Les marchands de sommeil font face aux autorités. Bonne nouvelle, les communes se mobilisent. À Molenbeek et Charleroi, de nouvelles procédures s’annoncent plus efficaces.
L’échevin du Logement de Molenbeek, Karim Majoros (Écolo), semble particulièrement déterminé à enrayer l’activité des marchands de sommeil sur sa commune. « Il s’agit d’un problème récurrent qui s’amplifie depuis dix ans, mais il faut distinguer les propriétaires défaillants des quelques professionnels : une vingtaine de propriétaires qui ont plusieurs bâtiments sur plusieurs communes. Derrière ce phénomène, il y a toute une économie informelle et des filières de blanchiment qu’il faut combattre. »
Frédéric Degives, directeur de l’Inspection régionale du logement, rappelle la définition au sens pénal. « Le code pénal est assez précis. Deux critères entrent en compte : bénéficier d’un profit anormal et abuser de la situation de précarité des locataires. Les sanctions sont sévères. Elles peuvent aller jusqu’à des peines de cinq ans de prison et la confiscation des bâtiments », nous explique-t-il tout en regrettant que les chefs d’inculpation soient difficiles à établir.
Ornella Cenzig, l’échevine de l’Urbanisme et du Logement de Charleroi (MR), explique pour sa part les postulats du plan Vauban mis en place à Charleroi. « Il faut faire respecter les règles : c’est la nécessité. Il y a plusieurs cas de marchands de sommeil à l’instruction, le parquet est très attentif à ces dossiers », nous dit-elle.
Frapper là où ça fait mal
Au-delà de l’aspect pénal, il y a l’aspect financier. Tous les interlocuteurs soulignent les profits énormes faits par les marchands de sommeil sur le dos d’une population constituée d’illégaux et de gens en situation précaire. Pour Karim Majoros, la taxation est un outil important. « Nous avons augmenté la taxe d’inhabitabilité. Elle est de 2 000 euros par unité de logement. C’est un outil de persuasion que nous utilisons avec parcimonie. L’objectif n’est pas de remplir les caisses communales. Mais ceux qui veulent se faire du pognon, on n’hésitera pas à manger leurs marges ! », prévient-il.
La situation est différente à Charleroi. « Depuis le 13 août 2013, la Wallonie permet aux villes de fixer des amendes. Nous sommes en train de réfléchir à la mise en place d’un nouveau règlement de police. Des amendes administratives pouvant aller jusque 15 000 euros en fonction de l’infraction pourraient être possibles », annonce l’échevine.
Du côté de la Région bruxelloise, les outils administratifs contre les mauvais bailleurs sont en place : la mise en demeure, l’application d’amendes qui peuvent monter jusque 25 000 euros, l’interdiction de la mise en logement. En huit ans, 4 027 plaintes ont été introduites dont 555 en 2012. « En général quand un logement a été interdit à la location, il y a au moins une amende de 10 000 euros à laquelle on ajoute des montants selon chaque défaut technique. L’amende est d’office doublée en cas de récidive », précise Frédéric Degives, reconnaissant qu’aucune saisie de bâtiments suite à une décision judiciaire n’est jamais intervenue à sa connaissance. « Les recettes des amendes s’élèvent à 391 013,92 euros pour l’exercice 2012 », nous apprend la lecture du rapport annuel de la Direction de l’inspection régionale du logement (DIRL).
Grâce à la modification récente du Code du logement, la DIRL peut désormais agir d’initiative tout en traitant toutes les plaintes des locataires. « Leur contenu ne donne pas vraiment idée de ce qu’on va trouver. Une plainte d’une ligne peut déboucher sur une énorme affaire tout comme une litanie de trois pages peut se révéler une plainte abusive », décrit le directeur de l’Inspection qui estime que l’action d’initiative va renforcer son action. « L’exemple classique est la plainte concernant un logement dans un immeuble de douze logements. S’il y a des problèmes dans un, on peut présumer qu’il y en a dans d’autres. Cela pourra se révéler extrêmement important », précise-t-il.
Mauvais toit plutôt que sans toit ?
C’est sans doute le plus difficile dans l’action des pouvoirs publics. En cas de fermeture du bâtiment, ce sont les locataires déjà précarisés qui se retrouvent à la rue. À Molenbeek, on a essayé de prévenir la situation. « Avant, nous n’avions pas de logement de transit, ce qui compliquait la situation. Nous avons réussi à en créer vingt, ce qui permet d’affronter plus de relogements d’urgence », assure l’échevin molenbeekois qui affirme enregistrer plus de plaintes qu’avant. « Cela traduit essentiellement une plus grande confiance dans l’administration », estime-t-il en taclant l’ancienne majorité.
À Charleroi, lors d’une interdiction de location où 24 logements ont dû être fermés, tout le monde a pu être relogé. Les nouveaux plans prévoient 16 logements de transit supplémentaires. « Ce sont des dossiers prioritaires qui seront présentés au conseil communal du 4 novembre. Cela portera le nombre de logements de transit à 41, soit la norme d’un logement pour 5 000 habitants », annonce Ornella Cenzig.
Pour l’avocat Alexis Deswaef, c’est le talon d’Achille de la loi. « La loi reste difficilement applicable sur le terrain à cause des risques d’expulsion. Celles-ci sont des victoires à la Pyrrhus. Il faut mettre en œuvre une procédure de confiscation des biens », nous glisse-t-il pour conclure. Bref, au-delà de l’action locale, il reste encore des normes à revoir.
L’administration communale aura bientôt une nouvelle fonction : le traqueur de marchands de sommeil. Son rôle ? Croiser les données de l’urbanisme, du logement, des rapports de police, du service population et aller les vérifier sur le terrain. « Nous ciblons les quartiers. Première priorité : le périmètre du contrat de quartier « Autour de Léopold II ». C’est un premier objectif qui va déborder car les propriétaires ont des biens ailleurs », nous dit Karim Majoros, l’échevin du Logement. Profil de fonction ? Résistance au stress, d’abord ! Les pressions morales existent. Autres qualités recherchées : bonne capacité d’analyse, capacité de travailler en réseau. De formation universitaire d’urbaniste ou d’architecte, il sera l’homme-clé d’une importante collaboration interservices. « Cela fonctionne. On sent l’objectif partagé. Il faut bosser sur des outils en créant de bonnes procédures et en travaillant sur des outils communs de bases de données », se félicite l’échevin.
Vaste plan de relance et de sécurisation du quartier de la Ville-Haute à Charleroi, le plan Vauban a aussi son volet Logement. « On a principalement pris une nouvelle circulaire en 2013 interdisant les subdivisions dans les maisons unifamiliales de moins de 180 mètres carré. Parallèlement, nous avons mis en place une cellule de contrôle », souligne Ornella Cenzig, échevine de l’Urbanisme et du Logement. Ainsi, la rue Chavanne dans le quartier de la Ville-Haute a été entièrement contrôlée, soit 37 bâtiments et 164 logements. « Du point de vue strictement urbanistique, 12 bâtiments sur les 37 avaient fait l’objet de subdivisions sans permis d’urbanisme ! », remarque l’échevine. Des mises en conformité ont été ordonnées : neuf sont terminées, trois autres en cours. Le CPAS a été intégré à la cellule contrôle pour l’accompagnement des locataires. Différents canaux sont mobilisés : les acteurs de terrain, La Sambrienne (société de logements de service public) via la création d’un comité d’attribution des habitats d’urgence et l’agence immobilière sociale (AIS) via l’engagement d’une capteuse de logements.