La Fédération des services Espaces-rencontres francophones (Feser)1 pose la question de la rupture dans les familles multiculturelles ou binationales. En colloque àla fin janvier, différentes approches sociologique, judiciaire ou ethnopsychiatrique ont permis de mieux en comprendre les enjeux.
Dans un couple métissé, les tensions ne sont pas toujours d’ordre culturel, mais, quand les enfants paraissent, celles-ci peuvent devenir insurmontables, chacun veuttransmettre ses valeurs, ses options éducatives. À cela viennent parfois s’ajouter la recherche d’emploi, les difficultés financières et psychologiques,l’exil, l’isolement dans un pays d’accueil, des modèles différents de ceux en vigueur dans le pays d’origine.
Lorsque le couple se sépare, ces tensions sont parfois telles qu’elles hypothèquent l’exercice normal du droit de visite du parent qui n’a pas la charge de l’enfant. Dans le contexted’une procédure judiciaire ou administrative, ou encore à la demande des parents eux-mêmes, les Espaces-rencontres2 ont pour mission de (contribuer à)rétablir, créer ou restaurer la relation entre ce parent et l’enfant en leur offrant un cadre pour mettre en œuvre ce droit de visite lorsqu’il a étéinterrompu ou qu’il se déroule de manière difficile et conflictuelle.
Réussir son divorce
Le sociologue français Benoît Bastard remarque que, aujourd’hui, un bon divorce repose sur deux piliers : l’accord des conjoints et la possibilité quel’enfant puisse circuler entre ses deux parents. Est présente également l’idée de la parité homme/femme, qui se traduit par la garde alternée,poussée parallèlement par le besoin qu’a un enfant de ses deux parents à plusieurs points de vue et son accès à la culture des deux lignées.
« Ce modèle de parentalité réussie en cas de séparation est un modèle particulier, nuance-t-il. C’est le meilleur choix que nous ayons, mais il estdifficile à mettre en œuvre, car l’écart est grand entre ce que l’on attend des familles et ce qu’elles sont capables de faire dans la réalité.» Quels sont ceux qui éprouvent le plus de difficultés ? « Les parents d’origine étrangère, qui sont rattachés au modèle traditionneld’assignation des rôles des sexes, ceux qui ont du mal à répartir équitablement les rôles des sexes, ceux qui vivent l’éloignement du pèreet les personnes à faibles ressources. Les parents qui savent faire circuler les enfants entre eux le faisaient déjà avant la rupture, ceux qui appliquaient un modèlefusionnel le perpétuent dans la rupture, dans la lutte. »
Croise-t-on beaucoup d’usagers issus de l’immigration dans les Espaces-rencontres ? À défaut de chiffres, leur présence est néanmoins marquante.Ségrégation en fonction des ressources financières et sociales ? Cumul de problèmes ? En quoi le travail en Espace-rencontre leur convient-il particulièrement ? Quedes questions et des embryons de réponses à trouver peut-être, selon Benoît Bastard, du côté du caractère ordonné, de l’injonctionjudiciaire, de la surveillance sous le regard des intervenants, du côté de l’accompagnement doux également, le parent étant poussé par le cadre àcomprendre ce qu’on attend de lui. Nadia De Vroede, substitut du procureur général à Bruxelles, insiste quant à elle sur une bonne compréhension des attenteset du rôle de chaque acteur, autorité judiciaire et professionnels des Espaces-rencontres. « L’échange est essentiel, dit-elle, et la diversitéégalement. Un service conviendra mieux à une famille qu’à une autre, ce qui suppose donc de bien connaître les spécificités de chacun. »
Des situations fréquentes
Les crises vécues par des familles multiculturelles sont un thème régulièrement soulevé lors des intervisions du personnel des Espaces-rencontres, qui travailleavec une population de plus en plus fragilisée et qui évolue avec les migrants, les candidats réfugiés politiques. « Mais, il n’est pas limité auxMaghrébins, précise d’emblée Etienne Leroy, président de la Feser. Il se pose aussi entre Belges et Luxembourgeois, qui ne sont pas de culture trèséloignée. Quand les décisions judiciaires différent entre deux pays, les situations s’enveniment. » Il y a aussi une focalisation sur la valeur del’enfant, enjeu du couple, trophée de victoire. « Avec les parents étrangers, vivant à l’étranger, se greffe aussi la crainte du rapt », ajouteEtienne Leroy.
Une crainte que démystifie cependant Irène Lambreth, de la Direction générale de la législation et des libertés et droits fondamentaux, qui gère lePoint de contact fédéral référent en cas de kidnapping familial3. « On est un bon parent en Belgique comme à l’étranger, dit-elle. Cen’est pas parce qu’un parent quitte le pays qu’on va lui retirer la garde de son enfant. En revanche, il faut que l’autre puisse continuer à exercer son droit devisites. » Vu la libre circulation des personnes, il faut revoir ses modalités, se focaliser sur leur qualité. « À adopter des attitudes trop fermées quantà l’aptitude à élever un enfant, on favorise les déplacements et les enlèvements », prévient-elle.
Une version destinée aux adolescents est en projet.
1. Feser, rue aux Chevaux, 7 à 4540 Amay – tél. : 085 32 84 50 –
courriel : trimurti@cof.be
2. Si vous désirez en savoir plus sur les Espaces-rencontres, l’Espace-rencontres de Mons a fait l’objet d’un cahier Labiso: voir cahier n°40-41 – « L’asbl Espace-rencontres Hainaut Pour maintenir le lien enfants-parents »
3. SPF Justice, bd de Waterloo, 115 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 542 67 00 –
courriel : rapt-parental@just.fgov.be.