A Ottawa, une école forme les jeunes Inuits à la gouvernance du Nunavut. Dans ce Territoire du Nord du Canada frappé par la pauvreté, la nouvellegénération a du pain sur la planche.
« Un matin, j’étais partie pêcher pas loin de chez moi. Quand je suis rentrée, j’ai entendu un bruit bizarre, quelque chose qui rôdait autour de lamaison. J’étais seule avec mon frère. Il m’a demandé d’aller voir ce que c’était. J’ai regardé par la fenêtre. J’ai vu unours sur le pas de ma porte. Quand j’étais petite, il n’y en avait pas. Mais depuis quelques années, avec le réchauffement climatique, ils ne trouvent plus àmanger dans la nature. Alors ils se rapprochent des habitations… Bref, quelques heures après, il était toujours là. Alors j’ai pris mon fusil et je l’aitué. » Voilà la réponse d’Aviaq à la question très formelle « Quels sont les impacts des changements climatiques sur la vie quotidienne dupeuple Inuit ? ». Après un moment de silence, les yeux écarquillés et les bouches bée de l’assemblée font place à un éclat derire général. Voilà, en quelques phrases, l’illustration parfaite de cette rencontre : la découverte d’un univers complètement différent,à la fois isolé et affecté par le reste du Monde. Et une nouvelle génération prête à changer les choses.
Aviaq est originaire de la communauté d’Igloolik. La petite île se trouve à 2 700 km d’Ottawa, où la jeune fille est venue, en septembre, suivre lescours de la Nunavut Sivuniksavut1. Cette école offre aux Inuits sortant du lycée l’occasion d’acquérir les connaissances nécessaires à lagestion locale du Nunavut. La région a obtenu, en 1999, le statut de Territoire (NDLR les Territoires sont des divisions administratives qui relèvent du Parlement fédéralcanadien), et jouit depuis d’une certaine autonomie. Les cours portent principalement sur l’histoire du peuple Inuit, ses organisations et les questions territoriales. Chaqueannée, une vingtaine d’étudiants participent au programme. C’est souvent la première fois qu’ils quittent leur Nord natal. L’expérience peuts’avérer difficile.
Pauvreté et autres problèmes sociaux
En effet, entre la capitale canadienne et le Nunavut, il y a un monde de différence. Le Territoire est l’une des régions les moins densément peuplées au monde :0,015 habitant au km². Il est caractérisé par des paysages polaires et des montagnes recouvertes de glace. Mais aussi par une grande pauvreté et de nombreux problèmessociaux. Le taux de suicide y est onze fois plus élevé que la moyenne nationale. Selon Jack Hicks, chercheur à l’Université du Groenland, la« modernisation » y joue un rôle-clé. Perdue quelque part entre le mode de vie traditionnel et le mode de vie urbain inuit émergent, la jeunegénération manque d’un modèle social stable.
Ces défis actuels découlent aussi d’une histoire douloureuse, faite de « réinstallations » de communautés autochtones en ExtrêmeArctique et de placements d’enfants dans des pensionnats, souvent contre la volonté de leurs parents. Le but avoué des autorités canadiennes était d’assimilerces populations par la déculturation et l’éducation. Le gouvernement a récemment présenté des excuses publiques aux communautés autochtones. Mais lesblessures sont encore vives.
L’autonomie ne suffit pas
« Sentiment d’infériorité, peur, désespoir, anxiété, dépression, confusion, colère. » Au tableau, les étudiantsécrivent les sentiments qu’ils associent à ces événements. Morlay Hanson, directeur de l’école, prend une craie et se met à dessiner. Au-dessousde la colonne de mots réalisée par ses élèves, il trace une pente. Elle symbolise la perte de pouvoir et d’autonomie du peuple Inuit. Elle débute avec lacolonisation et s’achève à la fin des années ’60. Morlay dessine une plus courte ligne vers le haut, des années ’60 à aujourd’hui. Le chemin versl’autonomie politique. Tout en haut à droite, il note la dernière étape de ce processus : « 1999 : Création du Nunavut ».
Et depuis 1999 ? Chelsey : « Nous avons repris le contrôle, mais ça ne suffit pas. La population du Nunavut souffre d’une pénurie de logements, duchômage, de la délinquance… ». Un autre élève renchérit : « Il y a beaucoup de violence conjugale, d’alcoolisme… Ilnous reste encore du chemin à parcourir. » Dans huit mois, ils reviendront au Nunavut. Avec, peut-être, de quoi relever les défis qui les y attendent.
1. site du Nunavut Sivuniksavut : www.nstraining.ca