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Regard critique · Justice sociale

Les CRI en réflexion

Le 6 mars dernier, la FéCRI (Fédération des Centres régionaux pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origineétrangère en Wallonie)1 profitait du 10e anniversaire du décret wallon sur l’intégration des personnes étrangères oud’origine étrangère pour lancer une réflexion qui se déroulera sur une année. L’objectif est de consulter le plus largement possible les acteurs duterrain afin de proposer à la ministre de l’Action sociale et de la Santé des propositions concrètes sur l’aménagement de ce texte qui organise l’accueil etl’intégration des immigrés en Wallonie.

24-03-2006 Alter Échos n° 205

Le 6 mars dernier, la FéCRI (Fédération des Centres régionaux pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origineétrangère en Wallonie)1 profitait du 10e anniversaire du décret wallon sur l’intégration des personnes étrangères oud’origine étrangère pour lancer une réflexion qui se déroulera sur une année. L’objectif est de consulter le plus largement possible les acteurs duterrain afin de proposer à la ministre de l’Action sociale et de la Santé des propositions concrètes sur l’aménagement de ce texte qui organise l’accueil etl’intégration des immigrés en Wallonie.

Dix ans, cela se fête mais c’est aussi l’occasion de prendre le temps du bilan dans un secteur qui a connu ces derniers temps quelques chamboulements (voir AEchosn°199). Les CRI sont les premiers à s’être prêtés au jeu. Suivront bientôt d’autres journées de débats avec cette fois-ci lesassociations et les partenaires publics de la politique d’accueil et d’intégration des populations immigrées en Région wallonne.

Rôles et missions des CRI

Les CRI ou centres régionaux d’intégration, ce sont sept structures réparties sur le territoire wallon et dont la fonction est de soutenir l’intégration despopulations étrangères ou d’origine étrangère. « Voté à l’unanimité, le Décret du 4 juillet 1996 fut, comme le rappelleMartine Lecloux, directrice du Centre régional de Verviers pour l’Intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère (CRVI),l’aboutissement des réflexions entamées au sein du Conseil consultatif pour les populations d’origine étrangère de la Communauté française, quirecommandait de ne pas négliger les spécificités nationales et culturelles des populations issues de l’immigration. » Déjà, on distinguait ces publicsdes classes défavorisées autochtones et l’on affirmait que l’intégration ne pouvait pas se résumer à une question sociale mais qu’elle devaittenir compte de spécificités propres. Le décret annonçait donc la mise en œuvre de discriminations positives pour atteindre cet objectif d’intégrationdans le respect des droits et des devoirs de chacun. La tendance politique actuelle semble pourtant aller dans le sens d’une approche non plus spécifique de la question mais au contrairede faire de l’immigration une problématique sociale à l’instar de la lutte contre la pauvreté ou du combat pour l’égalité des chances. Cettetendance inquiète le secteur.

Autre précision du décret : les CRI devaient également occuper ce qu’il est convenu d’appeler la 2e ligne, en accompagnant les initiatives sociales dedéveloppement local portées par les associations regroupées sous le terme générique de 1re ligne. Dix ans plus tard, on constate que la tendance va dansle sens d’une réduction drastique des budgets alloués à ces associations. Et les CRI de s’interroger sur le rôle qu’ils peuvent encore jouer si cette1ère ligne est vidée de sa substance.

Les tâches assignées aux CRI sont multiples. Elles vont de l’insertion socioprofessionnelle, au logement, en passant par la santé, la formation, la collecte dedonnées et la détermination d’indicateurs, la diffusion d’information, l’accompagnement des personnes, l’évaluation des initiatives locales, sans oublierla participation des personnes à la vie sociale et culturelle, la promotion des échanges interculturels et du respect de la différence. Tâches à accomplir, rappelleMartine Lecloux, en articulation avec les pouvoirs locaux d’un côté et les associations de terrain de l’autre.

Il y a dix ans également, la question budgétaire était déjà présente. Elle s’est accrue quand la ministre Vienne a décidé à lafin de l’année 2005 de réduire l’enveloppe budgétaire octroyée aux associations travaillant avec les populations immigrées, fragilisant ainsi lapremière ligne avec laquelle travaillent les CRI et donnant une désagréable impression d’opposition entre des partenaires amenés avant tout à collaborer. Uneinquiétude qui s’est aussi dégagée de la journée du 6 mars.

Une mesure pour tous, tous pour la mesure ?

« Le décret n’a été pas conçu que pour les CRI, rappelle Martine Lecloux, mais bien pour l’ensemble des acteurs. Nous redoutons qu’unerévision trop restrictive des critères de sélection des publics ne nous conduise à exclure des populations qui ont de besoins réels même si leurprésence sur le territoire belge remonte parfois à plusieurs décennies. Que fait-on par exemple des épouses d’immigrés arrivés en Belgique avant 1974et qui maîtrisent encore mal le français ? »

Autre inquiétude exprimée par la directrice du CRI de Verviers : « il y a 10 ans, le décret marquait une évolution notoire. Il n’étaitdésormais plus question d’immigrés, remarque Martine Lecloux, mais de « personnes étrangères ou d’origine étrangère. Àl’époque on voyait déjà la permanente tension entre ‘personnes porteuses de handicaps’ et ‘personnes source de richesse’ ». Cela n’a pasbeaucoup changé depuis.

