Le fonctionnement des instances européennes ne peut se comprendre sans tenir compte des multiples lieux de concertation qui entourent ce niveau de pouvoir. Les acteurs sociaux, forts deleur expérience concrète sur le terrain, peuvent concourir à l’évaluation des besoins et des effets réels des politiques sociales. Cette brèveprésentation s’efforce de rassembler les liens formels existants entre les institutions belges, européennes, et les acteurs de terrain.
La construction européenne s’accompagne de nombreuses discussions et consultations des acteurs concernés. Dans ce processus, la Belgique doit prendre en compte saparticularité institutionnelle et consulter tous les niveaux de pouvoir : fédéral, Régions et Communautés. Et, pour coller à la réalité, etainsi garantir au mieux la poursuite des objectifs des politiques européennes, ces institutions sont tenues de consulter l’ensemble des acteurs sociaux.
Les relais institutionnalisés
Comme tout État membre, la Belgique est représentée dans l’ensemble des institutions européennes. Elle entretient des relations officielles avec le triangleinstitutionnel européen : Conseil, Commission et Parlement (voir p. 3). Des élus, des diplomates, des fonctionnaires, des experts et des attachés nommés par lesautorités belges participent à l’élaboration des décisions européennes, de plusieurs façons. Il y a tout d’abord des réunions et desconsultations qui ont lieu avec la Commission européenne, organisées par la Commission elle-même, et il y a des groupes de travail du Conseil. Entre ces deux institutions, ontrouve les comités consultatifs, réunis en différentes formations selon le domaine discuté. Enfin, les députés européens belges sont élus ausuffrage direct pour siéger au Parlement européen. Les associations sont également invitées à prendre partie à ce mécanisme consultatifinstitutionnalisé.
Relais Belgique – Conseil de l’Union: la position prépondérante des cabinets ministériels
La représentation permanente (RP) de Belgique auprès de l’UE compte environ 60 personnes nommées par les autorités politiques belges. Lesdélégués, les fonctionnaires et/ou les experts, via les comités et les groupes de travail, sont en lien direct avec les partenaires sociaux et les autoritéslocales, reconnus comme leurs représentants. On trouve le comité « emploi » ou encore le comité « protection sociale ». Ils sont là pourdéfendre la position politique des cabinets ministériels (fédéral, régional ou communautaire selon le domaine de compétence).
Trajet d’une proposition législative
Les propositions législatives tirent leur origine principalement de la Commission européenne et du pays qui préside l’UE. À l’exception d’uneapprobation unanime immédiate des chefs d’État, ces propositions arrivent habituellement et en premier lieu devant les « groupes de travail » (attachés,assistés par des experts pour certains thèmes complexes tels que les régimes de sécurité sociale) et les « comités consultatifs »(fonctionnaires, attachés sociaux et/ou académiques, désignés par les ministres des Affaires sociales).
Déjà à ce premier stade d’étude, les comités cités sont habilités à envoyer la proposition étudiée directement devant leConseil des ministres, c’est-à-dire sans passer par le Coreper. Les groupes de travail, à la différence des comités, doivent passer par le Coreper.
Le rôle de relais des comités consultatifs : l’exemple de la protection sociale
Les propositions émanant de la Commission font l’objet, au sein de chaque État membre, d’un long parcours de concertation et de négociation avec les différentes instancesconcernées. Pour la Belgique, si l’on prend le domaine de la protection sociale, plusieurs niveaux de pouvoir (fédéral, Régions, Communautés) interviennent,mais la centralisation des points de vue s’opère au niveau fédéral. Selon Elise Willame – déléguée belge au comité chargé de laprotection sociale : « Ils remontent vers nous. Parce que l’Europe ne connaît qu’un point d’entrée dans un pays, donc elle ne parle pas avec les Régions,sauf dans des réunions spécifiques. En matière de protection sociale, par exemple, elle n’a pas de dialogue direct avec les Régions. Nous servons donc de relais etnous discutons également avec les Communautés et les Régions qui nous transmettent leurs positions pour pouvoir discuter avec l’Europe ». Assez logiquement, pour lesdomaines qui sont du champ de compétence des Régions et/ou des Communautés, les délégués issus de ces niveaux de pouvoirs font partie de la RP, etc’est alors la position de la Région et/ou de la Communauté qui prime.
