Hasard du calendrier : la journée de réflexion sur les Mena (Mineurs non accompagnés) organisée par la plateforme « Mineurs en exil »1 le 23 maidernier s’est tenue au lendemain de la publication de communiqués de presse du cabinet du ministre Dupont (PS)2 en charge de l’Intégration sociale. Un seul motd’ordre, tant du côté politique qu’associatif : « Fini les centres fermés pour les jeunes de moins de 18 ans ! » En 2005, 2 131 jeunes ontété reconnus comme Mena, ce qui fait une moyenne de 17 par mois. Un nombre trop élevé pour la capacité d’accueil des centres…
Tant le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) que les diverses ONG (Save the children, Child Focus, etc.) et associations (Mineurs en exil, Service droit des jeunes, etc.) travaillantauprès des Mena revendiquent depuis longtemps le retrait des enfants présumés âgés de moins de 18 ans des centres fermés tels les trop connus 127 de Melsbroeket 127 bis de Steenokkerzeel. Les violations des conventions internationales sont plus que jamais dénoncées, tant dans l’obligation de scolariser les mineurs que de celled’octroyer des soins à chacun. Mais plus fondamentalement encore, la Belgique enferme des enfants dans de véritables prisons régies par un arrêté royal de 2002calquant les centres sur les établissements pénitentiaires. Un pas semble pourtant avoir été franchi par le Conseil des ministres qui a décidé, d’unepart, de mettre (enfin) un terme à ces agissements et, d’autre part, de lancer un projet pilote de création d’ILA (Initiatives locales d’accueil) comme laCommunauté française l’avait fait dans le cadre de l’association Denamur3 et du centre Esperanto4 qui accueillent tous deux des Mena.
Un nouveau modèle d’accueil pour les MENA ?
Jusqu’à présent, les Mena sont pris en charge par des structures d’accueil fédérales (Fedasil), des structures de l’Aide à la jeunesse ouencore des CPAS, qui leur délivrent une aide financière…à condition de porter le « bon costume » soit celui du demandeur d’asile car tout Mena arrivanten territoire belge peut accéder à cette procédure, en admettant qu’il soit déjà informé depuis le pays d’origine, ce qui est rare. Un groupe detravail du cabinet Dupont travaille sur un modèle en trois phases. Patrick Liebermann, membre de ce groupe de travail, le décrit comme suit :
Une première phase de 15 jours durant laquelle tous les jeunes (exception faite des jeunes délinquants renvoyés aux services de protection de la jeunesse de mêmeque les jeunes violents orientés vers une aide psychiatrique) sont accueillis dans un centre d’observation et d’orientation géré par le fédéral(Neder-over-Heembeek ou NOH5 côté francophone et Steenokkerzeel ou STK6 pour le côté néerlandophone) ;
Une phase de transition de six mois maximum durant laquelle les jeunes sont orientés vers des centres d’accueil adaptés à leurs besoins et chargés, avec leService des tutelles (SPF Justice), de les mener vers un projet de vie ;
Une solution durable pour les jeunes après 6 mois à la suite d’une concertation entre responsables fédéraux et communautaires pour déterminer la structurela plus apte à recevoir le jeune.
Les centres d’observation et d’orientation (COO) remplaceront les centres fermés et seront placés sous la compétence du ministère del’Intégration sociale et non plus de l’Intérieur. Ces deux centres existent par ailleurs déjà et totalisent une centaine de places disponibles…pour unmillier de Mena arrivant sur le sol belge annuellement.
En résumé, la prise en charge du mineur arrivé à la frontière se déroulera comme suit :
• Le Service des tutelles procède à la désignation d’un tuteur provisoire pour toute personne se déclarant Mena ;
• Ce même service procède, endéans les trois jours ouvrables, à l’identification de la personne (âge, nom, présence ou absence de famille, etc.);
• Au terme de ce délai de trois jours, le Mena est admis dans un COO.
Si éloignement il doit y avoir, celui-ci se fera dans un délai de 15 jours maximum. À défaut d’une décision dans ce délai, l’entrée surle territoire sera considérée comme effective.
