Quand on parle de mobilité au niveau régional sous cette législature, on y rajoute le terme « durable ». Ce n’est pas juste un effet de mode, c’est unevraie préoccupation, soulignent les cabinets en charge de cette matière. A l’Agence Alter, pour la construction de ce dossier spécial, on va plus loin et on a voulu liermobilité durable et socialement égalitaire ou accessible. Parce que les enjeux de la mobilité sont avant tout sociaux.
La question de la mobilité est liée à celles des inégalités sociales. Comme le défendait il y a déjà cinq ans le sociologueEric Lebreton, « dans notre société dispersée, les positions sociales des personnes dépendent, pour partie, de leurs capacités à sedéplacer »1. On attend d’un demandeur d’emploi qu’il soit autonome et mobile, pas qu’il soit dépendant des transports en commun pour aller faire son travail. Lesclasses sociales sont en quelque sorte redéfinies par les mobilités. D’autant plus dans des contextes où l’aménagement du territoire est pensé en fonction d’unedépendance à la voiture d’une part – propositions de développer des zones commerciales en zoning inaccessible, ou de quartiers d’habitat social loin de tout. Par ailleurs,les transports en commun sont organisés majoritairement dans un contexte classique de « semaine de travail 9h-18h ». Alors qu’il y a un nombre croissant dechômeurs, de gens travaillant à horaires décalés, de personnes âgées, qui attendent des transports réguliers et fiables aussi hors des« heures de pointe ».
Comment inverser la tendance ? Comment faire perdre du pouvoir symbolique et culturel à la voiture ? Comment passer le cap de mobilités respectueuses de l’environnement,accessibles financièrement au plus grand nombre, et efficaces pour se rendre d’un point A à un point B, éventuellement en faisant le crochet par le point C ?
Repenser la mobilité = moins de voitures = améliorer la qualité de vie
L’enjeu fondamental d’une mobilité durable aujourd’hui en Régions wallonne et bruxelloise, mis en avant par les cabinets en charge de cette matière, c’estl’amélioration de la qualité de vie pour le plus grand nombre. Avec plus ou moins de leviers d’action quand, comme en Région wallonne on a la chance de cumuler lescompétences Mobilité, Transports et Aménagement du territoire dans un même portefeuille ministériel, alors qu’en Région bruxelloise on partage legâteau. Trois défis de taille à relever pour une mobilité durable.
Le défi principal est d’abord de réduire la place de la voiture comme source de dégradation du cadre de vie et d’un espace public de plus en plus réduit à unesomme d’espaces individuels qui font du touche-touche sur les routes. Le deuxième est de faire du transport en commun un moyen de transport prioritaire, performant et attractif pour toutes lesclasses sociales, en tout cas en ville et entre villes. C’est-à-dire de maintenir la possibilité pour chacun de se déplacer. Dernier défi, banaliser et valoriser l’usageau quotidien des mobilités douces et collectives, en améliorant l’offre ou l’infrastructure, et en soutenant la demande, notamment par des incitants financiers, accessibles àtoutes les catégories sociales.
Dégradation spatiale vers dégradation sociale
Dans les grandes villes, nombre des grands axes de mobilité urbains conditionnent la qualité de vie et créent des séparations spatiales trop fortes entre quartiers.Celles-ci se répercutent inévitablement en des séparations sociales. Quand on ne peut pas traverser facilement un axe, on développe des murs entre quartiers et on lesghettoïse, ghettos de riches ou ghettos de pauvres, c’est selon. Et c’est dans les quartiers les plus denses, donc souvent les plus défavorisés, que la pollution liéeà la voiture atteint des pics. En plus des conséquences sociales liées aux écarts de ressources économiques des ménages, les impacts sur la santé despollutions liées aux transports individuels motorisés creusent eux encore plus l’écart entre catégories sociales.
Détrôner la voiture, symbole de pouvoir
Malgré un discours et des actions publiques de promotion de la plurimobilité ou des mobilités douces, et malgré le coût et les dépendancesdémontrés d’un usage régulier d’une voiture individuelle (parking, garage, essence, achat, stress…), le véhicule personnel reste symbole de pouvoir, d’autonomie,d’indépendance, de réussite, d’intégration. Signe qui n’est pas anodin quand on est par ailleurs dépendant du CPAS, de sa famille, de problèmes de logement, duchômage… Cependant, de plus en plus de personnes en situation de précarité développent des réflexes de plurimobilité – train, bus, pied, vélo– quand ils ne peuvent pas accéder à la voiture. Réflexes valorisés idéologiquement et sociétalement, mais dévalorisés par lesmodèles économiques libéraux qui font rage dans nos pays. Notamment dans un contexte où des employeurs ont comme critère de recrutement la présence de signeséconomiques d’autonomie. Etre mobile est un atout pour trouver un travail, une formation, un médecin quand c’est urgent, ou encore pour socialiser et grandir hors du regard de safamille, de son quartier. Cela suppose encore aujourd’hui de disposer ou d’avoir accès aux instruments premiers du déplacement : voiture, train, avion… dont la répartitionsociale est très inégalitaire. Et au-delà de cet aspect économique majeur, la mobilité nécessite aussi d’avoir des compétences en matière derepérage des espaces, de maîtrise des temps sociaux.
Les engagements régionaux : mettre la mobilité durable en avant
Outil politique fort des débuts de législature, les déclarations de politiques régionales permettent de mettre au cœur des responsabilités desnouvelles équipes politiques les enjeux majeurs sur une question. En ce qui nous concerne, dans celles de 2009, on y parle effectivement de mobilité – durable, qui plus est– à tous les chapitres ou presque… Mobilité des jeunes – demandeurs d’emploi ou pas –, mobilité des employeurs, des chercheurs, mobilitéréduite, mobilité professionnelle… Et on lie le terme mobilité à celui d’accessibilité. Parions ici que l’on entend bien accessibilité géographique,mais aussi sociale, économique, et culturelle. Un constat partagé par les deux entités en tout cas, nos villes, nos régions se doivent d’être en transition plusradicale en matière de mobilité vu l’état des réserves de pétrole et les impacts sur la santé de la pollution mesurée dans les quartiers les plusdenses, en habitations et en axes routiers.
On l’a
vu à travers ce dossier, la mise en mobilité de la société redéfinit et contribue à la situation des populations les plus vulnérables. Lesindividus ne sont plus cantonnés dans un seul territoire, ils habitent ici, travaillent là ou se forment là (et même parfois à plusieurs endroits), ont des enfantsqui fréquentent une école encore ailleurs, vont chez le médecin dans un autre quartier. Les uns et les autres ayant des rapports différents aux territoires, en fonction deleurs codes culturels, de leur « pouvoir » socio-économique.
C’est une des raisons pour laquelle en Région bruxelloise, un des axes forts du Plan de mobilité IRIS 2, approuvé le 9 septembre 2010 par le gouvernement régional, estd’imposer le caractère prioritaire et complémentaire du transport en commun sur les déplacements individuels motorisés. Tout comme dans la déclaration de politiquerégionale wallonne, où l’on vise l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan régional de mobilité axé sur l’utilisation préférentielledes transports en commun. Dans les deux cas, un des objectifs est aussi de permettre aux personnes – et notamment les plus précaires – qui les utilisent de récupérerdu pouvoir de déplacement, et donc de liberté et d’autonomie, et à réduire le nombre de kilomètres parcourus.
1. Conférence du 7 janvier 2006, à l’Université de tous les Savoirs.