Quand on est sans abri, marcher, c’est survivre. Se nourrir, se mettre à l’abri des intempéries, se doucher ou encore déposer son lourd sac dans une consigne: les personnes sans toit déambulent dans la ville d’un lieu à l’autre. Ils la sillonnent, aussi, pour tuer l’ennui. De l’information à destination du public précarisé à la dénonciation des politiques publiques, la pratique de la cartographie peut-elle porter secours à leurs pieds malmenés et à leurs âmes embrumées?
Vous soulager, vous réchauffer sous le jet brûlant de la douche en hiver, vous désaltérer avec un grand verre d’eau glacé ou vous enfiler un petit-déj et un bon café au réveil… Chez vous, vous n’avez que quelques mètres à parcourir pour satisfaire, sans trop de tourment, ces besoins élémentaires. Pour les sans-abri, chacune de ces opérations prend l’allure d’un parcours du combattant. Car, à défaut d’un toit, ils disposent d’une maison fictive éclatée sur le territoire, et certains de leurs besoins peuvent être assouvis… aux quatre coins de la ville. Encore faut-il qu’ils sachent où.
À Bruxelles, toutes le s informations concernant les lieux qui offrent des services et activités pour répondre aux besoins des personnes en rue sont depuis peu regroupées sur la plateforme en ligne survivinginbrussels.be. Le projet, monté depuis quatre ans par des travailleurs sociaux et des bénévoles, a été lancé officiellement après avoir été testé par le secteur associatif et le public cible.
L’application, disponible sur le web, sur smartphone mais aussi sur des bornes interactives qui seront installées dans les associations (et, à terme, en rue et dans les gares idéalement), s’utilise de manière intuitive et repose sur une arborescence basée sur les besoins variés que peuvent rencontrer les personnes en situation de précarité: hébergement, repas, activités, santé, hygiène… ou plus largement, divers types d’accompagnement social. Elle regroupe aujourd’hui une septantaine d’associations et 426 «activités».
Des initiatives citoyennes fleurissent aussi sur le territoire. Des frigos solidaires ont vu le jour à Bruxelles et ailleurs (il y a en sept sur le territoire de la Région-Capitale) et une Rolling Douche, service d’hygiène mobile dans un motorhome, circule aussi dans le Pentagone deux ou trois fois par semaine.
Dessiner la réinsertion
Ces associations, lieux de passage nécessaires pour assouvir les besoins de base, définissent les circuits empruntés. Des parcours qui se dessinent selon leur localisation, mais aussi leurs rythmes d’ouverture (qui diffèrent en semaine et le week-end) et leurs conditions d’accès (hommes ou femmes/chiens admis ou non…). À ces espaces associatifs s’en ajoutent d’autres, plus spontanés, qui font office de refuges temporaires, comme les parcs ou le métro. À Grenoble, divers travaux de recherche ont tenté de comprendre comment les sans-abri vivent la ville et le territoire. Objectif: esquisser sur le plan de la métropole française les parcours dans lesquels ils sont enfermés, leurs interactions avec le milieu urbain et interroger l’équipement public dans une visée d’hospitalité et de réinsertion.
Dénoncer l’exclusion
L’équipement urbain peut être hospitalier mais aussi dissuasif. Car les rythmes des sans-abri croisent ceux des travailleurs ou des touristes. Des rencontres parfois conflictuelles, et cela les pouvoirs publics l’ont bien compris. Certains d’entre eux érigent ici et là un mobilier urbain, souvent qualifié d’«anti-SDF», afin de «gérer» leur utilisation par les publics marginalisés.
À Toulouse, une dizaine de militants du parti politique La France insoumise (LFI) ont procédé à une cartographie détaillée de ce mobilier dissuasif. Ils ont quadrillé la ville, photographié leurs trouvailles avant de les poster sur une carte interactive. Accoudoirs sur des bancs publics, reliefs empêchant de se reposer sur une surface plane, picots le long d’une vitrine, toutes les installations qui empêchent de s’allonger, s’abriter, s’asseoir sont mises en lumière sur Google Maps afin de dénoncer cette mise à l’écart des sans-abri du centre-ville.