Les services d’aide en milieu ouvert (AMO) offrent une aide préventive à des jeunes âgés de 0 à 18 ans. Le ministre de l’Aide à la jeunesse, Rachid Madrane, propose d’étendre cette compétence aux jeunes de 18 à 25 ans. Une idée qui divise le secteur.
Article publié le 20 janvier 2016.
Branle-bas de combat chez les AMO. Les services d’aide en milieu ouvert, acteurs clés de la prévention dans l’aide à la jeunesse, devraient voir leurs missions changer. Les 79 AMO du pays apportent une aide à des milliers des jeunes mineurs, chaque année, sur une base volontaire. Elles le font soit par un suivi individuel, soit par une action communautaire.
Rachid Madrane, ministre du secteur, a proposé, dans le cadre de sa vaste réforme de l’aide à la jeunesse, que ces services puissent suivre des jeunes jusqu’à 26 ans et non plus seulement jusqu’à leur majorité (dans certains cas, les AMO peuvent déjà poursuivre leur travail jusqu’aux 20 ans du jeune).
Jeunes, de rupture en rupture
La «rupture» que constitue l’âge de la majorité pour de nombreux jeunes est un thème qui intéresse de près les AMO. En 2012, l’AMO SOS-jeunes et le centre de crise et d’accompagnement pour mineurs Abaka publiaient une recherche intitulée «La majorité, un passage redouté». On y lisait que «les jeunes adultes n’ont pas de place dans les services pour adultes alors qu’ils ne sont plus pris en compte dans les services jeunes». Les auteurs de l’étude évoquaient un «vide institutionnel».
Car 18 ans, c’est l’âge des ruptures. Fin de l’obligation scolaire, interruption des suivis spécialisés d’aide à la jeunesse, confrontation avec le monde de l’aide sociale, du marché du travail, de la recherche d’un logement.
Des ruptures aux effets potentiellement dévastateurs, comme le soulignait l’étude, car elles «entraînent une fragilisation des jeunes adultes et jouent un rôle important dans l’entrée ou le renforcement des formes d’errance». Souvent, les jeunes les plus fragiles se retrouvent seuls à affronter ces étapes.
C’est dans ce contexte que sont nés des projets comme «Chass’info» à Etterbeek, qui, par l’association de plusieurs structures, dont l’AMO Samarcande, permet d’offrir une information et un suivi à des jeunes de 14 à 24 ans, dans l’idée d’offrir un «continuum de l’aide». On pense aussi à Solidarcité qui propose à des jeunes fragilisés de 16 à 25 ans de s’inscrire dans des projets citoyens permettant à la fois de se former et de réfléchir sur leur avenir.
Quelque chose attendu depuis longtemps
Pour Alberto Mulas, conseiller de Rachid Madrane, le choix opéré par le ministre répond à une évolution sociétale: «Nous vivons une période historique marquée par un estompement des âges de transition, avance-t-il. Les jeunes entrent moins tôt dans l’âge adulte. Les périodes d’adolescence se prolongent sans qu’aucune institution n’accompagne ces jeunes.»
Dans l’aide à la jeunesse, certains ne cachent pas leur satisfaction. C’est le cas, par exemple, de Michel Vandekeere, directeur de recherches à l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse (OEJAJ): «La transition vers la majorité n’en finit pas de s’allonger. Cela pénalise les plus fragiles. On propose enfin quelque chose attendu depuis longtemps.» Michel Vandekeere prononce un «oui franc et massif» à l’évocation de cette mesure. Et, ajoute-t-il, «les AMO le souhaitent depuis longtemps».
Pourtant, ces dernières ne sautent pas toutes de joie. Le secteur est même plutôt divisé. Parmi les trois fédérations qui comptent des AMO dans leurs membres – l’Ance, la Fisaaj et la Fipe –, deux sont majoritairement défavorables à la mesure.
L’éternel manque de moyens
Côté mécontents, on se plaint d’un manque de moyens. Selon Vincent Dufour, vice-président de la Fédération des institutions et services spécialisés d’aide aux adultes et aux jeunes (Fissaaj), « suivre une tranche d’âge supplémentaire sans moyens concordants, cela se fera inévitablement au détriment d’autres catégories d’âge ».
À la Fissaaj, on a d’ailleurs l’impression que la petite enfance ne fait pas vraiment partie des priorités du ministre, «alors que la prévention est plus efficace lorsqu’elle démarre plus tôt». Bien sûr, Vincent Dufour rappelle que sa fédération n’est «pas opposée à la mise en place de dispositifs pour les jeunes de 18 à 26 ans. Plutôt des partenariats, des synergies avec les autres secteurs, pour mieux préparer le passage à la majorité».
C’est le même genre de tonalité que l’on entend à la Fédération des institutions de prévention éducative (Fipe). On y dénonce aussi le «manque de moyens et de temps». Mais pour Christelle Trifaux, qui dirige le Service droits des jeunes (SDJ), membre de la Fipe, l’enjeu est plus vaste que ça. «Même avec des moyens supplémentaires, cela n’irait pas, dit-elle. Car les AMO se retrouveraient seules à gérer les situations des jeunes de 0 à 25 ans, c’est impossible.»
Une compétence étendue aux jeunes de plus de 18 ans impliquerait des efforts importants de formation du personnel. «Au Service droits des jeunes, nous devrions nous former au droit des adultes», s’inquiète-t-elle.
Toutefois, la directrice du SDJ nuance: «Oui, les AMO pourraient travailler des situations de jeunes de plus de 18 ans, mais pas de manière isolée. Un travail pourrait se faire avec des CPAS, des services d’aide au logement, ou à l’insertion socioprofessionnelle.»
Parmi les fédérations, seule l’Association nationale des communautés éducatives (Ance), une fédération laïque, accueille avec enthousiasme la proposition de Rachid Madrane. C’est Yves Kayaert, de l’AMO Itinéraires, qui s’exprime au nom de cette fédération. Pour lui, le travail des AMO doit évoluer au même rythme que le monde qui l’entoure: «Cela fait des années que nous parlons dans le secteur de la tranche d’âge des 18-25 ans. Le monde a changé. Sociologiquement, les jeunes changent. Ils quittent le foyer plus tard. Recherchent un travail plus tard. La problématique des jeunes de cet âge n’est actuellement pas rencontrée par les pouvoirs publics.» Et sur le terrain, argue-t-il, «de nombreuses AMO accompagnaient déjà des jeunes de 18 à 25 ans».
Permettre légalement de telles interventions «amènerait de la clarté», dit-il. Face à ceux qui craignent que cette nouvelle compétence ne s’applique au détriment d’autres classes d’âge ou du travail d’accompagnement des familles, Yves Kayaert relativise: «C’est surtout une possibilité en plus, qui ouvre des perspectives. Pourquoi amener quelque chose se ferait au détriment d’autre chose? Et rappelons que concrètement les AMO ne travaillent pas ‘seules’, elles s’inscrivent dans des réseaux», rétorque-t-il à ceux qui craignent que les AMO ne se retrouvent isolées.
À ces réserves qui s’expriment sur le terrain, Alberto Mulas répond que «la mesure vise surtout à régulariser une situation de fait, afin de permettre un peu de souplesse. On l’évaluera au bout de deux ans pour voir si cela a un réel impact sur le travail». Pas sûr que cela suffise à calmer les in
quiétudes d’une partie du secteur.
«L’aide à la jeunesse sens dessus dessous», Alter Échos n°412, novembre 2015, Cédric Vallet.