Avec ces rassemblements – c’est le 5ème d’une longue série – les familles des personnes incarcérées entendent revendiquer les droits des détenus et de leurs proches, à commencer par le droit de visites, sérieusement menacé en temps de Covid. «Depuis mars, on n’a presque plus pu toucher nos proches, explique l’une des femmes à l’initiative de ce rassemblement. On a repris beaucoup trop tard les visites. La deuxième vague commençait déjà, on a eu que trois semaines…» À la suite des conclusions du Comité de concertation du 30 octobre, l’administration pénitentiaire a en effet suspendu toutes les visites ainsi que l’exécution des congés pénitentiaires (CP) ou des permissions de sortie (PS) octroyés.
Visites sous conditions
Depuis le 7 décembre, les familles peuvent à nouveau aller visiter leur proche incarcéré, sous des conditions strictes: visite à table avec plexi, contact physique interdit, port du masque en déplacement. Les visites des moins de 12 ans n’ont quant à elles pu reprendre que ce 21 décembre. «Quand les mesures d’assouplissement pour les enfants ont été annoncées, les agents pénitentiaires ont déposé un préavis de grève, comme ils l’avaient déjà fait début octobre», explique une mère. Les visites sont donc autorisées à condition que les enfants soient finalement soumis au même protocole sanitaire strict que les parents, sauf le port du masque – ils ne pourront donc pas avoir de contact physique avec leurs parents comme les familles le souhaitaient. Les jeunes de 12 à 15 ans, quant à eux, ne peuvent toujours pas se rendre à la visite. «Il est nécessaire, compte tenu de la situation sanitaire actuelle – et de l’évolution des chiffres corona – de maintenir le meilleur équilibre possible entre la protection de la santé de chacun dans les établissements et le soutien des contacts entre les détenus et leurs proches», justifie le SPF Justice, considérant qu’ils «peuvent plus aisément avoir un contact virtuel de qualité que les enfants en bas âge.»
Les mamans présentent au rassemblement racontent: «Comment j’explique à mon fils de 15 ans qu’il a moins le droit de voir son père qu’un enfant de 10 ans? Pourquoi les enfants doivent-ils souffrir de cette situation?» Une autre ajoute: «Ils n’ont pas pu voir leur papa pour la Saint-Nicolas.»
Des droits ignorés
«Il ne faut pas oublier que la prison prive de la liberté, mais pas des autres droits. Les détenus ont droit à la santé, à l’information, au travail, au maintien des liens parents-enfants, garants de la réinsertion. Ces droits passent complètement à la trappe», souligne Juliette Béghin de Bruxelles Laïque, association solidaire à ce rassemblement.
«La prison prive de la liberté, mais pas des autres droits.»
Déjà très précaires en temps normal, les droits élémentaires des personnes détenues sont ignorés depuis le début de la pandémie, comme nous l’écrivions en avril (lire «La fièvre des prisons», 6 avril 2020): «Les détenus se retrouvent sans aucune activité (cours, sport ou accès aux livres). Des sections habituellement ouvertes sont passées en régime fermé. Conséquence: les prisonniers sont 23h/24 en cellule. Les détenus n’ont plus droit qu’à un seul préau par jour, d’une durée d’une heure trente, aux horaires variables et en petits groupes, distanciation sociale oblige.» Manque de soins, cantines plus chères sont aussi dénoncées par les détenus et leur proches.
«Consulter les détenus et leurs proches»
«Arrêtez de nous ignorer. Consultez les les concerné.e.s» affiche une grande bannière déroulée devant la prison. Les proches des détenus revendiquent le droit d’être entendus et consultés par rapport à toutes prises de décision qui les concernent. «Rien n’est réellement prévu pour que celles et ceux touché.e.s par la prison soient réellement entendus. Aujourd’hui, les premiers et premières concerné.e.s sont les détenu.e.s et leurs familles, et pourtant ils restent exclu.e.s de ce qu’ils vivent au quotidien, vingt-quatre heures sur vingt-quatre», lit-on dans le texte de revendications des détenu.e.s et leurs proches publié par la CLAC (Collectif de Luttes Anti-Carcérales). Les détenus et leurs proches sont aussi les grands absents des conseils de sécurité liés à la crise sanitaire: pas un mot à leur égard depuis le début de la pandémie.
«Rien n’est réellement prévu pour que celles et ceux touché.e.s par la prison soient réellement entendus»
Parmi les autres revendications figurent un traitement humain des détenu.e.s et de leurs proches; une cohérence dans les mesures sanitaires en prison; le maintien des aménagements de peine; des libérations immédiates pour contrer le Covid.
L’annonce, ce 17 décembre, de certaines dispositions temporaires et structurelles en matière de justice prévues par la loi dite Corona votée en plénière au Parlement ne va pas dans ce sens. «La radicalité des mesures, leur écart avec ce qui était en vigueur lors du premier confinement suscite un sentiment de désespoir voire de consternation. En prévoyant la possibilité de suspendre l’exécution des congés pénitentiaires (CP), des permissions de sortie (PS) et des détentions limitées jusqu’au 31 mars 2021, c’est l’objectif de réinsertion qui est mis à mal, objectif fondamental auquel doit répondre l’institution pénitentiaire», a réagi la CAAP dans une lettre ouverte au ministre de la Justice. Des associations qui demandent aussi à être entendues et consultées: «L’urgence sanitaire ne peut servir de prétexte à une absence de transparence et de concertation.»
D’autant que l’«urgence» joue les prolongations. «Ce sentiment d’abandon s’accentue ces derniers temps avec un second confinement encore plus dur pour les personnes détenues, nous indiquait récemment Mélanie Bertrand de la CAAP. On a beaucoup de témoignages qui indiquent une dégradation de la santé mentale de nombreux détenus.»
«On est au bout de nos forces, on n’en peut plus»
Le manque de considération pour la population carcérale et le difficile maintien de liens avec les personnes incarcérées ont des effets terriblement négatifs sur la santé physique et psychique des membres de la famille également. «On est au bout de nos forces, on n’en peut plus», témoigne l’une d’elles, entourée de ses enfants et d’autres femmes, mères et compagnes de détenus. Épuisées mais pas prêtes à lâcher. «Rendez-vous chaque dimanche devant toutes les prisons du pays», appellent-elles en clôture du rassemblement solidaire.
Contrôles policiers
À l’issue du rassemblement, annoncé et toléré par la commune, la police postée de chaque côté de la rue a interpelé, contrôlé et amendé des personnes qui quittaient la manifestation et pris des photos aléatoirement des personnes contrôlées. Nous-même, détentrice d’une carte de presse, avons dû présenter notre carte d’identité au motif de l’«interdiction de se rassembler devant une prison». D’autres personnes rapportent aussi «l’interdiction de manifester» comme raison invoquée lors des contrôles. «Une telle atteinte à la liberté de manifestation est grave; elle l’est d’autant plus que celle-ci ne créait aucun danger sanitaire et aucun trouble à l’ordre public. Rappelons, de surcroît, que les détenus n’ont aucun moyen de manifester et que ce rassemblement est donc d’autant plus important qu’il permet de représenter des personnes privées de tout moyen d’action», a réagi la Ligue des droits humains, qui va interpeller les autorités compétentes.
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