Depuis l’automne 2011, il règne une grande insécurité dans le secteur artistique. Des directives de l’Onem ont perturbé la très relative stabilité des revenus des artistes. Les dossiers sont arrivés au tribunal.
Rappelons que les mesures qui forment le « statut d’artiste » (voir AE 328) sont au nombre de deux : une mesure pour faciliter leur accès à l’assurance chômage via l’application de la règle du cachet (article 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991) et une protection de leur indemnité (article 116 paragraphe 5). Environ deux cents dossiers individuels étaient soumis au tribunal du travail.
Comme les questions sont techniques, laissons la parole aux avocats. Serge Birenbaum trouve le jugement créatif. « Le juge s’est basé sur la règle des lacunes. La constitution réfute les discriminations, le juge s’est courageusement basé sur cela pour assimiler le statut des techniciens du spectacle à celui des artistes interprètes et musiciens », constate-t-il tout en émettant quelques regrets. « Il reste deux questions : la nécessité d’une motivation et la possibilité ou non pour un artiste créateur de bénéficier de la règle du cachet. » Pour les artistes créateurs, le jugement n’est pas vraiment ambigu : il est en fait négatif. C’est le constat d’Anne Rayet. « Le jugement est clair : l’article 10 ne s’applique pas aux créateurs, mais aux techniciens de spectacle. Reste la question de la méthode de calcul de l’application de la règle du cachet ». En fait, personne n’est vraiment content des jugements sur cet aspect. L’Onem ira en appel contestant l’élargissement aux techniciens du spectacle. Les artistes créateurs iront en appel également avec le soutien de Smart et de la CGSP. Anne Rayet ne portait pas de dossier « Article 10 ». Rendez-vous donc, fin de l’année ou début 2014, à la cour d’appel.
Une intermittence mieux protégée
L’Onem prétendait que l’article 116 paragraphe 5, souvent appelé protection de l’intermittence, ne devait s’appliquer qu’aux artistes interprètes. « À partir de divers dossiers, un cinéaste, un photographe, une illustratrice, nous avons réussi à faire dire clairement à la justice que ce n’était pas le cas », explique Anne Rayet. Serge Birenbaum confirme. « Il a été clairement établi qu’il n’appartient pas à l’Onem de rajouter des conditions. » Le délai court jusqu’au 15 septembre, mais il semble acquis que l’Onem ne fera pas appel.
Reste le dossier peut prendre une tournure politique. La préparation d’un nouveau projet de loi pourrait ruiner l’impact d’une telle décision. Pour Éric Lauwers, directeur de l’Association professionnelle des métiers de la création (APMC)1 liée à Smart, c’est la crainte à avoir. « C’est notre principal regret : le silence du monde politique. Il semblerait qu’une nouvelle législation serait en cours de rédaction mais rien ne sort. Après deux ans d’insécurité, les deux ministres – De Koninck (Spa) pour l’Emploi et Onkelinx (PS) pour les Affaires sociales – doivent apporter des solutions rendant la situation plus claire. Elles gagneraient en tout cas à parler avec les acteurs de terrain », remarque-t-il. Il est malheureusement vraisemblable que les ministres attendront la fin de la procédure pour sortir du bois, bref que le débat sera reporté à la législature prochaine.
Laissons la conclusion à un artiste concerné, le cinéaste Luc Boland. « La régularisation doit se faire mais il y a des détails à régler. Depuis l’automne 2011, je n’ai plus mes allocations protégées, la rétroactivité va-t-elle être intégrale ou limitée à une année ? La justice me donne raison mais le chemin de croix administratif n’est pas fini. » Effectivement. Ni le chemin judiciaire du statut d’artiste !
Une ordonnance régionale pour l’insertion des artistes ?