(Source : communiqués de presse du cabinet Dupont disponibles sur www.christiandupont.be)
Entre vœux pieux et tableau noir : état des lieux actuel
Dans le cadre de la journée de réflexion, Julie Lejeune7, juriste au Centre pour l’égalité des chances, remet les pendules à l’heure enreprenant, phase par phase, les étapes de l’accueil des Mena. Lors du signalement – souvent enregistré par la police fédérale ou l’Office national desétrangers –, une ségrégation se fait d’emblée entre les jeunes arrivés par voie aérienne ou maritime et ceux arrivés par voie terrestre(ex : Terminal Midi). Les premiers sont orientés vers les centres fermés tandis que les autres sont accueillis en premier ressort à NOH ou STK pour un délai – surpapier – de 15 jours renouvelable une fois (souvent les jeunes restent des semaines selon les intervenants présents). Julie Lejeune souligne d’emblée la différencedans l’interprétation, large ou restrictive, du concept de Mena : « Doit-on l’envisager comme un jeune en demande ou un étranger ? »
Dans la seconde phase du premier accueil, prise en charge par les instances fédérales (Fedasil), le délai de 15 jours (rarement respecté sauf si le jeune part delui-même, comme c’est souvent le cas pour certaines populations comme les Roms, ou lorsque le jeune ne désire pas introduire de demande d’asile) ne permet pas d’allerdans un réel schème éducatif. Les travailleurs sociaux présents au colloque critiquent unanimement la taille des deux centres fédéraux (50 places chacunenviron) qui empêche un réel suivi personnalisé de l’enfant.
C’est dans les centres fédéraux que l’on procède à la détermination de l’âge, à la désignation d’un tuteur et auchoix de la procédure à introduire. Le manque de places et la lenteur de l’identification pèsent de tout leur poids sur les épaules du tuteur, qui entame souventavec l’enfant « un parcours du combattant », qui plus est si ce dernier ne rentre pas dans le « bon costume ».
L’accueil à moyen terme révèle la seconde grande ségrégation, soit la différence entre les jeunes qui ont demandé l’asile et ceux quin’optent pas pour ce schéma. Les premiers sont orientés vers les centres Fedasil, les ILA (ex : Assesse8, Denamur) ou d’autres structures comme les CPAS oufamilles d’accueil. Les non-demandeurs d’asile, quant à eux, peuvent être accueillis dans des centres d’aide à la jeunesse (Denamur, Esperanto, etc.) maisaussi… ne pas être accueillis du tout ! Une travailleuse sociale du centre de NOH témoigne : « Il faut être honnête. Nous opérons une sorte de »pré-tri » dans les centres fédéraux de premier accueil, car les places sont rares et chères. On ne peut pas les orienter tous vers des centres d’accueilrépondant à leurs besoins spécifiques dans le cadre de l’accueil à moyen terme. En plus, beaucoup de jeunes s’enfuient des centres avant le terme de leurséjour. »
Enfin, l’autre grande équation irrésolue est ce qu’il advient de ces jeunes une fois leur majorité atteinte. Comme insiste Paul Fraiteur, tuteur d’une quarantainede pupilles, « la tutelle ne s’arrête pas à 18 ans ! » Pour Annick Léonard, de l’association Mentor escale9 (qui place également lesenfants sous la responsabilité d’un tuteur), « le terme solution durable résonne négativement ». L’intervenante préfère le terme «perspectives d’avenir » qui place le jeune au centre de sa démarche d’entrée dans la vie active…ou clandestine pour certains. En effet, le plus souvent, lesservices d’aide à la jeunesse interrompent leurs aides diverses une fois le jeune arrivé à l’âge adulte. Mais pour Isabelle Plumat du centre NOH, « letempo du jeune n’est pas le même que le temps réel car les Mena vivent des situations d’angoisse et d’insécurité extrêmes ».
Vers la fin du jeu de « ping-pong » entre SAJ et CPAS ?
