Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Les avis du CCAJ servent-ils à quelque chose ?

Le CCAJ souhaiterait intervenir plus en amont des décisions pour guider le politique sur les attentes et besoins du secteur de l’Aide à la jeunesse.

27-10-2009 Alter Échos n° 283

On sentait comme une amertume en fin de législature. Un souffle désabusé semblait guider les derniers avis du Conseil communautaire de l’Aide à lajeunesse1. Un peu comme si, entre les lignes, les auteurs se demandaient : « Mais à quoi ça sert qu’on nous demande notre avis, si, in fine, le politiquen’en tient pas compte ? ». Arrivé au tiers de son mandat, le président, Guy De Clercq, estime que le fonctionnement de l’instance peut encore êtreamélioré. Rencontre.

Le dernier avis (102) remis par le CCAJ concernait le déménagement de la section francophone du centre fermé d’Everberg vers la prison pour adultes de Saint-Hubert. Il faisaitsuite à l’avis 101, non moins tranché, sur le type et le nombre de places nécessaires au sein des institutions publiques. « Le CCAJ, instance d’avis sur toutematière intéressant tant l’Aide à la jeunesse que la Protection de la jeunesse, déplore le fait qu’il n’ait jamais été consulté nisur la délocalisation, ni sur l’augmentation du nombre de places fermées pour les mineurs délinquants. Le Conseil communautaire s’oppose à ladélocalisation en raison des atteintes aux droits et aux conditions de placement des jeunes.» Difficile d’être plus clair…

Agacés les membres du Conseil ? Un peu. Mais le changement de législature devrait être l’occasion de mettre les points sur les « i » et de réaffirmerle rôle et les ambitions de cette instance d’avis parfois sacrifiée sur l’autel du pragmatisme politique. « En fin de législature, les textes se bousculent et ondemande au CCAJ de remettre des avis dans des délais qui ne sont absolument pas raisonnables. Mais malheureusement, c’est presque inévitable dans le fonctionnement politiqueactuel », confesse Alain Lising, directeur de cabinet adjoint et responsable de l’Aide à la Jeunesse auprès de la ministre Huytebroeck (Écolo)2.

Travailler plus en amont avec le cabinet

Inévitable, n’est sans doute pas le mot que choisirait Guy De Clercq, président du CCAJ. À moins de remettre en cause la raison d’être du Conseil. « LeCCAJ nous permet d’espérer des temps d’arrêt. De prendre le temps pour la recherche de sens et faire la part des choses avec le politique, l’émotionnel, lestratégique. Grâce à sa composition très large, le CCAJ peut se targuer d’avoir une vision transversale du secteur et une grande richesse apportée par laconfrontation des points de vue », rappelle-t-il. Depuis le début du mandat de l’actuel président, en novembre 2007, le CCAJ a remis 16 avis dont 4 d’initiative, commecelui sur le déménagement à Saint-Hubert. Le président est plutôt fier de ses troupes : il y a eu une réelle assiduité, « tous les membres sontrestés mobilisés même quand il y avait plusieurs réunions par mois, ce qui n’est pas toujours évident vu les agendas chargés de chacun ».

Mais tout ce travail de concertation a-t-il réellement un sens ? Sans revenir à la critique sur Saint-Hubert – « sur cet enjeu, il y a clairement eu un décalageentre les attentes du secteur qui a cogité à la question pendant plus de deux ans, et les décisions prises par la ministre » – on se souviendra du travail colossaleffectué sur la réforme du décret AMO3, ou le projet de réforme des CAAJ4. « Je pense que les avis ont un impact. Le politique en tient compte.De là à dire qu’ils sont suivis à la lettre… » De fait, certains membres regrettent que les avis ne soient pas assez respectés. Peut-êtrefaudrait-il prendre le problème dans l’autre sens : faire en sorte que le politique sollicite d’abord le CCAJ avant de remettre des projets. « Parce qu’entre deuxlectures de textes, notre marge de manœuvre est extrêmement réduite. La réflexion et la concertation, qui sont à la base de notre fonctionnement, nécessitentdu temps. Or on nous impose souvent des délais trop courts. Nous aimerions être consultés plus en amont », insiste Guy De Clercq. Ce dernier a d’ailleursdemandé une entrevue avec le cabinet d’Évelyne Huytebroeck.

« Une rencontre est effectivement prévue le 30 octobre », précise Alain Lising. « Nous allons voir ensemble s’il est possible d’avoir desmodalités de fonctionnement qui soient plus respectueuses du travail du CCAJ. »

En travaillant plus d’initiative, le Conseil aurait effectivement la possibilité d’être à la genèse des projets de décrets ou de loi. Actuellement,par exemple, les membres planchent sur la banalisation du traitement médicamenteux pour « soigner » les enfants hyperactifs ou considérés comme tels. L’avisdevrait suivre.

