Les boîtes mail commencent déjà à tourner au ralenti et la sonnerie du téléphone à se faire plus discrète. Même notre fil d’infos s’apprête à prendre congé de ses lecteurs jusque mi-août. Plus de doutes, les vacances sont là. Un temps de répit bienvenu pour dévorer tous ces beaux livres qui nous font de l’œil dans les étals des librairies. Cet été l’équipe d’Alter vous a concocté une petite sélection de ses ouvrages préférés. Bd’s, romans, essais, drôles ou intellos, nouveautés ou classiques, à lire sans modération.
Campers et Capac
Nathanaël est jeune, Nathanaël travaille comme créatif dans une boîte de publicité. Ses journées commencent souvent à 10 heures, sont émaillées de rendez-vous et de cafés en terrasse, pour se terminer généralement par de gigantesques bitures. Pourtant, « Nath » perd son job du jour au lendemain lorsque son employeur met la clef sous le paillasson. À partir de ce moment, le jeune homme va tout faire pour conserver son image et son train de vie, les finances en moins après quelques mois. Rendez-vous, petits-dej’ à 12h30, soirées et mises sur pied de « projets » foireux vont se succéder dans un malström social composé d’individus semblables à lui : les bomeurs.
Bomeur, c’est une contraction entre « Bobo » et « Chômeur ». Toujours super occupés, connectés en permanence, armés de leur carnet Moleskine et de leur barbe de cinq jours savamment taillée, ils arpentent les troquets branchés de Paris – et de Bruxelles aussi d’ailleurs, ouvrez les yeux. Leur vie privée et l’image qu’ils se font d’eux a pourtant tout d’une petite descente dans les enfers du non-emploi. Drôle, punk, et parfois (très) déprimant.
Le Bomeur, Nathanaël Rouas, éditions Robbert Laffont.
Le bic de la révolte
Après des études aux Beaux-Arts de Lyon et une quantité de petits boulots, Louis Theillier entre comme ouvrier chez Johnson Matthey. En 2011, le producteur de pots catalytiques délocalise en Macédoine, laissant trois cents travailleurs de son usine bruxelloise sur le carreau. Avec le bic fourni par son employeur, Louis croque ce conflit social au jour le jour à travers un blog BD et une microédition qu’il distribue aux travailleurs et à la presse afin de médiatiser la situation et faire pression sur les négociations du plan social. Ce reportage au cœur d’une usine qui se bat contre le cynisme de ses dirigeants vient aujourd’hui d’être édité chez Futuropolis.
Johnson m’a tuer, journal de bord d’une usine en lutte, Louis Theillier, Futurpolis.
Lire aussi l’interview de l’auteur sur Références : un conflit social en BD
5000 ans d’ardoise
Il n’y a pas que Thomas Piketty qui parvienne à faire le buzz avec une brique sur l’économie de plusieurs centaines de pages. Dans un volumineux ouvrage de 600 pages, l’économiste et anthropologue américain, David Graeber, orienté par une vision altermondialiste, voire anarchiste, dépeint 5 000 années d’histoire de la dette. Un succès de librairie en forme de plaidoyer pour effacer l’ardoise.
Dette : 5000 ans d’histoire, David Gaeber, éditions Les liens qui libèrent, 2013.
Migration en altitude
– Ah oui, ça, c’est haut
Mamadou et Hicham regardèrent encore une fois en bas. La grue trônait Place De Brouckère. Personne ne les avait vus monter. Les ouvriers étaient partis à 17 heures en se tapant sur l’épaule en guise d’au revoir et les passants étaient bien trop pressés de passer.
C’est beaucoup trop haut, déglutit Mamadou, avalant parole et salive. Je n’arriverai jamais à rester ici. J’ai le vertige, je vous l’avais dit !
C’est le seul moyen de nous faire entendre.»
Dès la première ligne de ce roman, Olivier Bailly, dont vous avez parfois croisé la plume dans nos colonnes, nous fait prendre de la hauteur pour nous faire voir notre « terre d’accueil » du point de vue de trois sans-papiers qui veulent sortir de l’anonymat forcé pour négocier leur régularisation. Une fiction vertigineuse inspirée de son travail de journaliste sur le terrain.
Sur la grue, Olivier Bailly, éditions On Lit.
P comme prêt-à-penser
Vous avez aimé les ateliers de désintoxication de la langue de bois de Franck Lepage ? Vous allez adorer le dictionnaire du prêt-à-penser de Mateo Alaluf. Le sociologue de l’ULB, spécialiste des questions d’emploi, tient depuis plusieurs années une chronique démontant les pièges du « prêt-à-penser » dans la revue Politique. Couleur livre les édite aujourd’hui sous forme de dictionnaire.
58 pseudo-concepts qui fleurent bon l’air du temps : racisme anti-blanc, peur du vert, fenêtre d’opportunité, état providence actif, participation des travailleurs… « Pourquoi la contre-révolution néolibérale a réussi – depuis plus d’un quart de siècle – à s’emparer des esprits un peu partout dans le monde de manière aussi écrasante restera pour longtemps une énigme majeure. Comment cet exploit a été accompli, par contre, ne fait guère de doute. C’est par une OPA sur notre vocabulaire. » Nous dirons même plus, il ne suffit pas de changer les mots pour changer les maux.
Contre la pensée molle, dictionnaire du prêt -à-penser II, Mateo Alaluf, éditions Couleur livre.
Borgen made in France
En cette période de négociations gouvernementales, nous avons aimé relire la BD Quay D’orsay de Christope Balin, dont le scénario écrit par un ancien conseiller de Dominique Villepin, nous plonge les coulisses d’un cabinet politique où le stress, l’ambition et les coups fourrés ne sont pas rares… Mais loin des clichés sur le monde politique, la série montre aussi « une administration en mouvement, des équipes engagées dans une négociation complexe, des moments où il faut prendre des positions difficiles et les tenir », écrit Frédéric Potet dans Le Monde.
Quay d’Orsay, chroniques diplomatiques, Abel Lanzac et Christophe Blain, éditions Dagaud.
L’actu au ralenti
Le succès de la revue française XXI a démontré qu’il existe aujourd’hui un lectorat demandeur d’un autre traitement de l’information, avec des reportages au long cours, plus narratifs, des illustrations soignées, le tout financé sans la moindre pub. En Belgique, 24h01 se lance dans l’aventure des « magazine book ».