La Belgique vient de se doter du recours aux actions de réparation collective. Une porte ouverte aux outils législatifs équivalents qui régissent, outre-Atlantique, les rapports entre consommateurs et grandes enseignes. Mais si les initiatives se multiplient, la loi belge semble toutes les tuer dans l’œuf.
Dans le milieu associatif, l’annonce a fait naître beaucoup d’espoir. En octobre, l’asbl Collectif Solidarité contre l’exclusion – fondée par les sections bruxelloises de la CSC et de la FGTB – a reçu l’agrément pour représenter collectivement des consommateurs qui auraient subi un dommage dans le domaine de l’énergie. Quelques mois plus tard, en janvier, l’association grONDES – soutenue par le Syndicat des locataires, Teslabel et par le collectif «dé-Mobilisation» et qui regroupe des comités d’habitants vivant à proximité d’antennes déjà implantées – annonçait vouloir intenter une «action collective» contre le déploiement d’antennes 4G en Région bruxelloise.
Mais alors qu’en septembre est entré en vigueur l’un des dispositifs législatifs phares du précédent gouvernement, les actions de groupe, aucune de celles-ci n’aboutira à une condamnation. Dans les faits, ces cousines des célèbres «class actions» américaines sont destinées à porter devant les tribunaux des litiges qui passaient jusque-là sous le radar de la justice. Elles permettent à des citoyens de se regrouper pour intenter une action en justice contre une entreprise et obtenir réparation d’un dommage qu’ils auraient subi. «On peut désormais, en un seul procès, obtenir l’indemnisation de toutes les victimes de litiges de masse dans la consommation», soulignait alors le ministre en charge du dossier, Johan Vande Lanotte (sp.a).
Frais bancaires, factures de téléphone, retards dans les transports… sont potentiellement concernés. Dans l’euphorie du moment, on a parlé d’une grande victoire face au lobbying des entreprises. Mais cette loi serait «mort-née». C’est l’avis des avocats Robert Wttervulghe et Laurent Arnauts, qui accusent le précédent gouvernement d’avoir «tout fait pour en limiter l’utilisation, sous l’influence des lobbys». Pire: la nouvelle loi n’offre qu’une protection illusoire aux consommateurs et les livre, au contraire, à l’arbitraire du pouvoir exécutif qui, en tout état de cause, pourra filtrer les actions introduites.
Pourquoi? D’abord parce que certaines matières sont exclues du dispositif. C’est le cas des pratiques médicales, des produits pharmaceutiques et des matières financières. Les actionnaires ne peuvent pas non plus se joindre à une action. «La seule motivation du législateur semble être de rassurer certains secteurs, entreprises cotées et sociétés pharmaceutiques notamment», dénoncent les avocats.
Limitation des représentants
Ensuite, parce que seules les associations de consommateurs peuvent recourir à cette procédure. Et ici aussi, le périmètre est limité. Elles doivent soit siéger au Conseil de la consommation, soit être agréées par le ministre, avoir un objet social en relation directe avec le préjudice subi, ne pas poursuivre de but économique et exister juridiquement depuis trois ans. Pour compliquer les choses, elles doivent aussi satisfaire à toutes ces conditions pendant la durée de la procédure. De quoi imaginer sans peine le conflit d’intérêts, lorsqu’il s’agit d’une société où l’État est actionnaire.
Le législateur a justifié l’existence de ces filtres par le souci d’éviter «des dérives à l’américaine» où la «class action» et l’inflation de litiges qui en découle sont devenues un business juteux pour les avocats. Mais des garde-fous existent déjà dans le système judiciaire belge, à commencer par l’interdiction d’entreprendre des «procédures téméraires et vexatoires». Raison pour laquelle Robert Wttervulghe a introduit, en octobre, un recours en annulation partielle auprès de la Cour constitutionnelle. Selon lui, la loi viole plusieurs articles de la Constitution (principe de non-discrimination, accès à la justice…) et même la Convention européenne des droits de l’homme (principe du procès équitable).