Les chantiers en cours

Pour ce qui est de réfléchir de manière approfondie aux enjeux du secteur, outre les avis, le CCAJ peut également mettre sur pied des commissions. Actuellement, deuxcommissions sont à l’œuvre : la « Commission permanente de programmation sur les besoins en outils nécessaires pour l’application des avis et des lois » etla « commission sur les CAAJ » visant à réfléchir à la redéfinition de leurs missions et fonctionnement. De quoi nourrir des projets de réforme,sans aucun doute.

Mais Guy De Clercq a encore d’autres chevaux de bataille pour occuper ces quatre prochaines années de mandat. « Il nous manque des outils statistiques et des évaluations.On sait aujourd’hui qu’il y a un manque criant de places d’hébergement. Avant d’en créer à tour de bras, il faudrait peut être s’interrogersur le pourquoi on place plus vite ou plus systématiquement qu’avant. Il faut donner du sens aux faits, pas se contenter de constater. Peut-être que la mise en place de laCioc5 nous permettra d’investiguer ces questions ». Autre sujet qui lui tient à cœur, peut-être le plus fondamental d’entre tous, celui de la distinctionentre les 36.2 et les 36.4, entendez les mineurs en danger et les mineurs ayant commis un fait qualifié d’infraction. « La précédente législature s’estfocalisée sur la délinquance. Mais qu’il soit délinquant ou en danger, c’est toujours un jeune et je persiste à penser que nous sommes compétents aussipour des jeunes qui commettent des délits qui, dans la majorité des cas, sont ou ont été des jeunes en danger. » Autant de réflexions qui peuvent nourrir letravail du nouveau cabinet, d’autant plus utilement que la Jeunesse et l’Aide à la jeunesse sont aujourd’hui réunies sous la même casquette.

Un parcours sans faute

Par quels chemins tortueux devien
t-on président du Conseil communautaire de l’Aide à la jeunesse ? Par évidence, en ce qui concerne Guy De Clercq. Psychologue deformation, il a d’emblée axé ses études sur les enfants et les adolescents. À la sortie de l’université, il effectue son service civil dans uneinstitution de l’Aide à la jeunesse. Il soumettra aussi un projet qui aboutira à la création d’un des tout premiers centres d’accueil spécialisés(CAS), Le Toboggan à Mons, pour des jeunes filles en crise, dont il sera le directeur de 1988 à 1992. « C’était l’une des premières démarchesoù l’on voulait travailler à la resocialisation du jeune, travailler le lien avec les familles. À cette époque, les familles étaient écartées duprocessus, les jeunes faisaient toute une carrière en placement. »

D’emblée, Guy De Clercq mène des réflexions approfondies sur les pratiques du secteur. Avec le nouveau décret de 1991 qui dépoussière la loi de 1965sur l’Aide à la jeunesse, il estime qu’il est temps pour lui de prendre « ses responsabilités » dans un sens plus politique du terme. Il quitte ses fonctions dedirecteur au Toboggan et devient conseiller adjoint de l’Aide à la jeunesse à Mons en 1992. Cinq ans plus tard, c’est comme directeur de l’Aide à la jeunesseà Tournai qu’on le retrouve. Il s’est familiarisé avec le décret, ses arcanes, ses subtilités, ses faiblesses. En 2004, c’est donc tout naturellementqu’il anime et préside le comité de pilotage des fameux Carrefours de l’Aide à la jeunesse, pour « réfléchir à ce que nous avions fait dudécret ». Cette fois encore, on vient le chercher pour prendre le relais à la tête du CCAJ6 qu’il pilote depuis deux ans. « Ma vie est aussi faited’étapes privées et familiales. On évolue et on voit les choses différemment quand on a des enfants… », précise-t-il, au cas où l’onaurait oublié que ce qui fait une carrière, ce n’est pas seulement le professionnel mais, aussi, l’homme.

1. Secrétariat du conseil communautaire de l’Aide à la jeunesse (CCAJ) :
– adresse : bd Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 41 88
– site : www.ccaj.cfwb.be
– Le détail des missions confiées au CCAJ et la composition exacte du Conseil sont disponibles sur le site internet qui a été complètement remanié et misà jour.

2. Cabinet d’Évelyne Huytebroeck :
– adresse : place Surlet de Chokier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 801 75 11.
3. Voir : « Les ultimes remaniements du projetd’arrêté sur l’Aide en milieu ouvert » in AE n° 251.
5. La Cioc est la « Cellule d’information, d’orientation et de coordination ». Elle est composée de permanents aidés d’un système informatique qui permetde gérer au mieux les places disponibles dans les structures publiques comme privées de l’Aide à la jeunesse. Les informations gérées etgénérées par la Cioc devraient permettre d’établir des statistiques et d’avoir une vue d’ensemble du secteur.
6. Le président est élu avec un mandat de six ans.

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