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Regard critique · Justice sociale

Migrations

Les migrantes latinas préfèrent les beaux quartiers

Les migrantes latino-américaines constituent une exception parmi les migrants. Contrairement aux autres, elles ne s’installent ni dans les « mauvais » quartiers, ni dans des logements précaires. Cela tient à plusieurs raisons : elles sont seules et certaines essaient de s’éloigner de la communauté musulmane de Belgique qui, à cause des médias et des rumeurs, les terrorise.

16-12-2012 Alter Échos n° 351

Les migrantes latino-américaines constituent une exception parmi les migrants. Contrairement aux autres, elles ne s’installent ni dans les « mauvais » quartiers, ni dans des logements précaires. Cela tient à plusieurs raisons : elles sont seules et certaines essaient de s’éloigner de la communauté musulmane de Belgique qui, à cause des médias et des rumeurs, les terrorise.

« Je pense que les Marocains sont mauvais, c’est dans leur caractère. Ils ont cette violence en eux, cela fait partie de leur race. » « Ils sont gentils dans leur pays mais ici, ils sont agressifs, ils ne respectent rien ni personne. » « Ce sont des gens avec un sang guerrier. » Ces propos qui peuvent surprendre, choquer ou blesser sont tenus par deux femmes latino-américaines, immigrées de longue date. Ils renvoient à une réalité à laquelle le Belge d’origine n’est pas confronté. Ces femmes sont illégales, ne parlent pas le français et se retrouvent dans les couches les plus pauvres de la société. Elles ont peur (de se faire expulser, de se faire agresser, d’être blessées) et cela se voit. Elles sont donc plus enclines à subir toute sorte d’agressions, physiques ou verbales.

« Beaucoup de gens me disent que je suis raciste », dit l’une d’elles. « Mais c’est vrai ! Et ce n’est pas né de nulle part. Cela vient de ce que j’ai vu, de ce que l’on m’a fait. Mais aussi de ce que j’ai entendu, de ce que disent les médias. »

Cette enquête a été réalisée dans trois quartiers différents : le haut de Saint-Gilles, Etterbeek et Forest. Cinq femmes ont été rencontrées à travers le réseau de l’Église des Riches Claires, qui compte pas moins de deux cents personnes issues de l’immigration latino-américaine. Réseau où, nous le verrons, la peur de l’autre se constitue rapidement. Cinq femmes, quatre nationalités : bolivienne, paraguayenne, nicaraguayenne ainsi que deux équatoriennes. Deux d’entre elles se sont avérées être fort racistes, deux autres entretiennent une relation amoureuse avec un Marocain et l’une est restée sans avis sur la question. Elles vivent toutes en colocation dans de beaux quartiers avec un loyer excessif. Cependant, une question persiste : pourquoi vivre à dix dans un quartier cher quand on vit pour le même prix à trois dans un quartier populaire ?

L’autre qui terrorise

Plusieurs réponses semblent se profiler. La première est culturelle : l’une de ces migrantes raconte que les latinas ont besoin de vivre ensemble. Pour elle, le plus dur dans la migration, c’est la solitude qui se fait ressentir 24h/24. La colocation permet d’adoucir ce sentiment désagréable. Ensuite, le fait d’être une femme seule dans un pays qu’on ne connaît pas peut faire peur. Habiter dans un « bon » quartier permet alors de « réduire » les risques. Chez certaines latinas, on retrouve même l’envie de s’éloigner de la communauté musulmane belge, envers qui elles ont beaucoup de préjugés.

« La crainte envers certaines communautés correspond à un fait historique. Il y a dix ans, un latino-américain a été abattu par un Marocain. Ceci a provoqué un éloignement de ces deux communautés », explique Ivan Salazar de l’Hispano-Belga[x]1[/x]. Mais il n’y a pas que cela. Les médias et les réseaux dans lesquels sont intégrées les latinas jouent un rôle important dans la constitution de la peur de l’autre.

Les réseaux : entre rumeurs et dépendance

Il est difficile de généraliser à partir du ressenti de ces femmes à Bruxelles. « Quand on parle de latino-américaines, on peut facilement se tromper, faire des amalgames. Les Brésiliennes ne sont pas comme les Equatoriennes, qui sont également différentes des Colombiennes. Tout dépend du réseau social dans lequel elles sont intégrées », continue Ivan Salazar.