Une autre tendance actuelle qui semble se dégager : le transfert progressif des questions liées à l’intégration des personnes d’origineétrangère vers le domaine du social. Or, les discriminations à l’embauche, au logement et les actes racistes ne peuvent pas être abordés de manièresatisfaisante uniquement sous l’angle de l’égalité des chances. Ils ont leurs spécificités propres que les intervenants de la journée du 6 marssemblaient dans leur ensemble vouloir conserver. « Ce serait un retour en arrière de dissocier ou d’exclure mutuellement les politiques en faveur de la diversité de cellesœuvrant à l’intégration des personnes immigrées, rappelle l’universitaire Marco Martiniello. Il faut les deux dimensions. Un présentateur noir oumaghrébin au journal télévisé constituerait bien sûr un progrès en Belgique mais cela ne signifierait pas que les discriminations aient disparu ».

Vers une approche transversale de l’intégration

Une demande du secteur a été formulée lors de cette première rencontre : le besoin d’une approche transversale de l’intégration. «L’intégration est une problématique qui en traverse tellement d’autres en filigrane, note Martine Lecloux, à l’instar du genre qui devient progressivement unfil conducteur de toutes les politiques menées ». Le droit d’accéder au territoire relève de la compétence du SPF Intérieur (Fédéral).Mais une fois sur le territoire, l’accueil des étrangers est une compétence régionale. Il faudrait plus de dialogue entre ces niveaux de pouvoirs, s’accordentà dire les participants du 6 mars. En guise d’exemples citons, au niveau fédéral, le SPF de l’Emploi et du travail, le SPF de la Mobilité et des transports ;au niveau communautaire, l’enfance, la jeunesse, l’aide à la jeunesse, l’enseignement et la formation, l’égalité des chances, le sport, l’enseignement depromotion sociale, l’éducation permanente, l’enseignement fondamental, secondaire, supérieur et universitaire et au niveau régional : la recherche scientifique, lelogement, l’emploi, le temporel des cultes… On le voit, dans le contexte du mille-feuilles institutionnel belge, ce n’est pas une tâche aisée. Et sil’intégration des personnes étrangères pouvait redynamiser le dialogue institutionnel belge ?

Une immigration multiforme en constante évolution

Cette dernière décennie, les publics ont changé, tout comme les enjeux. D’une immigration de main d’œuvre collective, on est passé àl’entrée sur le territoire belge d’individus principalement par la voie de l’asile ou du regroupement familial. Les CRI sont désormais obligés de se fixerd’autres priorités et intégrer dans leur travail de nouvelles contingences : « nous remarquons de manière de plus en plus accrue une fragilisation des travailleurssociaux, regrette Chantal Gosseau du CRI de Charleroi. Quelle attitude doivent-ils adopter quand le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael (VLD), rappelle qu’il est illégald’aider un clandestin ? »

L’immigration a changé. Les publics se sont diversifiés. Mais la société belge, et plus particulièrement wallonne, tarde à s’adapter auxnouvelles donnes du terrain. Directrice du CAI, le Centre d’action interculturelle de la province de Namur, Benoîte Dessicy passe au crible les concepts énoncés dans ledécret. Et relève quelques tensions. « Le décret relatif à l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère faitréférence au concept d’intégration, souligne Benoîte Dessicy, qui est défini dans le cadre de l’exposé des motifs du décret. Mais sans doute serait-ilutile de préciser la portée de la notion d’intégration en la situant par rapport à un projet de société et plus précisément deconstruction d’une société interculturelle. » Et un tel projet de société doit s’adresser à toutes ses composantes. « Parmi les personnesétrangères, certains publics sont spécifiques. Un politique d’intégration doit aussi s’adresser aux autres composantes de la société « d’accueil », lesintervenants, les services, le politique », note encore Benoîte Dessicy.

« Il faut se repenser comme société d’intégration », dit Chantal Gosseau du CRI de Charleroi. « Quel projet proposons-nous ? Qu’avons-nousà offrir ? Que pouvons-nous apprendre les uns des autres ? Ce sont autant de questions qu’il est urgent de poser plutôt que de percevoir derrière chaque étranger undanger ou une menace. Mieux se définir, se doter d’un vrai projet de société interculturelle permettrait de diminuer les peurs », plaide-t-elle.

