Un nouveau décret sur les centres culturels sera bientôt soumis au vote des parlementaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Historique et enjeux d’un secteur-clé des politiques culturelles.
On gardera peut-être ce décret comme une des clés de la politique des deux mandats successifs de la ministre de la Culture, Fadila Laanan. Il est en tout cas le fruit d’une longue concertation avec le secteur, menée indépendamment des Assises du développement culturel territorial dont on attend un atterrissage dans quelques mois. « Le chantier fut ouvert par la ministre après avoir constaté que les référentiels et le langage commun n’existaient plus dans le secteur », explique Luc Carton, chargé d’inspection à la direction générale de la culture. Le texte donne une nouvelle définition du centre culturel. Pour l’inspecteur, c’est une petite révolution : « On revient à un fondamental avec pour objectif d’augmenter la capacité des populations à se représenter la société et par là même agir sur elle. Bref, la réflexion ne part pas de l’offre culturelle mais bien des populations. »
Du côté du cabinet de Fadila Laanan, on insiste sur la modification profonde du paysage culturel depuis 1992, lors de l’adoption du précédent décret. « Comme hier, les centres culturels demeurent la pierre angulaire de ce paysage. Ce sont les centres culturels qui assurent un « service universel de la culture ». Aux concepts fondamentaux, s’ajoute aujourd’hui une notion cardinale : le droit à la culture », y soutient-on.
Pour Thomas Prédour, directeur de la Vénerie à Boitsfort, le décret de 1992 était déjà excellent. Les notions de démocratisation de la culture et de démocratie culturelle s’y trouvaient largement étayées. « Sans verser dans la caricature, on a voulu faire du neuf avec du vieux. On avait déjà un bon décret. C’est un travail énorme par rapport au résultat, même si je rends hommage à ceux qui l’ont fait. La méthode de concertation a permis que les réalités de terrain soient prises en compte », reconnaît-il.
Décloisonner, coopérer, se spécialiser
Pour la ministre, il a paru essentiel de favoriser la reconnaissance – et donc le subventionnement – non plus d’une institution mais d’un projet culturel. Luc Carton nous détaille les changements essentiels guidés par trois principes : le décloisonnement, la coopération et la spécialisation. « Tout d’abord, on réaffirme l’existence d’un métier commun et le texte reprend la notion d’analyse partagée de territoire », soutient-il. Pour lui le décloisonnement se fait à la fois entre les secteurs, entre les territoires et les domaines d’activités. « Avec le décret, des matières comme le développement rural, l’aménagement du territoire, la cohésion sociale deviennent des champs légitimes de l’action des centres culturels », estime-t-il.
Deuxième principe : la coopération. « C’est logique. Si on décloisonne, on doit coopérer. Je me permets un parallèle métaphorique avec le fonctionnement de l’Union européenne, assène Luc carton, inciter les coopérations pour abolir les frontières». Directeur du centre culturel de Soumagne, Joseph Reynaerts ne croit pas trop à l’association de plusieurs communes de manière administrative. « Mais cela peut se faire autour de projets. On collabore déjà avec d’autres communes comme sur le festival Paroles d’homme qui associe sept ou huit communes partenaires », défend-il en rappelant le développement de pôles de collaboration au sein de la coordination des centres culturels liégeois. « Cela établit une bonne dynamique principalement en « jeune public », en « musiques actuelles » et en « questions de société ». D’autres pôles restent à créer », estime-t-il.
A Bruxelles, les choses se posent différemment. « Je ne suis en tout cas pas d’accord avec l’idée qu’il y aurait trop de centres culturels. Par ailleurs, on n’a pas attendu le décret pour faire des choses ensemble », rappelle Thomas Prédour, en confiant envisager de créer avec Wolubilis un axe porteur pour le sud de Bruxelles.
Tous à 100 000 euros ?
Troisième principe : la spécialisation. «Mais deux aspects seront en tout cas normés : la diffusion en Arts de la Scène et l’action culturelle intensifiée. La question de la diffusion est importante car certaines infrastructures coûtent cher en équipement et en équipes. Quant au label « action culturelle intensifiée » (une notion fort vague…), il permettra de maintenir les anciens centres culturels régionaux ou certains gros centres urbains à leur niveau de subvention actuel.
« La spécialisation peut fonctionner comme les arts plastiques à Marchin. Nous n’en développons pas. Si nous le faisons, ce sera sans doute avec d’autres centres culturels », nous dit Joseph Reynaerts. Pour Thomas Prédour, elle permettra d’assumer ses choix. « On fait déjà beaucoup. Exemple : la fête des fleurs. On ne se sent pas très reconnus. Donc, on hésite à continuer en 2014. Il y a évidemment un risque d’arbitraire pour arriver un objectif de niveau de subvention. Nous sommes à 203 000 euros. Le décret nous fera tomber à une base de 100 000. Nous irons sans doute vers une spécialisation en arts de la scène et vers l’action culturelle intensive pour compléter. On devra en tout cas faire les bons choix », explique le directeur de la Vénerie.
L’article 69 du décret permettra aussi aux centres culturels d’émarger pour des projets à d’autres secteurs. « Certains centres culturels le faisaient déjà mais cela relevait plus de la flibuste », relève Luc Carton. Demain, cette manière de faire sera plus légitime. « Certains centres culturels développent déjà une activité relevant de secteurs particuliers. Des crédits budgétaires spécifiques y sont d’ailleurs consacrés. Mais les instances d’avis de ces secteurs ne sont informées ni des projets concernés, ni des moyens octroyés », précise le cabinet de la ministre rappelant un élément important : aucun montant et aucune subvention ne sera soustraite aux secteurs concernés. « Il serait erroné de croire à un pillage budgétaire. Les critères seront sévères et les centres culturels candidats à cela devront avoir des relations intensives avec le secteur », souligne Luc Carton.
Reste évidemment à évaluer l’impact budgétaire de la réforme en cette période où l’argent public est rare. Si chaque centre culturel aura un minimum de 100 000 euros, cela pourrait amener des financements plus importants des pouvoirs locaux qui doivent amener au moins les mêmes moyens dans chaque centre culturel. « Le budget global du secteur est d’un peu moins de 25 millions d’euros, c’est environ le budget de l’Opéra royal de Wallonie… Il faut éviter de servir de caution à une politique où tous les moyens seraient concentrés sur les gros opérateurs », prévient Thomas Prédour émettant une idée qui ne manque pas d’intérêt. « Pourquoi pas un décret-cadre faisant le lien entre les bibliothèques, les centres culturels, les maisons de jeunes, les centres d’expression et de créativité, etc. On dit souvent qu’au niveau local, c’est au centre culturel de piloter, mais nous ne sommes pas nécessairement légitimés pour le faire », nous glisse-t-il. Un bel enjeu pour la prochaine législature ?