Ces réseaux sont très importants pour les primo-arrivants. Ils permettent de trouver un travail, un logement, de se sentir moins seul et moins démuni. Peu importe sa nature, son objectif est l’entraide. Mais cela ne se fait pas sans danger. Il provoque un renfermement de ses membres car les seuls contacts se font à l’intérieur de ces réseaux.

Ensuite, on trouve le risque d’avoir une information unilatérale sur la société belge dans son ensemble. Avec des rumeurs et préjugés envers les Marocains de Belgique, une peur de l’autre peut facilement s’alimenter. Dans le réseau analysé pour cet article, il est conseillé aux latinas de ne pas s’approcher des Marocains. On leur dit qu’ils sont méchants et dangereux et on arrose le tout d’histoires macabres et de récits terrorisants. Et ce, même avant leur arrivée.

Vivre dans un quartier latino-américain ?

De prime abord, à Bruxelles, il est difficile d’identifier un quartier latino-américain. Tout d’abord parce que le terme « latino-américain » englobe des communautés qui peuvent être très différentes, ensuite parce que les latinas semblent vivre plus éparpillées dans la ville. Ivan Salazar tient cependant à nuancer ces premières impressions : « On commence à avoir certains quartiers qui deviennent plus latino-américains. Je pense à Schaerbeek – près de la place Dailly. Il y a certains immeubles qui ne sont peuplés que de colombiens ou d’équatoriens. C’est aussi une sorte de réseau. Les gens s’installent autour de certains axes routiers, certaines églises etc. »

Ceci dit, les femmes rencontrées pour cet article étaient issues d’un réseau d’église. Elles ne se regroupent pas par nationalité dans une rue ou un immeuble. La seule chose qui compte, c’est de vivre dans un « bon » quartier afin d’assurer leur sécurité, mais aussi pour ne pas être identifiée à une immigration qu’elles trouvent « dérangeante ».

Même s’il y a un certain regroupement par nationalité ou intérêt, celui-ci n’a pas la même ampleur que les regroupements des communautés marocaines ou turques. Cette migration latino-américaine est « invisibilisée » – car minoritaire – et peut être comparée sur certains points à celle des Espagnols dans les années ’50-’60 qui vivaient également de façon éparpillée.

Tentatives de contrôle

Les premières mesures de contrôle territorial de la population des migrants ont vu le jour, dès lors que l’attention s’est portée sur la concentration des étrangers dans certains quartiers. Le concept de seuil de tolérance devenant l’indicateur d’un seuil d’intervention, il a eu pour conséquence de désigner les travailleurs immigrés comme les boucs-émissaires d’une série de problèmes économiques et sociaux actuels, liés à la crise économique.

La loi Gol offrait, en 1984, la possibilité aux communes de refuser l’accès au territoire communal aux étrangers. « Si la présence d’étrangers dans certains quartiers ou communes dépasse un niveau donné, il faudrait immanquablement s’attendre à des tensions, des conflits et des problèmes sociaux. On pourrait ainsi attribuer une augmentation supposée de la criminalité, la taudification de certains quartiers, le chômage, la mauvaise situation des finances communales, la drogue, à la proportion trop élevée d’étrangers dans la population totale. Pour éviter tous ces problèmes, il suffirait donc d’empêcher les étrangers d’atteindre ce seuil, en menant une politique de dispersion spatiale. » (Kesteloot ; 1986 : 160)[x]2[/x]. Cette loi a pris fin le 14 mai 1995.

 

1. Hispano-Belga :
– adresse : chaussée de Forest, 244-246 à 1060 Saint-Gilles
– tél. : 02 539 19 39
– site : http://www.hispano-belga.be
2. Kesteloot Christian, « Concentration d’étrangers et politique urbaine à Bruxelles », Revue européenne de migrations internationales. Vol. 2 n° 3, décembre, p. 151-168. Lire aussi : Pinçon et Pinçon Charlot, Les ghettos du Gotha, Seuil, Paris, 2007.

Vinciane Malcotte

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