C’est le 21 mars dernier que s’est clôturé à Hotton (Marche) un cycle de six rencontres1 entre professionnels de cette démarche innovante,à contre-courant des pratiques de formation standardisées.
Organisées entre autres par le Centre socialiste d’éducation permanente (Cesep)2, le Centre de théâtre-action (CTA)3 et la directiongénérale de la Culture du ministère de la Communauté française4, ces journées ont permis de mettre en évidence les besoins dereconnaissance – culturelle et financière – , de formation continue des comédiens-animateurs et de partenariats à créer non seulement au niveau belge maisaussi international en passant par l’échelon intermédiaire, celui de l’Union européenne.
Échanger, réfléchir ensemble et se rencontrer: tels étaient les objectifs de ces six rencontres qui se sont déroulées du 25 octobre 2005 au 21 mars 2006à raison d’une thématique par mois. Destiné non seulement aux artistes professionnels mais aussi aux multiples acteurs du social (enseignants, éducateurs,opérateurs culturels, etc.), ce premier cycle a permis en quelque sorte de croiser les points de vue de deux ensembles que l’on serait amené à différencier: le culturel etle social. Cependant, pour Eric Blommaert, permanent au CTA, « la cloison n’est pas si étanche vu le souci des deux approches d’impliquer les publicsbénéficiaires dans une réflexion sur leur projet de vie, leurs valeurs et éventuellement les difficultés rencontrées au quotidien ».
Théâtre-action : c’est quoi donc ?
Lieu de naissance : difficile à estimer précisément car déjà présent dans les expériences d’éducation ouvrière et dethéâtre prolétarien dans les années 1960, exacerbé par Mai 68 et les coalitions gouvernementales travaillistes.
Qualificatifs: résistant et critique envers une démocratie ne laissant pas toujours la parole aux personnes en difficulté, défavorisées, exilées ouécartées (ex : réfugiés, moins valides, aînés, délinquants, etc.).
Signe particulier : s’enrichit dans une démarche collective entre comédiens professionnels et personnes défavorisées ou porteuses de messages (collectif dechômeurs, bénéficiaires du CPAS, chercheurs d’emploi, etc.).
Outils: les compagnies de théâtre-action peuvent réaliser des créations dites autonomes en vue de répondre à une demande particulièred’une maison de jeunes (ex : pièce sur les assuétudes) ou d’une commune (ex : relations de voisinage). Mais aussi et surtout, elles encadrent des ateliers destinésà favoriser l’expression d’un groupe de jeunes, villageois, étudiants… qui arrivent avec une demande. Elle va être graduellement décortiquée avec lesoutien du comédien-animateur, sorte de pièce maîtresse d’un puzzle destiné à être montré.
En résumé, le théâtre-action est un travail collectif effectué « pour » et « par » ce que Katty Masciarelli et d’autres qualifientde « non-public », à savoir les personnes qui ne fréquentent pas spécialement les lieux de culture.
Le Centre du théâtre-action: un modèle organisationnel unique
« Nous pouvons, une fois n’est pas coutume, nous targuer en Communauté française de Belgique de posséder la seule structure au monde, organisée et reconnuepar les institutions, qui regroupe actuellement une quinzaine de compagnies de théâtre-action et deux collectifs » s’enthousiasme Eric Blommaert, éducateur deformation. En effet, le CTA est lui-même membre d’un réseau européen (ASBL Culture Europe) et d’un autre international: l’International development education art (IDEA).L’organisation de ce type permet des échanges constants entre compagnies. Par exemple, une compagnie namuroise peut venir en province de Hainaut car elle possède une production autonomesur une thématique demandée par un acteur local hennuyer. La collaboration prime l’esprit de compétition.
Six thématiques: six enjeux sur lesquels progresser…
La formation des comédiens-animateurs: l’un des objectifs du CTA est de créer prochainement une formation continue à destination des personnes travaillant auprès depopulations soit défavorisées soit désireuses de porter un projet collectif. Car l’un des constats majeurs est le suivant: tous les comédiens sortant des Hautesécoles ne sont pas nécessairement formés pour animer un projet collectif et, d’autre part, les travailleurs sociaux désirant découvrir la pratique nepossèdent pas forcément les techniques théâtrales.
La direction d’acteurs et la création collective. Les participants de la seconde rencontre ont notamment mis en avant la distinction entre la création de groupe et lathérapie, qui n’est pas du tout l’objet du théâtre-action (même si une compagnie peut très bien travailler avec des personnes fragilisées, souvent dans unprocessus de demande). Le comédien-animateur doit donc amener l’ensemble des acteurs à trouver par eux-mêmes un sens à leur création.
