Reportage au cœur de la section « dessaisis » du centre fermé pour jeunes de Saint-Hubert. Les mineurs qui y sont enfermés sont considérés comme majeurs. Une réponse controversée à la délinquance juvénile.
La section pour mineurs dessaisis du centre fermé pour jeunes de Saint-Hubert se résume à un couloir. Derrière une lourde porte métallique à barreaux, les treize cellules s’enchaînent. Chacune est équipée d’un petit lit, d’une télé, d’une petite radio et de toilettes. Ces chambres font neuf mètres carrés.
Au fond du couloir, la salle de gym fait face à la cellule d’isolement. Espace anxiogène où trône un matelas miteux comme seul meuble. Le lieu de la sanction ultime. Dehors, des jeunes en chasuble verte échangent quelques mots au « préau ». Ils sont entourés de clôtures hautes de six mètres, surplombées de barbelés.
Ce couloir est une exception en Belgique. Il ne faut pas le confondre avec les Institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ) ni avec les trois autres sections du centre de Saint-Hubert. Dans ces sections « éducation », l’enfermement y est décidé par le juge de la jeunesse. Si le Fédéral s’occupe de la gestion sécuritaire du lieu, les aspects pédagogiques – organisés par l’Aide à la jeunesse – y sont encore très présents. Les sections « éducation » et la section « dessaisis » se situent à quelques mètres, mais constituent deux mondes totalement cloisonnés.
Les treize cellules du couloir sont donc réservées à des mineurs qui ont été, ou seront jugés comme des adultes, car le juge de la jeunesse s’est « dessaisi ». La loi qui s’applique ici est la même que celle qui régit le milieu carcéral et c’est le Service public fédéral justice qui gère le lieu.
Les jeunes se retrouvent généralement entre ces murs pour des cas de récidive ou de faits graves. « Le dessaisissement est souvent vécu comme une injustice par les jeunes. Car c’est un point de non-retour qui est atteint. On passe dans la justice pour majeurs, c’est un engrenage », nous dit Mélanie Demoitié, la directrice adjointe du centre.
« Ils sont laissés à eux-mêmes »
Ce qui frappe d’emblée, c’est le désœuvrement qui touche les jeunes. « Ici, on n’a rien à faire », nous dit François (prénom d’emprunt), détenu dans la section depuis huit mois. « On est 21 heures sur 24 en cellule, ajoute-t-il, ça renforce le sentiment d’être enfermé. Je lis, je regarde la télé, je fais des pompes. » « Ici, c’est l’ennui, ajoute Félicien (prénom d’emprunt), lui aussi enfermé depuis huit mois. Il n’y a rien à faire. On est toujours là en train de penser, et ça rend vraiment parano », dit-il. Félicien a une certaine expérience des lieux fermés. La section éducation du centre de Saint-Hubert l’a vu franchir le seuil à deux reprises. Il peut donc comparer : « A la section éducation, il y a plein d’activités variées, on n’est pas deux heures dans la cellule alors qu’ici on est considérés comme des détenus. » Mélanie Demoitié le reconnaît : « La section reste peu encadrée. Certes, la Fédération Wallonie-Bruxelles a dégagé un peu plus de moyens qu’en prison au niveau du service d’aide aux détenus (SAD), mais ça n’occupe pas leurs journées. A côté, dans les sections éducation, il y a beaucoup plus d’activités éducatives, de 7 h 30 à 21 h. Et ces activités sont obligatoires. Ils ont un cadre de vie. Ici, ils n’ont pas ça, ils sont un peu laissés à eux-mêmes. » La directrice adjointe en profite pour rappeler que sa mission se cantonne à « l’ordre, la sécurité et éviter les évasions, nous n’avons pas d’autres missions ».
Une journée type à Saint-Hubert, section dessaisis, se décompose comme suit : à six heures, un agent fait le tour des cellules et s’assure que tout va bien. Il demande si les détenus veulent prendre leur douche. A 7 h 30, le petit déjeuner est distribué en cellule. Deux à trois jours par semaine, ils peuvent se rendre aux activités proposées par le Service d’aide aux détenus. Cours de français ou mathématiques, ou encore activités sportives. De 10 h 30 à midi, c’est le « préau ». De midi à midi trente, c’est l’heure du repas. Certains après-midi, il est à nouveau possible d’assister aux cours prodigués par le SAD. Puis rebelote pour le « préau » de 17 h 30 à 19 h. Le repas est ensuite distribué. Enfin, un jour sur deux, des activités du soir, de 19 h 45 à 20 h 45 sont proposées. Console, film ou ping-pong. Puis chacun rentre dans sa cellule.
Comme en prison, certains détenus peuvent décider d’officier en tant que « servants ». Ils peuvent gérer la cantine, distribuer les repas ou nettoyer les locaux moyennant un défraiement bien symbolique de 0,89 euros de l’heure. Un maigre butin qui pourra toujours servir à acheter des DVD ou des cigarettes pour tuer le temps en cellule.