Une idée fait son chemin dans le secteur de l’emploi : une ordonnance pourrait favoriser des projets liés à l’insertion socioprofessionnelle des artistes. Elle est portée par le député régional bruxellois Hamza Fassi Fihri (cdH). « Cette idée m’est venue lorsque j’étais échevin de la Culture et de l’Emploi à la ville de Bruxelles. J’y ai découvert la diversité de la manière dont les artistes exercent leur métier », se souvient-il. De nombreux artistes sont au chômage ou au CPAS. Les structures classiques d’ISP et Actiris peuvent-elles rencontrer ce public ? « Ces structures et les artistes ne parlent pas le même langage. Pour elles, un c.v. et un book, ce sont deux choses différentes. Or dans le domaine artistique, où est la différence ? », plaide-t-il.
Pour Hamza Fassi-Fihri, les initiatives comme ILES (Initiatives locales pour l’emploi à Schaerbeek, notamment active dans l’information et l’accompagnement des artistes) ou ACT (Artistes et créateurs au travail asbl) fonctionnent bien mais l’offre est insuffisante. « L’idée de l’ordonnance est de donner un cadre légal allant au-delà des projets pilotes. Cela permettrait de pérenniser les projets. L’important est de renforcer l’accompagnement du public-cible avec un service de première ligne aidant notamment les artistes à mieux vendre leur travail », explique-t-il précisant que l’ordonnance ne va pas créer une structure mais qu’elle va encourager sa création. Le député travaille à ce projet depuis plus d’un an en lien avec le secteur, sur base de l’idée selon laquelle les missions sont parallèles à celles d’une mission locale : l’accueil de publics particuliers. « Ce service n’existe pas, même chez Smart qui couvre à peu près tous les services qu’on peut offrir aux artistes. J’attends encore des remarques d’Actiris avant de lancer le processus dans les réunions de majorité. » Un espoir réel de voir cette proposition aboutir ? « Je garde l’espoir de faire voter le texte avant la fin de la législature. À défaut, j’aurai au moins lancé le débat avant la négociation d’un quelconque accord politique pour la prochaine législature », conclut-il.
Le texte peut être consulté sur le web : http://www.hamzafassi.eu/wp-content/uploads/2013/08/Proposition-ordonnance-artistes-et-m%C3%A9tiers-de-la-cr%C3%A9ation.pdf
Des tables emploi pour le secteur artistique
Depuis 2010, Cité culture, le centre culturel de la Cité modèle, organise les « Mercredis des oreilles vertes » une fois par mois, des rencontres professionnelles qui permettent aux artistes et créateurs de rencontrer les programmateurs et organisateurs d’événements. La formule fonctionne et s’élargit à l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
« Nous avons expérimenté ici pendant trois ans une belle formule qui permet aux artistes de se présenter, d’en rencontrer d’autres et surtout des professionnels du secteur », nous explique Yves Martin, l’administrateur délégué d’ACT qui chapeaute désormais le projet. Un projet qui va s’étendre cette saison à des lieux de toutes les provinces en collaboration avec Smart, Présence et action culturelles et la SAW-B. « La présence de SAW-B est très importante pour nous. Elle montre que la culture doit s’intégrer dans le secteur de l’économie sociale. Les artistes vivent comme des mini-entreprises dont les revenus sont réinvestis dans le projet », souligne-t-il.
À chaque édition : débats, tables d’emploi, rencontres professionnelles, show-case, expos… On devrait y parler de beaucoup de choses : du crowd-funding aux possibilités de services mutualisés. Plus d’info sur le site : http://www.lesmercredisdesoreillesvertes.be
1. Association professionnelle des Métiers de la création (Smartbe) :
– adresse : rue Émile Feron, 70 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 542 10 80
– site : http://www.smartbe.be
Aller plus loin
Alter Échos n° 328 du 28.11.2011 : Ceci n’est pas un statut
Alter Échos n° 353 du 31.08.2012 : (Carte) Visa pour l’artiste
Alter Échos n° 356 du 18.03.2013 : Les chemins de l’avenir de l’emploi artistique