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Les Centres d’expression et de créativité plantent leur tente à Tournai

En février, ils « se livraient » à la foire du Livre. En mai, ils « s’exposent » à la Maison de la culture de Tournai1 et s’ymettent en débat. Après-demain, ils se décréteront. Les Centres d’expression et de créativité (CEC) sont sous les projecteurs.

19-05-2006 Alter Échos n° 208

En février, ils « se livraient » à la foire du Livre. En mai, ils « s’exposent » à la Maison de la culture de Tournai1 et s’ymettent en débat. Après-demain, ils se décréteront. Les Centres d’expression et de créativité (CEC) sont sous les projecteurs.

Être CEC, c’est compter parmi les quelque 170 ateliers qui relèvent du secteur de l’éducation permanente en Communauté française pour leurparticipation à une « dynamique culturelle de proximité ». « Le principe, explique-t-on du côté de l’administration2, est d’offrirà des publics très diversifiés : adultes, enfants, ados, valides ou handicapés, aisés ou fragilisés… là où ils vivent : à lacampagne, à la ville, dans les quartiers riches et pauvres, un cadre où s’exprimer, se révéler à soi-même en se confrontant aux processus decréation ». « L’objectif commun aux Centres d’expression et de créativité est de mettre les participants aux ateliers en position d’acteursculturels, souligne la fédération pluraliste des CEC3 qui regroupe une centaine d’entre eux, plutôt que de les confiner dans le rôle de simplesconsommateurs des créations artistiques et en particulier des plus médiatisées. » Et d’ajouter: « (…) les CEC se différencient des institutions sociales etculturelles dont ils sont voisins. Les CEC répondent à des besoins que ne rencontrent pas ces institutions. Par exemple, à la différence des académies, les CEC nevisent pas à l’acquisition individuelle de techniques artistiques mais à une démarche en commun pour développer un langage artistique et l’utiliser dans unecréation collective. »

S’exposer

Alors que les couloirs du service au ministère de la Communauté française voient s’exposer aux regards des quelques maigres visiteurs le résultat de ces processusde création et d’expression, décision est prise de sortir ces créations et de les montrer au grand public. Une exposition à Tournai aujourd’hui, mais nomadesans doute à l’avenir, donne à voir des œuvres de CEC. À la fois à partir de la collection du ministère, catalogue de trente ans d’existence.À la fois à partir d’une démarche singulière de dialogue avec cinq artistes belges (Johan Muyle, plasticien, Edith Dekyndt, plasticienne, BénédicteLiénard, cinéaste, Bob Vanderdob, compositeur, Jean-Pierre Verheggen, écrivain) et de création pour l’occasion.

Parmi eux, la cinéaste Bénédicte Liénard, conviait à la réalisation de « cartes de visite vidéographiques », dont le résultatpeut être visionné en parcourant l’exposition. Elle évoque le processus : « C’est la rencontre d’un artiste avec un groupe d’animateurs dans le cadred’un projet monté par une institution, en l’occurrence la Communauté française. C’est un pari ardu, une expérience riche mais parseméed’embûches. » L’objectif d’exposer la taraude : « Faut-il protéger le processus en cours par rapport à l’objet ou s’approprierl’objet et lui donner une forme artistique qui ne reflète pas vraiment le processus ? » Un fameux débat pour un cadre à l’intersection de la créationartistique et de l’éducation permanente. La cinéaste a perçu, quant à elle, au travers de cette expérience une « vraie tension entre le processus quiest de l’ordre de l’invisible et les résultats tangibles appelés à être rendus visibles. Ce qui conduit inévitablement, poursuit-elle, à se poserdes questions par rapport à ce qu’est l’art mais aussi par rapport à une conscience de la richesse et du potentiel culturel d’un secteur qui s’interroge sur sesenjeux. Une recherche de sens dans sa dimension politique n’est-elle pas nécessaire pour tendre la corde de l’arc – de l’art – et tirer tous ensemble ?»

Se mettre en débat

Comment mettre en avant le travail des CEC ? C’est le pari pris et tenu ce lundi 15 mai par les services de l’Éducation permanente et de la Créativité et de laFormation des cadres culturels4 de la Communauté française, l’ASBL Culture et démocratie5 et la maison de la culture de Tournai. Journée deréflexion organisée dans le cadre de leur trentième anniversaire à partir d’une culture perçue comme levier de changement, indissociable de l’actionsociale.

« Le service de l’Éducation permanente et de la Créativité a pour principale mission d’œuvrer au développement de ladémocratie culturelle, c’est-à-dire à l’expression culturelle, individuelle ou collective de tous les groupes sociaux et culturels ainsi qu’à lareconnaissance et la valorisation culturelle et sociale de ces groupes et personnes », rappelle d’emblée Patricia Gérimont, responsable du service à la DG Culture,à l’ouverture de la journée. D’expression collective, il est bel et bien question dans un espace transformé pour l’occasion en vaste camping où semélangent harmonieusement images, sons, textes ou sculptures issus de l’imaginaire de plus de huit cents participants depuis mars 2005.