Un concept à interroger

Benoîte Dessicy pointe dans sa lecture du décret une autre tension : « le décret est partagé par une vision ambivalente du concept d’intégration :dans l’annexe consacrée à l’exposé des motifs, le texte met à la fois l’accent sur une vision en termes de « rattrapage des handicaps »,économiques, sociaux, culturels, etc. dont les personnes étrangères sont censées être victimes et par ailleurs, l’accent est mis sur la promotion des droitsdes personnes. Ces deux dimensions se retrouvent également dans les missions attribuées aux CRI. En ce sens, déplore la directrice du CAI de Namur, la politique qui est promuepar le décret défend une logique de discriminations positives. Or, il conviendrait de (ré)interroger la notion d’intégration, au-delà deséléments retenus par le décret. »

Parmi quelques pistes de réflexion, Chantal Gosseau propose par exemple une charte morale pour les agents de l’administration communale afin de guider leur pratique d’accueil deces publics. Elle suggère aussi la création de nouvelles filières professionnelles mettant en valeur les compétences déjà acquises des personnesd’origine étrangère telle que la médiation interculturelle, le plurilinguisme et le rôle de relais auprès de publics parfois difficilement accessibles. Autantd’atouts qui peuvent œuvrer dans le sens d’une société qui reconnaîtrait pleinement la spécificité et la diversité de chacun, mais autourd’un projet de vivre ensemble qui soit suffisamment souple que pour s’adapter aux évolutions des phénomènes migratoires, qui ait été ouvertementdiscuté par toutes les composantes de la société belge et qui propose des limites claires empêchant les dérives et les revendications communautaristes.

« Quel rôle la Région wallonne devrait-elle jouer dans ce projet de société à définir ? », s’interroge Chantal Gosseau. «Contribuer à définir une politique d’intégration sur base d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs clairs, cite-t-elle en premier lieu, en mettant àdisposition des acteurs de terrain les fonds structurels afin de pérenniser les actions. Mais aussi, et c’est là un rôle primordial, signer des accords de coopérationafin de pouvoir considérer la notion d’intégration comme transversale à tous les autres champs de compétences et ne plus être confinés uniquement dansle registre de la Région wallonne.

« On ne change pas une société par décret, rappelle Marco Martiniello, Directeur du CEDEM (Centre d’études de l’ethnicité et des migrations),en citant le sociologue français Michel Crozier. Restons donc modestes et ne nous leurrons pas en imaginant que la loi peut précéder l’évolution de lasociété. Elle ne fait au plus que l’entériner. » Entre les deux postures extrêmes qui sont le modèle assimilationniste français d’une partet le modèle communautariste anglo-saxon, il y a tellement de nuances envisageables. Et le sociologue belge d’inviter à la création d’une commission deredéploiement économique, de diversité culturelle et de cohésion sociale. À l’instar de ce qui s’est fait en Grande-Bretagne, quand sousl’impulsion de Bikhu Parek, des intellectuels de diverses disciplines ont formé en 1998 un organe de réflexion dont l’objectif était de définir les conditionsnécessaires à la création d’une société multiculturelle vivante, dynamique, riche de sa diversité.

Marco Martiniello regrette qu’en Belgique on semble avoir peur de réfléchir ces questions à long terme . « Il nous faut un projet ambitieux qui nous sorte ducuratif et permettant de nous définir comme société d’accueil avec des limites que nous aurons fixées collectivement. La question de l’immigration ne peut pluss’envisager confinée dans le petit espace de la Wallonie. C’est désormais une question européenne même s’il est pour l’instant, remarque-t-il,difficile de dégager une tendance claire du côté des politiques de l’Union européenne. »

Un besoin urgent d’outils de mesures

Marco Martiniello plaide pour une véritable politique de la recherche scientifique en matière d’immigration en Wallonie. Les outils à la disposition des chercheurs nesont pas particulièrement plus riches. « Comment peut-on parler sérieusement des politiques menées sans statistiques reflétant fidèlement laréalité y compris ethnique ? C’est techniquement faisable mais la volonté politique est absente et on se heurte à un tabou idéologique. Pourtant bienencadrées par un texte de loi clair assurant leur anonymat, ces données nous permettraient, dit Marco Martiniello, de mieux identifier les problématiques et de mesurerl’efficacité des politiques menées sur le terrain. »

Autre nécessité que semble dégager le sociologue : changer notre discours sur l’immigration. « Ce phénomène humain qui existe de tout temps estdevenu synonyme de problèmes, de tensions, de conflits. Il faudrait également dégager les apports positifs de l’immigration car celle-ci a modifié en profondeur lasociété belge. Personnellement, ajoute-t-il, je plaide pour la Cité wallonne de l’histoire de l’immigration. Plus qu’un musée, ce serait un espacedidactique, divers, vivant, de valorisation de l’immigration reposant sur une approche qui démontrerait au grand public que la société wallonne est le résultat deces vagues humaines qui ont chacune apporté leur contribution. Cette cité devrait idéalement accorder une place à la recherche scientifique sur cette question etconstituer une plateforme d’échange et de réflexion.

« Quoi que nous fassions, rappelle Chantal Gosseau du CRI de Charleroi, ne perdons jamais de vue la nécessité de rester équitables. Il n’y aurait rien de pire queles citoyens finissent par éprouver une impression que certains groupes sont privilégiés. À chaque fois, il nous revient d’expliquer ce que nous faisons et pourquoinous le faisons, et de rappeler que c’est dans l’intérêt de tous. »

1. Fecri, contact : Luan Abedinaj – tél. : 081 73 22 40 – fecri@swing.be

nathalieD

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