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Regard critique · Justice sociale

Les CPAS mettent les étudiants à toutes les sauces

En Wallonie, quasiment un tiers des bénéficiaires du DIS ont moins de 25 ans. Mais la proportion de ces jeunes remis aux études varie fortement d’une commune à l’autre,indique l’Institut pour un développement durable.

12-06-2009 Alter Échos n° 275

En 2002, les étudiant(e)s pouvaient (enfin), grâce à la loi sur le droit à l’intégration sociale, bénéficier d’un revenud’intégration auprès d’un CPAS. Très vite, des critiques ont émergé car il demeurait une zone « grise » permettant au CPAS unelibre interprétation en matière d’accès aux études, d’orientation et de réaction face à l’échec. Les premiers constats d’uneétude1 de l’Institut pour un développement durable2 tendent à conforter ces craintes.

Une étude précédente de l’Institut pour un développement durable (IDD) avait rappelé que près d’un tiers des bénéficiaires dudroit à l’intégration sociale (DIS) en Wallonie avaient moins de 25 ans. Dans la foulée de cette analyse, une nouvelle étude de l’IDD, diffuséedébut juin, examine plus avant les données disponibles relatives aux jeunes de moins de 25 ans. Depuis la loi de 2002 sur le droit à l’intégration sociale, qui a permis,rappelons-le, aux étudiants de bénéficier du revenu d’intégration sociale, le nombre de jeunes bénéficiaires du DIS a augmenté près de cinqfois plus vite que les autres tranches d’âge : + 26 % pour les 18-24 ans, + 6 % pour les 24-64 ans. En 2007-2008, 4 % des jeunes de 18 à 24 ans étaient au CPAS, soit un jeune sur25.

Cette augmentation peut être la conséquence de l’amélioration de l’accès pour les jeunes à l’aide du CPAS, depuis la loi de 2002. Elle peut être aussi uneindication de la précarisation croissante des jeunes (éclatement de la cellule familiale, paupérisation des parents), observée dans d’autres pays.

Des chiffres interpellants

À partir des données disponibles, l’IDD a pu tirer quelques observations riches d’enseignements. Ainsi, les études sont la formule la plus utilisée enmatière d’insertion des jeunes. Près de 40 % des jeunes bénéficiaires sont remis aux études, contre 6 % remis au travail. Mais la proportion de jeunesremis aux études varie fortement (de 0 à 70 %) selon les communes. Dans les neuf plus grandes communes wallonnes, les taux varient de 22 % à Charleroi, à53 % à La Louvière. Les CPAS ont en effet une large marge d’appréciation en matière de financement ou non des études pour les bénéficiaires duDIS. Une disparité qui n’est pas sans poser question à Philippe Defeyt3 et Olivier Hissette4, les deux auteurs de l’étude :« qu’est-ce qui explique de telles divergences entre les CPAS en matière de (re)mise aux études de jeunes bénéficiaires du DIS ? Par ailleurs, l’importance– absolue et relative – du nombre de jeunes bénéficiaires du DIS devrait également interpeller les responsables locaux et régionaux. On doit s’interroger surles causes qui expliquent que 4 % des jeunes sont amenés à recourir aux CPAS et s’inquiéter de l’insuffisance – quantitative et qualitative – des dispositifsspécifiques mis en place pour leur accompagnement. »

Pour les deux auteurs, il serait utile d’investiguer plus avant des questions portant sur la réussite aux études (les jeunes soutenus par les CPAS ont-ils des taux deréussite différents de ceux de l’ensemble des étudiants ?), la nature et la longueur des études suivies dans le cadre du DIS (ne cantonne-t-on pas, du moins danscertains CPAS, les jeunes dans certaines filières ?), la démocratisation de l’accès aux études supérieures (les CPAS y contribuent-ils et avec quelsuccès ?), les autres formules de formation proposées aux jeunes, etc. Le hic, aujourd’hui, c’est que les données collectées par le SPPIntégration sociale ne permettent pas ce genre d’analyse.

« Depuis une vingtaine d’années, nous pouvons constater que les problématiques étudiantes prennent de plus en plus d’ampleur dansl’actualité politique et sociale, concluent Olivier Hissette et Philippe Defeyt. La démocratisation de l’accès aux études supérieures a permis aussi demettre en lumière les difficultés de plus en plus prégnantes dans la vie des étudiant(e)s. Les associations étudiantes ont attiré l’attention despouvoirs publics sur cette réalité (cf. Alter Échos nº 267). Notamment en dénonçant le sous-financement des subsides sociaux qui alimentent les servicessociaux des établissements, du système de bourses d’étude ainsi que la critérisation et le contingentement de leur attribution.

Quand les services sociaux rencontrent les CPAS

Ces premières tendances observées par l’IDD viennent étayer les arguments avancés par la Fédération francophone des étudiants (FEF) quidénonce depuis longtemps la disparité observée sur le terrain entre CPAS quant à leur politique vis-à-vis des étudiants. Un constat égalementconfirmé par la Fédération wallonne des CPAS.