Des débats, il ressort que c’est plus le chemin qui compte et moins la destination. « Petit à petit, on se rend compte qu’on est engagé dans un voyage dontla destination finale n’a plus grande importance. La perspective de l’exposition devient un détail. C’est le processus, le chemin sur lequel on marche qui compte […]Et comme dans tout voyage, il y a des trains manqués », témoigne Bernadette Vrancken du CEC Espace jeunes à Seneffe. La particularité des CEC, contrairement àla vision privilégiant le « beau » dans l’art, est que chacun doit y trouver son compte. Un premier écueil repris par plusieurs intervenants est le manque derégularité. Isabelle Van de Maele du CEC-LST Namur6 commente la tente réalisée par un groupe mixte composé entre autres de personnesprécarisées : « Parmi le groupe, nous avions une femme SDF qui ne pouvait venir qu’une fois sur deux voire une fois sur trois à l’atelier. Question de pouvoirchercher un logement social ». Comme de fait, plusieurs travailleurs sociaux manifestent leur désarroi face à des ateliers parfois vides… quand ce ne sont pas lesanimateurs qui désertent !

Une seconde pierre d’achoppement est l’interventionnisme plus ou moins marqués de certains artistes-animateurs qui pourraient être tentés de « retoucher» des œuvres pourtant spontanées en vue d’en améliorer la visibilité externe, visibilité qui n’est pourtant pas l’objet premier des CEC,comme le souligne Christine Mahy du CEC « Le Miroir Vagabond »7situé à Hotton en milieu rural. « Nous ne travaillons que très rarement à lacommande, et si quelqu’un demande s’il peut venir « voir ce qui se passe », c’est non ! Ou tu participes ou tu passes ton chemin. » Le vedettariat n’a pas sa place dans lecadre des CEC.

Le choix des partenaires apparaît primordial. Mariska Forrest des Ateliers de la Banane à Saint-Gilles8 met en avant l’importance de travailler avec des acteurssociaux ayant le même « langage ». À travers les échanges de ce 15 mai, force est de constater que trop de CPAS méconnaissent les CEC et voient la cultured’un point de vue passif et très restrictif (ex : excursions à Walibi, sortie au théâtre avec les tickets de l’Article 27, etc.) plutôt que de penser entermes d’implication directe des allocataires dans le processus culturel qui leur permet pourtant d’exprimer – directement ou indirectement – leur ressenti. Que faire des 6,2millions d’euros récurrents destinés aux activités culturelles, sociales et sportives des CPAS et décidés en 1999 par Johan Vande Lanotte9, alorsministre de l’Intégration sociale ? Pour beaucoup, la culture n’est qu’une cerise sur le gâteau…

Des dénominateurs communs existent entre la culture et le social

Cette journée de réflexion aura mis en avant la nécessité de briser les préjugés et stéréotypes des acteurs de ces deux domaines pourtantcomplémentaires. Les exemples de collaboration entre partenaires sociaux et culturels peuvent mettre de côté, pour un temps, les divergences d’intérêts (parexemple, faut-il investir dans l’insertion socioprofessionnelle ou la culture, pour un CPAS ?), comme en témoigne l’expérience menée à Charleroi par le CECCouleurs quartiers10. Lydwine Frennet, architecte, a animé un projet intergénérationnel à partir de quatre écoles de quartiers paupérisés,pour s’étendre ensuite aux parents et à des personnes en ISP qui ont mis à profit les créations des enfants pour rouvrir au public un parc jusqu’alorsfermé à clé, en créant le « Crawaa », sorte de caverne géante renfermant un trésor enfoui par les enfants eux-mêmes. Histoire demêler architecture urbaine et mieux-vivre dans le quartier.

« Le zoo, l’usine et la prison » : un film pour réfléchir

Le CEC Le Coron de Mons1 et le Gsara (Groupe socialiste d’action et de réflexion sur l’audiovisuel)2 coproduisent cette fiction basée sur vingtannées de travail dans les quartiers populaires. Réalisé par Jean-Pierre Griez (Le Coron) et Eve Duchemin (Insas), ce récit est celui de Lila, jeune Marocaine, qui se voitcontrainte de travailler comme animatrice à l’Atelier suite à un vol commis avec une bande de malfrats. Marquée par la mort accidentelle de son père aux forges deClabecq, elle se lie à Manon, gamine de dix ans gravement malade dont le père est licencié de l’usine qui ferme. Ce film est celui de la lutte : lutte pour un emploi, luttepour plus de justice sociale…bref : lutte pour la vie !

Le Coron invite le monde associatif à projeter le film dans les centres de jeunes, centres culturels, sections syndicales ou autres afin de sensibiliser le tout public aux questions de laprécarité multidimensionnelle.

