Les jeunes sont-ils moins militants que leurs aînés? Leur engagement est différent. Fini les grands combats féministes, politiques, écologiques. Place aux mobilisations ponctuelles, individuelles. Ici maintenant plutôt qu’ensemble pour demain.
«Les jeunes ne s’engagent plus.» «Ils ne croient plus en rien.» Ce genre de sentences, on les entend depuis vingt ans au moins. En 1997 déjà, le sociologue Jacques Ion publiait La fin des militants et il relevait la dépolitisation, la désyndicalisation, le repli sur la vie privée des Français. Quel que soit leur âge. Il est difficile en effet de faire la distinction entre le désengagement des jeunes et des adultes. Si on considère le taux de syndicalisation dans notre pays, par exemple, les chiffres semblent excellents par comparaison aux pays voisins puisque plus de la moitié des travailleurs sont syndiqués. Mais l’érosion est là. La CSC et la FGTB ont perdu des milliers d’affiliés au cours de ces dix dernières années et les jeunes de moins de 30 ans ne représentent plus que 15% des effectifs. «Leur nombre est en baisse, constate Ludovic Voet, responsable des jeunes CSC. C’est compréhensible compte tenu de l’évolution du monde du travail avec toujours plus de contrats précaires et intérimaires. Avec la fin des allocations d’insertion, nous avons aussi perdu beaucoup de jeunes affiliés.»
Le taux de syndicalisation n’est donc pas un bon «marqueur». Ce qui est plus significatif, par contre, c’est la perception du syndicat chez les jeunes. L’enquête en ligne réalisée par la RTBF en juin-juillet 2016, «Génération quoi», auprès de 30.000 jeunes francophones montrait que leur degré de confiance dans les syndicats était largement inférieur à leur confiance dans… la police ou dans l’armée(!). Dans cette même enquête, 90% des jeunes disaient ne pas avoir confiance dans la politique et plus de la moitié estimaient que «tous les hommes politiques sont corrompus». «Les jeunes sont révoltés, et plus encore ceux qui vivent dans la précarité, constate Johan Tirtiaux, sociologue à l’Université de Namur, qui a piloté l’enquête de la RTBF. L’engagement dans le monde associatif, politique est très faible mais à la question: ‘L’État devrait-il créer un service civil?’, 80% disent oui. C’est un engagement de type humaniste mais c’est aussi perçu comme un moment de réflexion sur son propre parcours.» Dans tous les cas, note Johan Tirtiaux, on note une forte préoccupation des jeunes par rapport à l’environnement.
Les vieux jeunes peu mobilisés
Mais, au fond, qui sont les «jeunes»? Les moins de 25 ans? Les moins de 35 ans comme on les comptabilise dans les organisations de jeunesse? En quoi diffèrent-ils de ceux qui étaient jeunes dans les années 70? 80? En 2015, une enquête menée par l’Observatoire de l’enfance et de la jeunesse sur la mobilisation politique des jeunes francophones a comparé cette mobilisation à celle de leurs aînés. Dans toutes les tranches d’âges (jusqu’aux 65 ans et plus), la politique n’intéresse qu’environ 10% des personnes interrogées. Même topo pour le vote obligatoire, la tendance à l’abstention est plus forte chez les moins de 35 ans sans être vraiment significative. Les différences apparaissent surtout dans la perception de l’utilité de se mobiliser. Les plus de 65 ans sont deux fois plus nombreux à penser qu’ils peuvent changer le monde par leur action que les 25-34 ans. Cette dernière tranche d’âge, appelée dans l’enquête les «vieux jeunes» sont beaucoup plus nombreux que les aînés et les plus jeunes (les 18-25) à n’avoir jamais fait l’expérience d’une participation à un syndicat, une association ni d’une mobilisation quelconque pour faire entendre leur voix: plus de la moitié n’ont jamais fait grève, jamais manifesté, jamais signé de pétition. «Moi, je n’ai pas de problèmes à mobiliser les moins de 25 ans, nous signale Samuel Orru, coordinateur du Mouvement des jeunes socialistes (MJS). Ils sont bien plus motivés, et une étude du PS à l’issue des élections de 2014 le confirme. Les trentenaires ou presque trentenaires, par contre, c’est la galère.»
Les grandes ONG quinquagénaires comme Oxfam, Amnesty, les Iles de Paix font, pour eux, partie du système. Elles ont donc du mal à mobiliser des jeunes qui veulent bouger quand et comme ils le veulent. Laurent Deutch, responsable des actions « jeunes » chez Amnesty
Laurent Deutch, responsable des actions «jeunes» chez Amnesty, constate que les mobilisations des moins de 18 ans dans les écoles et des 18-25 dans les universités sont spécifiques. «Ils vont s’identifier à des profils bien particuliers, comme ces deux jeunes incarcérés en Azerbaïdjan pour avoir tagué avec un slogan hostile au régime la statue du père du président et avoir posté leur action sur Facebook. Il y a eu une grosse mobilisation des jeunes pour les défendre. Chez les 18-25, poursuit l’animateur, il y a énormément de jeunes qui remettent en cause le système et son fonctionnement. Mais ce ne sont plus des engagements ‘traditionnels’. Ce sont des engagements qui ont du sens pour eux mais qui sont ponctuels et qui leur font plaisir. Les grandes ONG quinquagénaires comme Oxfam, Amnesty, les Îles de Paix font, pour eux, partie du système. Elles ont donc du mal à mobiliser des jeunes qui veulent bouger quand et comme ils le veulent.»
