En Belgique, les jeunes tunisiens bougent aussi. La révolution en cours fut pour eux un électrochoc. Beaucoup veulent se réapproprier ce qu’il leur a étéauparavant interdit : des outils d’expression.
Jihène, belgo-tunisienne, vingt-six ans, a loupé les évènements de janvier 2011. Euphorique, puis frustrée, elle décide de partir réaliser un filmsur place. Etudiante à la Bourguiba school de Tunis qui accueille chaque été des centaines de Tunisiens de l’étranger, elle choisit de raconter leur histoire. Cetteannée, leur engouement pour la Tunisie a décuplé. Beaucoup veulent s’investir, apprendre l’arabe mais surtout découvrir enfin la Tunisie, la vraie, plus celle des cartespostales. Faute de moyens, de chance et peut-être, avoue-t-elle, de convictions, Jihène ne terminera pas son documentaire. Le film n’a pas abouti mais une interview de quatre heuress’est transformée en histoire d’amour. Skander, son petit ami depuis, devait être un des personnages du film. Ce qui lui plaisait dans le projet de documentaire, c’était laquestion de l’identité des Tunisiens de l’étranger. Reconnu par son père sur le tard, il découvre la Tunisie à l’âge de quinze ans et la découvreencore aujourd’hui, en pleine métamorphose. Depuis son retour à Paris, il continue à se renseigner activement sur la politique et les nombreux partis tunisiens. Jihène,à Bruxelles, déchante un peu. « Il y a trop de partis, cela risque de se jouer entre Ennahdha, le PDP (Parti démocrate progressiste) et quelques autres… »Et même si elle les comprend, elle est énervée par l’impatience des Tunisiens « qui veulent tout tout de suite ».
Slim, vingt-six ans également, sait, lui, qu’on n’aura pas « tout, tout de suite » mais qu’il est grand temps de se bouger, là, tout de suite. Permanentà la JOC de Liège, il veut se servir de « la leçon » tunisienne, en Europe et en Belgique. Ici, on peut bloquer tout un ministère sans avoir peur demourir. « Si eux le font alors qu’ils savent ce qu’ils risquent, nous aussi on doit agir. Car ici aussi il va falloir se battre pour défendre nos acquis sociaux… Les Tunisiensnous ont appris à ne pas avoir peur d’être radical, à y croire. Des jeunes qu’on disait bons à rien se sont organisés en comités de vigilance pourdéfendre eux-mêmes leur quartier, ils se sont autogérés… Ils ont été créatifs ! » La peur du régime, Slim la vivait d’ici. Lesmilices de Ben Ali racontées par son père, arrivé en Belgique pour raisons politiques, étaient devenues pour lui « de véritables monstres ».Alors, quand il est parti avec son ami Oussama tourner un documentaire audio, cela a été un véritable choc émotionnel. « Quand l’équipe de tournage m’ademandé de parler politique et de me rendre dans les quartiers chauds alors qu’on me l’avait toujours interdit, j’étais perdu ! » La peur reste toutefois omniprésenteen Tunisie. Particulièrement pour Oussama, qui a vécu là-bas jusqu’à ses dix-neuf ans et qui jouait dans un groupe de musique « engagé ».Depuis qu’il a reçu en janvier un mail annonçant clairement que cela allait effectivement bouger, la peur ne l’a pas quitté. « J’avais peur des conséquencesparce que je savais de quoi la police était capable en cas de répression. On a grandi avec la peur de se faire choper. Mais aussi des conséquences sur la famille. Toi, tu peuxpartir, mais ta famille reste ici… »
Walid, trente-deux ans, suivait la politique tunisienne depuis longtemps également. « Je m’étais dit : si les manifestations entrent à Tunis, j’achètemon billet. Je l’ai acheté une semaine avant le 14, mais mes parents n’ont pas voulu que je vienne. Je suis donc descendu le 20 janvier et j’y ai fait ma carte d’identité pour lapremière fois. » Aujourd’hui, Walid sait pour qui il votera, un parti bien de gauche, pour être sûr qu’il y ait bien du social dans la constitution. Il a aussi unprojet : photographier la campagne d’affichage. « En 2007, deux semaines avant le Sommet international de l’information organisé par l’ONU et la Tunisie, j’ai étéarrêté parce que je voulais prendre une photo en hauteur de l’Avenue Bourgiba. Ils m’ont amené au ministère de l’Intérieur et voulaient ma pellicule, j’airefusé, ils m’ont gardé. Le fait que je sois Tunisien de l’étranger, que je sorte de Sciences Po les a calmés. Maintenant, je veux prendre ma revanche, photographier lesaffiches : voir si on va les arracher ou pas, comment les partis vont s’organiser, quel sera leur marketing ? Je suis curieux de voir la typographie, le graphisme, les slogans. C’estquelque chose de nouveau ! Je suis sûr qu’il y aura de chouettes trucs ! »
Deux émissions radio sur Radio Panik :
www.radiopanik.org/spip/Quand-le-bassin-minier-tunisien
www.radiopanik.org/spip/La-parole-de-Kalima