Des adolescents qui testent les limites
Comme souvent, la section n’est pas pleine. Le jour de notre visite, neuf cellules étaient occupées. La directrice adjointe estimait que l’ambiance était « plutôt calme » ces jours-ci, « même s’ils essaient de s’échanger de petites choses, de tester les limites », tempère-t-elle. Car la situation dans la section peut s’avérer explosive. En décembre dernier, des gardiens furent agressés à la fourchette. Quelques semaines plus tard, le Délégué général aux droits de l’enfant remettait un rapport dénonçant les conditions de détention dans la section et plus particulièrement un régime de sanction sévère et arbitraire. Des sanctions qui s’échelonnent de la simple réprimande à la mise en isolement, en passant par un régime cellulaire strict (23 heures par jour en cellule sans télé) ou le nettoyage de lieux collectifs. « En cas d’infraction disciplinaire, il faut une sanction. Les seules réponses que nous avons sont les sanctions disciplinaires, proportionnelles au fait commis », explique Mélanie Demoitié. Elle assure que la cellule d’isolement est peu utilisée. « Elle l’est parfois comme une sorte de sas le temps que le détenu se calme. Mais cette mesure n’est pas adaptée, pas plus à un mineur qu’à un adulte. » La directrice adjointe, d’une certaine manière, semble comprendre les remarques du Délégué général aux droits de l’enfant. « Les sanctions ne sont pas toujours appropriées, mais il s’agit des seules réponses qu’on a. Nous regrettons de ne pas avoir un arsenal plus varié », nous confie-t-elle.
Il n’empêche, aux yeux de Mélanie Demoitié, le climat qui règne dans la section des dessaisis nécessite bien souvent un recadrage. Elle témoigne : « Il y a des ambiances pas très saines de jeunes qui se mettent ensemble pour gérer la section à leur manière. Ils sont ensemble et on ne sait pas les changer de section en cas de problème. Et entre eux, il y a de la solidarité face au personnel. »
Du côté de Félicien, c’est un tout autre son de cloche que l’on entend. Pour lui, certains agents « aiment bien provoquer les jeunes, pour faire des coups tordus, pour les mettre à l’isolement. » Une accusation que corrobore François : « Certains gardiens sont bien, d’autres se lèvent pour nous faire chier. »
Des mineurs qui s’enfoncent dans la délinquance
Dans la section, les mineurs ne croisent pas que des agents pénitentiaires. Ils rencontrent aussi une assistante sociale et une psychologue dont la mission se cantonne à « l’expertise ». Leur rôle est important : elles émettent des avis concernant la libération provisoire de ces jeunes détenus. Pour les condamnés, c’est la direction de la section qui pose certaines conditions. « Une mission qui me tient à coeur, reconnaît Mélanie Demoitié. C’est le maximum qu’on puisse faire. On essaie qu’ils aient un projet. Les conditions sont en général qu’ils s’inscrivent à l’école ou en formation, ou qu’ils soient suivis par une asbl d’aide à la réinsertion. » Pour ceux qui attendent en préventive, la situation est aussi très
difficile. « Chaque mois, ils peuvent être libérés ou être maintenus en préventive par la Chambre du Conseil. C’est très difficile pour eux de se projeter, de se responsabiliser », déclare Mélanie Demoitié.
L’enfermement en section « dessaisis » du centre fermé de Saint-Hubert aide-t-il ces jeunes à sortir de l’ornière de la délinquance ? La directrice adjointe du centre elle-même n’a pas l’air convaincue : « La détention ici ne les aide pas à changer de direction. Ils reforment une bande à l’intérieur de la prison. Ils n’ont pas d’exemple positif. Ils peuvent passer la nuit éveillés et dormir le jour. Le contexte n’est pas cadrant. C’est frustrant de voir des mineurs qui s’enfoncent dans la délinquance. On le voit quand ils reviennent ici. »
« Saint-Hubert, c’est le fin fond de la Belgique », se plaint François, détenu depuis plusieurs mois. Et il n’a pas tort. La plupart des détenus viennent de Bruxelles ou de Charleroi. Le voyage, surtout sans voiture, relève de la gageure. Et pour certains de ces jeunes détenus, cette distance est douloureuse. « Le plus dur, c’est de ne pas voir les gens qu’on aime. Ma mère, ça fait huit mois que je ne l’ai pas vue », nous dit Félicien. « C’est vrai qu’il y a un problème de mobilité, concède Mélanie Demoitié, la directrice adjointe. La gare est à douze kilomètres. » Un centre isolé. Certes. Mais à cet obstacle s’en ajoutent d’autres qui relèvent de l’intime. « Je n’ai pas envie que ma mère voie son fils dans ce cadre », lâche François. Par conséquent, Mélanie Demoitié constate que peu de familles utilisent le service de navettes offert par le SAD une fois par mois. Et pourtant, le service propose aux familles d’aller les chercher et de les ramener à leur domicile.