Lors d’un colloque organisé le 3 avril dernier par l’ULB sur le thème « L’action sociale des universités à l’attention desétudiants », nombreux ont été les témoignages d’assistants sociaux du service social de l’université mais également de CPAS,dénonçant les pratiques en vigueur à l’égard des étudiants bénéficiaires du RIS. Ainsi, Anita Mathieu, responsable du service social desétudiants de l’ULB5 constate que certains CPAS acceptent d’avancer les frais d’inscription en attendant l’arrivée de l’allocationd’étude, alors que d’autres imposent un prêt. Quant aux études à l’étranger, « certains CPAS les refusent tout bonnement, alors mêmeque Bologne prône la mobilité des étudiants ! En ce qui concerne l’allocation d’études, les CPAS ne peuvent pas déduire son montant du revenud’intégration sociale (RIS) car elle est immunisée mais certains centres ignorent cette obligation légale ! »

Pour Stéphanie qui travaille au service social de l’ULB, ces interprétations différentes créent de véritables injustices sur le terrain. « Lafranchise peut être sanctionnée, ainsi, il n’est pas rare qu’un étudiant qui dit être aidé par le service social de l’unif, se voit décompterl’aide de son RIS. Le problème, c’est que les étudiants introduisent très peu de recours aux tribunaux du travail car le délai d’attente pour obtenir unedécision peut atteindre deux à trois mois. En attendant une décision, qui lui est souvent
favorable, l’étudiant doit vivre… Il nous arrive de devoir alorsfaire des avances pour le CPAS… Il est pourtant important que l’énergie de l’étudiant soit consacrée avant tout à ses études et non à lapaperasse et aux tracasseries administratives. »

Des règles différentes également entre services sociaux

Autre témoignage, celui d’une assistante sociale du CPAS de Liège qui s’insurge contre les règles de son CPAS qui coupe les vivres si l’étudiantbisse. « Quant on loupe par exemple sa deuxième année d’étude comme infirmière et qu’on se voit refuser le paiement du RIS, cela n’a pas desens. Il reste à la personne deux ans à faire à charge de la société. Après, elle trouvera du travail. Il est aberrant de la faire revenir à la casedépart, elle risque d’être à charge de la société bien plus longtemps ! » Au CPAS de Jette, par contre, il est possible de bisser mais pas detrisser. « Chez nous, il faut entamer des études dans un secteur en pénurie, nous respectons la liste d’Actiris, explique une assistance sociale de la cellule jeunesdu CPAS. On paie les trois années de bac pas au-delà. Nous exigeons aussi tous les trois mois une attestation de fréquentation scolaire car c’est demandé par notreinspection, sinon pas de remboursement du RIS au CPAS. Concernant les universités, cette exigence est en soi ridicule car elles n’ont pas les moyens de contrôler sil’étudiant fréquente ou pas les cours et ce n’est pas leur rôle. »

Un CPAS où l’on exige par ailleurs que l’étudiant travaille au moins une semaine par an en job étudiant. Le salaire gagné est alors déduit du RIS. Sile job dure un mois, le salaire gagné remplace le RIS. « Il faudrait que le jeune puisse cumuler le revenu avec son RIS et que le cumul ne serve pas à payer son minerval…»

Parmi les autres conditions imposées à l’étudiant bénéficiaire du RIS dans certains CPAS : communiquer le résultat des examens. Sil’étudiant ne s’exécute pas dans les 7 jours qui suivent la fin de l’année scolaire, son RIS est suspendu alors que beaucoup ignorent cette obligation.Au-delà des disparités dans la politique des CPAS à l’égard des étudiants, les assistants sociaux des CPAS dénoncent aussi la disparité desaides données, cette fois dans les universités et écoles supérieures : « Nous ignorons bien souvent quelles sont ces aides, elles diffèrent fort d’uneécole ou d’une université à l’autre. Il serait vraiment utile que des rencontres soient organisées entre les services sociaux et les CPAS. »

1. « Jeunes et CPAS en Wallonie : premières données et observations » par Philippe Defeyt et Olivier Hissette, mai 2009, consultable sur le site de l’IDD :http://www.iddweb.eu
2. IDD asbl, rue des Fusillés, 7 à 1340 Ottignies – tél. : 010 41 73 01 – courriel : idd@iddweb.be ou idd.org@skynet.be – site : http://www.iddweb.eu

3. Également président du CPAS de Namur.
4. Chef de cabinet de Philippe Defeyt, président de CPAS.
5. Service social étudiants, ULB CP 185, av. F.D. Roosevelt, 50 à 1050 Bruxelles – site : http://ulbruxelles.be/services/etudiants/service-social-etudiant.html

catherinem

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