L’avis des comités consultatifs est d’une grande importance pour les questions qui seront discutées au Conseil des ministres et donc pour cette instanceintermédiaire qu’est le Coreper. André Simon – un des délégués belges au comité « emploi » – décrit son mécanisme.« Au niveau européen, le comité de pilotage de la stratégie pour l’emploi est le comité de l’emploi. Il y a des fonctionnaires nationaux qui y sontprésents. Ce comité se réunit huit ou neuf fois par an. Le comité de l’emploi dégage des avis quand il s’agit de réformer, soit desprocédures, soit le contenu de la stratégie. En principe, les ministres suivent, ils ne reviennent pas sur les avis du comité. » Afin de pouvoir émettre des rapportssur les différentes propositions, les comités ont aussi pour devoir de prendre en compte les opinions des différents acteurs. C’est pourquoi, à un momentdonné, les comités doivent recevoir les représentants des partenaires sociaux reconnus comme tels au niveau européen (CES – Confédération européennedes syndicats, et Unice – l’organisation européenne patronale). Donc, les comités intègrent l’avis des partenaires sociaux reconnus dans leur avis final.
Au niveau des consultations nationales, les différents comités sont également chargés d’organiser une réunion avec les Communautés et lesRégions belges. Les comités doivent également se rendre à une réunion du Conseil national de travail (CNT) afin d’expliquer le contenu des dossierseuropéens en cours et d’entendre leur avis.
Une fois la décision adoptée au niveau européen, les gouvernements sont censés tenir compte dans leurs actions politiques nationales à venir, d’une sériede recommandations. Les faits quant à eux montrent que les autorités politiques nationales préfèrent se faire leur propre idée sur les priorités àadopter. « Les gouvernements, pour toutes sortes de raisons, mettent en œuvre des politiques qui sont plus ou moins conformes aux stratégies, mais il n’est pas certain que cesoit l’existence de la stratégie européenne pour l’emploi et de la stratégie de Lisbonne qui finalement orientent leur politique, explique André Simon. Jeconstate qu’en Belgique, le calendrier politique fait que c’est très difficile pour les autorités belges de se calquer sur le calendrier politique européen.»
Deux questions à Elise Willame, coordinatrice « Relations internationales » au sein de la DG Politique sociale, SPF (Service public fédéral)Sécurité sociale.
Comment la Belgique fixe-t-elle ses positions ?
« Les points de vue sont discutés au sein de groupes de travail, différents suivant les thèmes. Donc, on a les groupes de travail pour l’inclusion, pour les retraiteset pour la santé. Ce sont des niveaux de réflexion administratif et politique. Les cabinets ministériels vont donner la ligne à défendre, et ce sont desadministrations qui vont exécuter, conseiller, faire les recherches, donner de l’input, puis assurer le travail.
Au niveau de l’inclusion sociale, il y a aussi une concertation mais elle ne se fait pas de façon optimale avec les associations qui travaillent avec des personnes en situation depauvreté et d’exclusion. On fixe un certain nombre d’objectifs – c’est la méthode ouverte de coordination (MOC). Mais le choix des mesures pour atteindre cesobjectifs devrait faire l’objet d’une discussion avec le terrain. L’exercice est plutôt administrativo-politique, et même plus administratif que politique, ce quin’est pas non plus tellement intéressant. Même si la situation est compliquée par la présence de plusieurs niveaux de pouvoir, du point de vue de l’aspect localavec des groupes de terrain, on a encore beaucoup à faire. »
Quel peut être l’impact du comité « protection sociale » pour les politiques appliquées sur le terrain ?
« Je crois que ce qui se passe dans ce comité peut, si on l’utilise convenablement, être un moteur de changement. Et l’inclusion sociale est un de ces thèmesavec lequel on peut espérer faire plus de choses avec le terrain. Si vous prenez les retraites, il n’y a pas une infinité de choses à décider: il y a un âge dela retraite ; faut-il qu’elle soit flexible ou non, faut-il l’allonger ou non? ; il y a les calculs. Tandis qu’en inclusion sociale, c’est tellement vaste que çapourrait vraiment donner des résultats. Mais pas des résultats immédiats, car c’est un processus. L’idéal serait, à partir de ces discussionsqu’on a, d’arriver à définir ce qu’on veut, quelle est la protection qu’on veut assurer aux populations européennes, donc à nous tous, et commentveut-on arriver à avoir une harmonie, une cohérence dans ce qu’on fait. Mais on sait bien que ça ne va pas se faire de suite, ni demain, ni même après-demain».
Lien autorités belges – travailleurs sociaux : les cabinets ministériels
En ce qui concerne la consultation des travailleurs sociaux, André Simon estime que ceux-ci possèdent leurs relais propres pour se faire entendre, notamment des travailleurs sociauxopérant dans un cadre institutionnel tel un CPAS, à un moment donné ils doivent s’adresser au politique qu’il soit local, régional ou fédéral,qui est censé entendre leurs expériences de terrain. Toutefois, les membres belges du comité « protection sociale » ont exprimé un réelintérêt pour des rencontres et des échanges d’opinions avec les acteurs sociaux de terrain, ou des fédérations.