1. Le Coron, rue du Cerisier 20 à 7033 Mons – tél. : 065 84 19 01 – contact : Jean-Pierre Griez – courriel : lecoron@hotmail.com
2. Gsara, rue du Marteau, 26 à 1210 Bruxelles – tel: 02 218 58 85 – site : http://www.gsara.be

Se décréter

Parallèlement à ces réflexions, l’heure est aussi à la révision du cadre législatif et financier. La circulaire vieille de trente ans quirégit le secteur devrait laisser place à un décret. Les négociations sont en cours entre le cabinet de la ministre Laanan, en charge de la Culture11 et lafédération pluraliste des CEC.

Une grille de critères d’évaluation et de reconnaissance est en construction, avec le souhait de dépasser le cadre actuel, où la jauge est quantitativeessentiellement – nombre de personnes touchées, nombre d’heures. Aller « au-delà de l’apprentissage d’une technique », « implication desparticipants », « qualité des animateurs fondée sur la maîtrise d’un langage artistique et d’un savoir-faire pédagogique », « contactavec les œuvres et les milieux artistiques »… compteraient parmi les critères obligatoires à l’avenir. Viendraient s’y adjoindre des critèrescomplémentaires tels que la mixité des publics, s’adresser à un milieu justifiant une discrimination positive, la formation continue des animateurs,l’interdisciplinarité, etc. La grille précise les critères en fonction de deux niveaux distincts par le degré d’application du critère. Exemple: pour lecritère « accessibilité du public », le niveau 1 se définit comme « politique de prix adaptée et/ou dispositions pour ouvrir les ateliers à denouvelles personnes »; le niveau 2 spécifie « démarches visant à intégrer les publics qui ne viendraient pas au CEC sans celles-ci: soit ramassage, soitdécentralisation, soit diffusion intensive du programme du CEC visant à toucher un public large… ».

En termes financiers, « on réclame la misère des centres de jeunes », diront avec dépit certains. L’hypothèse en discussion tableait sur le regroupement deproximité de petits CEC. Les réalités des ateliers sont, en effet, diverses. Certains CEC sont abrités sous une structure « parapluie » comme un centreculturel, une maison de quartier…, d’autres fonctionnent grâce au bénévolat avec un travail d’expression qui n’est pas nécessairement abouti. LeC-paje, Collectif pour la promotion de l’animation jeunesse enfance12, qui compte parmi ses affiliés une vingtaine de CEC, craint la dé-reconnaissance de ces derniers. Et lafédération pluraliste, qui, elle, est à la table des négociations, de projeter « des moments difficiles avec l’octroi de subsides de plus en plussélectifs ». Tous cependant voient d’un bon œil le travail de consolidation entamé.

1. Maison de la culture de Tournai (centre culturel transfrontalier), bd des Frères Rimbaut à 7500Tournai – tél. : 069 25 30 80 – contact : Jacky Legge (animateur).

2. Service de l’Education permanente. Direction générale de la Culture. Ministère de la Communauté française, bd Léopold II, 44 à 1080Bruxelles – tél. : 02 413 25 27 – contact : Patricia Gérimont (responsable du secteur CEC).
3. Fédération pluraliste des centres d’expression et de créativité (FPCEC), rue Henri Lemaître,25 à 5000 Namur – tél. : 081 71 15 94.
4. Ministère de la Communauté française, Service de la Formation des cadres culturels, bvd. Léopold II 44 à 1080 Bruxelles – tél. : 02 413 25 33– site : http://www.fcc.cfwb.be
5. Culture et démocratie, rue de la Concorde 60 à 1050 Bruxelles – contact : Sabine Verheslt – tél : 02 502 12 15 – courriel : cultureetdemocratie@pro.tiscali.be – site : http://www.cdkd.be
6. LST Namur Le Pivot Culturel, rue Pépin 64 à 5000 Namur – contact : Isabelle Van de Maele – tél. : 081 22 15 12 – courriel : namur@mouvement-LST.org
7. Miroir Vagabond, Vieille Route de Marenne 2 à 6990 Bourdon (Hotton) – tél. : 084 31 19 46 – contact : Christine Mahy – courriel : miroirvagabond@scarlet.be
8. Les Ateliers de la Banane, rue du Métal 38 à 1060 Bruxelles – tél. : 02 538 45 36 – contact : Mariska Forrest – courriel : bananeatelier@swing.be
9. Texte disponible sur le site de Culture et démocratie : http://www.cdkd.be
10. Couleurs Quartiers, bvd. Bertrand 1-3 à 6000 Charleroi – tél. : 071 202 984 – contact : Lydwinne Frennet – courriel : l.frennet@charleroi-culture.be
11. Cabinet Laanan, place Surlet de Chokier, 15-17 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 213 17 00 – contact : Denis Dargent.
12. C-Page, rue des Prébendiers, 1 à 4020 liège – tél.: 04 223 58 71 –site : http://www.c-paje.net

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