Le produit et la diffusion des spectacles. Comment présenter un projet aux divers bailleurs de fonds tant publics que privés ? Comment faire appel au réseau(local-national-européen-international) pour augmenter en visibilité ? Pourquoi créer des ponts (ex: avec des pays du Sud comme le Burkina Faso ou la Palestine) et par quelsbiais ? Quelques exemples de questions abordées lors de la troisième rencontre.
L’esthétique ou la relation entre fond et forme. A la différence du théâtre « classique », l’objectif n’est pas ici de créer du beau mais del’utile dans lequel chaque acteur engrange des connaissances propres à redonner confiance et envie de changement. Le théâtre-action est polymorphe et constitue une sorte d’« alterculture ».
L’écriture et la création collective. L’écrit permet de garder des traces de la mémoire collective. Les participants se sont penchés sur les pistesd’entrée pour entamer la rédaction d’une œuvre collective. Opter pour une rédaction multiple ou pour une réécriture unique par un « rapporteur » ?Comment partir du spontané pour arriver à un tout porteur de sens ?
Du « bon usage » du théâtre-action. Le dernier rendez-vous rappelle l’origine de la démarche qui se prévaut d’abord du domaine politique et non del’esthétique ou du thérapeutique. En outre, malgré les liens évidents avec l’éducation permanente, le théâtre-action a ses propres pratiques.
Un souci constant de reconnaissance
Actuellement, le théâtre-action en Communauté française n’a pas à rougir : il est pris en compte dans le nouveau décret sur les Arts de lascène (2003) et fait l’objet d’un arrêté gouvernemental spécifique daté du 15 mars 2005. En termes financiers, Carole Bonbled, directrice du service duThéâtre4 explique que les quatre-vingts théâtres recensés obtiennent 43 % des deniers publics, le théâtre-action fort de seize associationsreconnues emporte 4 % , les trente-quatre compagnies jeunes publics se partageant quant à elles 11 %. Seul le Centre du théâtre-action bénéficie à ce jourd’un contrat-programme le liant pour une durée de cinq ans à la Communauté française, ce qui lui permet de dépasser le stade antérieur – celuides conventions – destiné à des projets plus ponctuels.
Le Grand Asile au Centre culturel de Rossignol : cohabitation réussie
« Le théâtre-action est un formidable outil de diagnostic d’une région », clame Vincent Funken, actuel directeur du Centre culturel de Rossignol5en province de Luxembourg. Vincent est en quelque sorte un fou bruxellois au pays des Gaumais. C’est en 2000 que s’amorce la liaison entre la jeune compagnie du Grand Asile6qui élit domicile à Bellefontaine, zone rurale où, le temps d’un échange, des femmes sénégalaises vont être invitées par l’Actionchrétienne rurale des femmes (ACRF) à s’essayer à la citoyenneté via le théâtre-action. « Ce que je trouve personnellement riche dans ladémarche, c’est l’échange interculturel de publics pourtant amenés à ne pas se prononcer sur la vie politique, en l’occurrence ici des femmes en zonereculée. Comment articuler le local avec le global ? Voilà l’un des enjeux, selon moi, de l’initiative », poursuit le directeur.
Les exemples de coopération entre compagnies et travailleurs sociaux (CPAS, ONG, associations diverses) foisonnent, et l’essentiel, pour l’heure, est d’entretenir leréseau. Preuve en est l’engouement croissant pour le Festival international de théâtre-action qui se tiendra en Communauté française durant le prochain moisd’octobre.
1. Les comptes-rendus intégraux des rencontres sont disponibles sur le site
2. CESEP, rue de Charleroi 47 à 1400 Nivelles – tél. : 067 89 08 70 – contact : Claire Frederic
3. CAT, place de La Hestre 19 à 7170 La Hestre – tél. : 064 21 64 91 – contact : Katty Masciarelli– katty.masciarelli@skynet.be – Les coordonnées de toutes les compagnies sont disponibles sur le site.
4. Ministère de la Communauté française, Service de la formation des cadres culturels, bd. Léopold II,44 à 1080 Bruxelles – tél. : 02 413 25 33
5. Même adresse que ci-dessus – tél. : 02 413 24 89 – carole.bonbled@cfwb.be
6. Centre culturel de Rossignol, rue Camille Joset 1 à 6730 Rossignol – tél. : 063 41 3120.
7. Le Grand Asile, rue des prisonniers politiques 281 à 6730 Bellefontaine – tél. : 063 57 9806