Liens avec la Commission : groupes de travail et comités consultatifs
Ce sont les groupes plus techniques qui sont chargés des discussions sur les propositions émanant de la Commission européenne. Il s’agit desdélégués des ministres des Affaires sociales de tous les États membres qui se réunissent avec les comités consultatifs en présence desreprésentants de la Commission et qui discutent de l’application des réglementations.
Un important nombre de séminaires est organisé par la Commission, qui sont des lieux de rencontre et de consultation. Il y a un nombre réservé de places à cesséminaires. Mais des associations soutenues par l’Europe telles l’EAPN ou AGE y sont invitées. Les comités consultatifs de la Commission rencontrent égalementles partenaires sociaux au niveau européen.
Enfin, si le comité consultatif « protection sociale » du Conseil de l’UE est chargé de préparer les réunions des ministres, son secrétariatest assuré par la Commission. Cette interconnexion au niveau des négociations est un relais direct entre les deux institutions du triangle (Commission et Conseil) et lesdélégués des États membres.
Lien avec le Parlement européen : les députés européens belges et les pétitions
Le Parlement partage le pouvoir de codécision avec le Conseil, lui permettant à la fois de proposer, discuter, refuser et voter des propositions législatives.L’interpellation des députés européens apparaît comme un moyen de communication avec les instances décisionnelles.
Tout citoyen, toute organisation et/ou association de l’UE peuvent adresser des courriers aux députés européens, par courrier classique ou par internet. Les noms et lescoordonnées postales et électroniques des députés sont disponibles sur le site internet du Parlement européen. Selon les principes institutionnels belges, les 24députés belges au Parlement européen sont constitués de trois collèges électoraux : francophone (9 députés), néerlandophone (14députés) et germanophone (1 député). Classés par groupe politique, les 9 députés du collège francophone sont : le groupe socialiste (PhilippeBusquin, Véronique De Keyser, Alain Hutchinson et Marc Tarabella), le groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (Gérard Deprez, Antoine Duquesne etFrédérique Ries), le groupe des Verts / Alliance libre européenne (Pierre Jonckheer), et le groupe Démocrates-Chrétiens et Démocrates européens(Raymond Langendries). La plupart des députés possèdent également une page personnelle sur internet.
Par ailleurs, toute personne résidant dans un État membre de l’UE, que ce soit en qualité de citoyen de l’UE ou de ressortissant d’un pays tiers, peut adresser unepétition au Parlement. Cette pétition doit être en rapport avec un domaine qui est de compétence de l’UE. En font partie les questions liées à l’emploiet la politique sociale. Mais, quel que soit le sujet évoqué, il faut qu’il concerne directement l’auteur de la pétition. Celle-ci peut être adressée, en languefrançaise, au Parlement européen sous forme de lettre ou soumise directement par internet. C’est une commission parlementaire des pétitions qui examine larecevabilité des demandes.
Les parlementaires nationaux dans la construction européenne
Le directeur de l’Institut des études européennes de l’ULB, Paul Magnette, identifie trois configurations parlementaires nationales par rapport à la constructioneuropéenne. Le premier groupe est composé des pays ayant des parlements dotés de très faibles moyens de contrôle (Grèce, Portugal, Irlande, Luxembourg etBelgique) : ils sont informés par le gouvernement sur les affaires communautaires, mais ils ne sont pas consultés et ne sont pas en mesure de suspendre une décision. Ils seréunissent seulement dans les moments importants de l’agenda européen (adoption des traités, sommets européens). Dans ces pays, il est très difficile desusciter un débat public sur les questions européennes, et les parlements nationaux sont simplement conduits à ratifier les décisions européennes a posteriori. Ledeuxième groupe de pays regroupe les gouvernements nationaux qui informent et consultent les parlements nationaux avant la décision communautaire (Finlande, Espagne, Italie, France,Pays-Bas). Dans ce cas de figure, le gouvernement national est contraint de justifier son action communautaire pour préserver sa majorité. Le troisième groupe rassemble lesparlements nationaux qui pèsent de façon contraignante sur la position du gouvernement au plan européen (Danemark, Royaume-Uni, Allemagne, Autriche, Suède). Parconséquent, ces différentes cultures politiques nationales pèsent sur l’attitude des parlementaires européens. En outre, les États membres sont unanimesà refuser l’adoption de mesures communes, estimant que les spécificités parlementaires relèvent exclusivement de la tradition constitutionnelle propre dechacun.
1. Le Coreper signifie le comité des représentants permanents : Coreper 1 (ambassadeurs européens des 25) ou Coreper 2 (ambassadeurs européens adjoints des 25).