Le 26 mai 2004, une nouvelle opération conjointe d’expulsions collectives, financée en partie par la Belgique, s’est déroulée au départ des Pays-Basvers le Cameroun et le Togo. Mais la tentative de systématisation de cette pratique au sein de l’Union européenne ne plaît guère aux parlementaires européens.Qui ont réussi à faire entendre leur position…
Mercredi 26 mai, un Boeing 737-800 loué à la compagnie néerlandaise Transavia a décollé de l’aéroport de Schipol (Pays Bas) à destination deDouala (Cameroun) et Lomé (Togo) avec, à son bord dix demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée… et 20 policiers. Cette opération derapatriement forcé, financée conjointement par plusieurs pays (la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la Belgique) n’est pas la première du genre (cf. expulsionsconjointes Benelux du 9 mars dernier de demandeurs d’asiles kosovars et albanais) et a peu de chance d’être la dernière.
En effet, ces expulsions conjointes risquent fort de devenir un mode opératoire banal : beaucoup d’efforts ont été investis au niveau européen dans la recherched’une politique commune de retour des personnes en séjour irrégulier. La présidence irlandaise a tenté d’obtenir un accord politique, sous l’impulsionnotamment d’une initiative1 formelle de l’Italie.
Ainsi, le 5 août 2003, l’Italie a proposé un projet de décision du Conseil en matière de vols conjoints pour l’éloignement. L’initiativeitalienne visait à « assurer de manière aussi efficace que possible le retour des ressortissants de pays tiers, séjournant illégalement sur le territoire d’unÉtat membre, en partageant les capacités existantes pour l’éloignement des étrangers ». Lors du conseil informel Justice et Affaires intérieures (JAI)des 21 et 22 janvier 2004, les États membres ont souligné l’importance d’une telle politique commune et la conduite de vols pilotes a été proposée. Dansla foulée, la Commission européenne a annoncé le déblocage pour 2005/2006 de 30 millions d’euros destinés à des projets pilotes de charters communs etau financement des mesures de réintégration des expulsés dans les pays de destination. Les États membres ont accueilli ceci favorablement. Le projet italien a finalementreçu le plein soutien politique lors du conseil JAI du 29 Avril 2004, où la décision fut adoptée.
Le Parlement européen fait connaître des dissensions
Mais l’initiative italienne n’a pas fait l’unanimité. En effet, les dissensions se sont particulièrement fait sentir au Parlement européen où lasocialiste française Adeline Hazan, rapporteure de la Commission des libertés et des droits des citoyens, de la justice et des affaires intérieures – Commissionchargée du dossier – a publié, en février dernier, un rapport très critique. Elle y dénonce plusieurs points, dont :
> le fait que les droits des personnes expulsées soient décrits dans une annexe non contraignante ;
> le fait qu’aucune disposition de l’annexe n’envisage un contrôle des opérations par des organisations telles que la Croix-Rouge ;
> le risque d’aboutir à des procédures accélérées d’examen des demandes d’asile.
Le rapport conclut que « les renvois collectifs constituent une pratique regrettable à laquelle on ne devrait recourir qu’à titre exceptionnel. Or, leurcommunautarisation va nécessairement en augmenter le nombre et la fréquence ». Il souligne qu’avant d’élaborer une politique commune en matièred’aide au retour, l’UE devrait élaborer une politique commune en matière d’immigration et d’asile.
Respect de la procédure
Si le Parlement européen a émis des réserves quant au fond du projet, il en a également émis quant à la manière peu sérieuse dont le Conseilde l’Union considère son rôle… et en a pris la mesure : en effet, la proposition en matière d’asile et d’immigration émanant d’un Étatmembre, elle devait être considérée avant le 1er mai par le Parlement européen, date après laquelle l’initiative n’est plus valable. Si l’avis duParlement n’est qu’une consultation de pure forme, elle est néanmoins nécessaire d’un point de vue procédural.
Le 20 avril, la question n’ayant toujours pas été considérée en plénière par le Parlement européen, le Conseil a fait une demande expresse deprocédure urgente afin que cette question soit mise à l’ordre du jour. Le Parlement a rejeté la demande. Ainsi, le 1er mai dernier, l’initiative italienne est devenuecaduque ! Et le Parlement de rappeler par cette démarche que son rôle est bien plus important que celui de simple vernis démocratique que l’Exécutif lui assigne leplus souvent.
La Ligue des droits de l’Homme belge se félicite quant à elle de la décision du Parlement européen et l’invite à continuer à prendre positionsur cette question. Elle rappelle par ailleurs que, contrairement à l’argument souvent invoqué par certains pays membres pour justifier la pratique en matière de volscharter conjoints aux fins d’expulsion d’immigrés clandestins, ces vols se font sur bases d’accords multilatéraux particuliers entre États et qu’aucunebase légale n’existe – encore… – au niveau européen.
La Ligue des droits de l’homme appelle la Commission européenne à considérer les dérives possibles de la construction d’une Europe forteresse et les risquesde banalisation du principe même des expulsions. « Une véritable politique commune d’immigration et d’asile doit se baser sur des propositions positives sur le droitd’asile et l’immigration légale sans se concentrer exclusivement sur le repli sécuritaire et la traque du migrant clandestin.2 »
1. Initiative de la République italienne en vue de l’adoption d’une décision du Conseil relative à l’organisation de vols communs pourl’éloignement, à partir du territoire de deux États membres ou plus, de ressortissants de pays tiers faisant l’objet de mesures d’éloignement(A5-0091/2004).
2. Communiqué de presse de la LDH du 27 mai 2004