Laurent Deutch note le surinvestissement des jeunes dans les initiatives de transition. «Ils privilégient la solution locale au détriment parfois d’une action plus globale et politique.» Cela vaut aussi pour le militantisme «vert». Tous les sondages montrent une sensibilité accrue des jeunes pour l’environnement et le fait que les «primo-votants» auraient voté massivement pour Écolo lors des élections communales semble accréditer cette thèse. Mais ce n’est pas pour autant que davantage de jeunes s’engagent dans ce parti ou dans des associations de défense de l’environnement. Par contre, les mobilisations soudaines et spectaculaires pour le bien-être animal, qui naissent le plus souvent à partir des réseaux sociaux, cartonnent.
Le réseau Ades (pour des Alternatives démocratiques, écologiques, sociales) à Bruxelles, qui «rassemble des jeunes qui désirent bouger et militer pour une société solidaire, démocratique et écologique», illustre bien cette nouvelle forme d’engagement. Le réseau, c’est un pôle de mobilisation pour des actions ludiques et non violentes (contre la détention des familles en centres fermés), une pépinière de projets (comme le groupement d’achat et projet de supermarché coopératif Bees Coop) et un local de rencontres à Saint-Josse avec un atelier vélo et une «chorale militante». «Nous nous engageons indépendamment de toute couleur partisane de manière collaborative et horizontale», dit le réseau. Une belle définition des nouvelles formes de militance?
La déroute des Jeunes CDH
Ils sont une minorité, voire une espèce en disparition selon les sociologues mais les jeunes qui adhèrent à un parti dès parfois l’âge de 16 ans existent bel et bien. Et dans certains partis, leur nombre est même en progression. Attention: les chiffres qui suivent ne sont pas un palmarès. Les conditions d’affiliation aux organisations de jeunesse liées aux familles politiques sont très différentes, et la manière de calculer le nombre d’adhérents également. Chez les Jeunes PS, MR et CDH est membre de fait de l’organisation de jeunesse toute personne de moins de 35 qui adhère au parti. Ce qui ne signifie nullement que ces nouveaux membres participent aux activités de ces organisations de jeunesse.
11.240. C’est le nombre de membres au sein du Mouvement des jeunes socialistes (MJS). «Les deux tiers sont des membres actifs qui adhèrent directement au MJS, les autres sont des membres de droit», précise Samuel Orru, coordinateur du MJS. Il y a deux ans, le MJS comptait un peu plus de 8.000 membres. L’affaire Publifin n’a pas joué un rôle négatif, au contraire, selon Samuel Orru. «Des jeunes se sont engagés avec la nette volonté de mettre fin à ces ‘baronnies’.» L’éviction du PS au sein du gouvernement wallon aurait aussi dopé les nouveaux engagements.
10.700. Les Jeunes MR sont en forte croissance depuis 2014. Sur ces 10.700, 6.000 sont exclusivement membres des Jeunes MR, affirme Mathieu Bihet, président des Jeunes MR. «Nous avons multiplié par trois le nombre de sections locales en quatre ans. Au milieu du mois d’octobre, nous sommes au même nombre de nouvelles inscriptions qu’à la fin de l’année dernière. À chaque prise de position des Jeunes MR, comme la revendication de la refédéralisation de certaines compétences, nous avons des pics de nouvelles inscriptions.»
2000. Un peu plus, un peu moins, c’est le nombre autour duquel tourne le nombre de membres d’Écolo J depuis quatre, cinq ans. «Nous avons été plus forts au début de notre mouvement», reconnaît la coprésidente d’«Écolo J» Laura Goffart. Écolo J diffère sensiblement des autres organisations de jeunesse politiques par son indépendance à l’égard du parti. «Ceux qui s’inscrivent à Écolo J ne sont pas membres pour autant d’Écolo. Certains ne le deviennent même jamais. Les jeunes qui viennent sont intéressés par notre démarche, notre manière de fonctionner. Le côté ‘désobéissance civile’, la volonté d’interpeller les partis, tous les partis, est centrale dans l’engagement à Écolo J.»
952. C’est un peu la déroute chez les Jeunes CDH. Fin 2015, ils étaient encore 1.900. L’année 2017 a été marquée par des démissions en série. Ces membres n’avaient pas accepté la participation à la Gay Pride de l’équipe dirigeante des Jeunes CDH.
600. C’est le nombre d’adhérents à Comac, l’organisation étudiante du PTB. Il s’agit d’un chiffre «national». Un peu plus de la moitié sont francophones, précise Max Vancauwenberghe. «Chez nous, il faut renouveler son affiliation chaque année. On ne connaît pas une grosse augmentation de nos membres cette année mais on a plus de membres actifs notamment à Louvain-la-Neuve.» Au sein des Jeunes PTB, on ne se limite pas à payer sa cotisation. Sur les campus, les membres se réunissent chaque semaine pour débattre, planifier des actions.