On avait quitté les bassins de vie enseignement-formation-emploi presque fâchés il y a de cela un an. Un avant-projet d’accord de coopération a néanmoins été approuvé il y a peu en gouvernement conjoint interfrancophone
En juin 2012, plusieurs organes consultatifs comme le CESW (Conseil économique et social de Wallonie), le CESRBC (Conseil économique et social de la Région de Bruxelles-Capitale) ou la CCFEE (Commission consultative formation emploi enseignement) avaient remis un avis sur les résultats de deux groupes de travail mis en place pour réfléchir à deux aspects du projet : le découpage géographique des bassins de vie pour l’un, et les modalités d’appel à projets et de fonctionnement de ceux-ci pour l’autre. Si l’on dit « fâchés », c’est que ces organes avaient pointé deux sérieux problèmes : on leur demandait de se prononcer sur des aspects « particuliers et parcellaires » du système sans qu’ils puissent les inscrire dans une vision globale des bassins de vie. Et il existait un risque, pour Bruxelles, d’engendrer un énième « brol » qui aurait pu venir parasiter d’autres initiatives.
Des clarifications
Mais le 7 février dernier, le gouvernement conjoint interfrancophone régional et communautaire a approuvé, en première lecture, un avant-projet d’accord de coopération relatif à la mise en œuvre des bassins de vie. Si certains intervenants s’interrogent sur la valeur ajoutée du projet et craignent toujours qu’il ne devienne une « usine à gaz » vu notamment l’ensemble des niveaux de pouvoirs et des intervenants qu’il implique, le texte a au moins le mérite de clarifier certaines choses, même s’il soulève aussi plusieurs questions.
Premier détail d’importance : le système d’appels à projets a été abandonné. Deuxièmement : il existera neuf bassins de vie (huit en Wallonie et un à Bruxelles). Enfin, chaque bassin de vie et son instance (voir encadré) viendront remplacer les CSEF (Comités subrégionaux pour l’emploi et la formation) en Région wallonne et la CCFEE à Bruxelles, ce qui dans ce dernier cas évite que l’on crée une énième structure bruxelloise. Rayon fonctionnement, les instances devront établir, sur base d’analyse et de cadastres (en termes de besoin d’emploi, d’offre d’enseignement qualifiant et de formation professionnelle) et d’avis et recommandations éventuelles du CESW et du CESRBC, une liste de thématiques communes aux filières professionnelles et métiers et diffuser celle-ci auprès des opérateurs d’enseignement qualifiant, de formation professionnelle, d’emploi et d’insertion. Cette liste de thématiques aura pour objectif d’orienter et de favoriser l’adaptation de l’offre d’enseignement qualifiant et de formation professionnelle aux besoins socio-économiques du bassin de vie.
Chaque bassin de vie compte une instance, composée de huit représentants des partenaires sociaux francophones, huit représentants de la formation et de l’emploi et huit représentants de l’enseignement.
Les instances bassins de vie se réuniront au minimum quatre fois par an. Elles devront permettre un dialogue et une concertation permanente. Elles veilleront ainsi au niveau local à la cohérence de l’offre d’enseignement qualifiant et de formation professionnelle avec les besoins socioéconomiques constatés et l’offre d’enseignement et de formation existante sur le bassin de vie. Elles veilleront également au développement des politiques croisées en matière de formation professionnelle, d’enseignement qualifiant, d’emploi et d’insertion mises en œuvre conjointement par la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Wallonie et la Commission communautaire française.
Autre point important : les instances bassins de vie devront développer des pôles de synergie afin de permettre l’émergence de projets communs censés améliorer les dispositifs locaux d’enseignement qualifiant, de formation, d’emploi et d’insertion. Elles détermineront pour ce faire les pôles qu’elles développent et leur nombre en fonction des secteurs d’activité, filières professionnelles et métiers qu’elles ont identifiés. Un rôle d’avis leur sera aussi dévolu.
Et plusieurs questions
Cela dit, plusieurs questions subsistent. Celle des missions et des moyens affectés aux instances, tout d’abord. Si l’on se dirige en principe vers un élargissement des missions des ex-CSEF et CCFEE (ce qui voudrait dire que ces organes garderaient leurs missions actuelles, agrémentées de nouvelles), la question de l’argent revient souvent sur la table puisque l’avant-projet d’accord de coopération prévoit que les moyens de fonctionnement et de personnel des CSEF et de la CCFEE soient maintenus et affectés aux instances pour la réalisation des missions visées par l’accord de coopération. Cela veut-il dire que les anciennes missions ne seront plus financées ? Si elles le sont, sera-ce assez compte tenu du fait que les missions dévolues aux instances seront logiquement plus nombreuses (pôles de synergie) et qu’aucun budget supplémentaire n’est prévu ? Et puis surtout, ne risque-t-on pas de voir surgir certains conflits entre partenaires à ce niveau ? « L’impact budgétaire et l’origine des moyens n’a pas encore été discuté, prévient d’ailleurs Philippe Mattart, chez de Cabinet chez André Antoine (CDH), ministre wallon de l’Emploi. Nous allons devoir rediscuter du financement des instances, nous ne souhaitons pas que le Forem soit la vache à lait des bassins de vie. »
Autre point que l’on peut soulever : une « interférence » possible entre les bassins et les ministres fonctionnels. Eric Buyssens, directeur du Bureau d’études de la FGTB de Bruxelles1, note d’ailleurs, outre le bon accueil de l’accord par les partenaires sociaux, que le fait que les avis et recommandations du CESRBC puissent servir de base à la liste de thématiques établie par les instances constitue « une petite révolution. Le CESRBC entre dans le jeu et va pouvoir se prononcer sur l’enseignement. C’est presque une forme de régionalisation de l’enseignement ». Une région qui, à Bruxelles, entre ainsi dans le débat « par la fenêtre », après que les intervenants aient renoncé à l’impliquer (seule la Cocof est présente) pour cause de trop grande complexité institutionnelle. « Il a d’abord été envisagé d’impliquer la Région et d’embarquer les néerlandophones, mais cela devenait très compliqué, on touchait là aux notions de zone métropolitaine, etc. », nous confirme-t-on au cabinet de Rachid Madrane (PS), en charge de la formation professionnelle à la Cocof.
Enfin, d’autres interrogations subsistent : qui sera l’« autorité » faîtière des bassins ? Le pilotage proposé de l’enseignement et de la formation ne risque-t-il pas d’être un peu « léger » lorsque l’on sait qu’il sera possible d’ouvrir une option dans un établissement scolaire ou une filière de formation ne s’inscrivant pas dans la liste des thématiques définies par les instances ? Tout au plus la création de l’option sera-t-elle alors soumise à des conditions plus contraignantes. Et pour la formation, le Forem ou Bruxelles-Formation devront justifier la création de celle-ci.
Quant aux positions des CSEF ou de la CCFEE, elles sont réservées. A la CCFEE, on nous précise qu’il n’y a pas encore d’avis officiel sur le texte. Les CSEF contactés ont pour leur part préféré ne pas se prononcer.
1. Bureau d’études de la FGTB :
– adresse : rue de Suède, 45 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 552 03 56