaux ministres, on se veut rassurants. Tout en tenant à serrer quelques boulons. Ou à rester vague… En Wallonie, le cabinet d’Éliane Tillieux (PS), la nouvelle ministre wallonne de l’Emploi, note que les ALE «jouent un rôle très pertinent par rapport à des publics très éloignés de l’emploi et apportent une réponse à des besoins insuffisamment rencontrés aux citoyens». Dans ce contexte «l’objectif visé par la Déclaration de politique régionale est donc d’optimiser l’impact des ALE en cohérence avec les autres services de proximité, dans un souci de cohérence, d’articulation et de lisibilité». On verra donc à l’usage. Quant aux travailleurs «rapatriés», le cabinet souligne que «les missions des ALE doivent s’articuler avec celles du Forem auquel les ALE seront rattachées. Elles devront donc disposer du personnel nécessaire pour offrir les services les plus adéquats aux profils des demandeurs d’emploi ciblés.»
À Bruxelles, Didier Gosuin (FDF), nouveau ministre de l’Emploi, se montre plus précis: les ALE ne sont pas menacées. «Mais il y aura une évaluation du travail. Nous sommes dans un contexte de moyens limités, et il faut optimaliser.» Le ministre note que, dans certaines communes, les CPAS, les missions locales et les ALE ne travaillent pas dans un plan local pour l’emploi. «Il faudra donc mettre tous ces opérateurs autour de la table et les faire travailler ensemble dans un cadre commun avec comme contrainte de rendre compte des objectifs et des moyens.» Les ALE, parfois jalouses de leur indépendance et de leur ancrage local, doivent-elles être inquiètes? «Les ALE garderont leur ancrage local, et nous n’allons pas leur demander de ne pas faire leur boulot, explique Didier Gosuin. Mais ce n’est pas parce que l’on est dans un ancrage local que l’on ne doit pas se justifier de son travail. Tout opérateur n’est pas détenteur d’une vérité sacralisée. Ces temps-là sont révolus.»
Quant aux travailleurs «rapatriés», Didier Gosuin déclare regretter la décision du fédéral. «Je dois en quelque sorte la subir», détaille-t-il. «Mais les ALE ont leur pertinence, et il ne s’agit donc pas de les amputer de leurs moyens d’action. Nous ferons le bilan.»
Aller plus loin
Alter Échos n°340 du 08.06.2012: «Les ALE, enjeu ignoré de la réforme institutionnelle?»