Dans le cadre du prochain appel à projets de Fedasil vers les CPAS – prévu en 2006 – pour l’ouverture d’une centaine de places ILA spécifiques auxMena, le ministère de l’Intégration invite les Services d’aide à la jeunesse à collaborer étroitement avec les CPAS pour encouragerl’échange d’expertise. Or, sur le terrain, les deux services publics n’accordent pas toujours leurs violons comme le soulignent la plupart des travailleurs sociauxréunis dans le cadre d’un workshop sur l’aide à la jeunesse pour les Mena. « Nous ne voyons même pas l’intérêt de demander l’ouvertured’un dossier Mena auprès du SAJ de Bruxelles car les Mena sont un public méconnu et souvent entouré de craintes illégitimes », clame une juriste du Servicedroit des jeunes de Bruxelles. Cependant, dans l’assemblée présente, une juriste et une travailleuse sociale travaillant au centre d’Assesse (ILA de 8 places environ)contredisent ce propos : « À Namur, nous avons, il est vrai, de la chance car le CPAS a conclu un accord avec le Service d’aide à la jeunesse pour l’accueil des Mena.» Deux poids deux mesures, donc, pour des secteurs désargentés… qui n’ont pas besoin des Mena pour crier leur manque de moyens.
Importance de parler le même langage
Malgré la difficulté pour les divers intervenants (fédéraux, communautaires, régionaux) de s’accorder sur la prise en charge durable et efficace des Mena,Thomas Mortier, coordinateur de la tutelle chez Caritas10, insiste sur la nécessité de prendre le jeune Mena avant tout comme un jeune ayant droit à une protection enqualité non seulement de mineur mais aussi d’étranger en pays inconnu. En outre, sans s’orienter vers une unification de la procédure d’accueil – carchaque mineur a sa propre histoire -, il est nécessaire d’harmoniser les procédures à géométrie fort variable d’un centre à l’autre (ex :degré de mouvement, relations avec l’extérieur, encadrement, etc.). Des critères clairs doivent être pris en compte et des partenariats créés àtravers des protocoles d’accord SAJ-CPAS, comme c’est le cas dans certaines villes comme Namur, Liège ou Verviers. Enfin, il serait intéressant de créer un organe deconsultation indépendant pour articuler l’ensemble, organe qui pourrait être la plateforme Mineurs en exil comme une autre structure.
Chercher la continuité dans le discontinu
Le récit de vie de ces Mena est souvent, voire toujours, constitué de multiples fractures (décès des parents, vie en rue, travail forcé, prostitution, etc.) quidevront trouver place dans une écoute active des besoins de reconstruction. Comme le souligne Annick Léonard, « à chaque étape de la procédured’accueil, le jeune revit des coupures et doit sans cesse se réadapter quand il passe d’un centre à l’autre ou d’un service à l’autre ». Avecson groupe de travail, elle préconise les actions suivantes :
Travailler dans l’interdisciplinarité et non seulement dans un souci de gestion des flux migratoires ;
Fluidifier les passages entre les diverses phases afin qu’elles soient des passages et non des ruptures brutes (la tutelle a là un rôle majeur) ;
Favoriser le travail en réseaux d’information hors centres d’accueil (ex : collaborer avec des associations de quartier, etc.) ;
Prolonger l’aide (surtout morale et pas que financière) au-delà de 18 ans.
« Enfiler les bonnes chaussures »
Benoît Van Keirsblick, directeur du Service droits des jeunes11, clôture la journée d’information par une série de questions ouvertes àl’assemblée. Pour lui, des (petits) pas ont été réalisés comme la récente déclaration sur le retrait des Mena des centres fermés. Dans laprocédure proposée par le cabinet Dupont, la détention de mineurs ne pourra pas excéder trois jours, le temps d’identifier le jeune. « Mais le systèmereste boiteux car les deux centres fédéraux prévus seront extraterritoriaux, afin de faire payer le coût éventuel d’un retour par la compagnie ayanttransporté le jeune ». Un second débat est celui du retour « volontaire » du jeune, soit pendant son séjour en Belgique soit à l’approche de ses 18ans. Que faire si aucune structure stable ne peut l’accueillir ? Comment éviter le piège, souvent contraint, constitué par le retour à la clandestinité ?Enfin, quels outils juridiques adopter pour forcer les pouvoirs publics à manifester plus d’intérêt à l’égard de ce public fragilisé ?Benoît Van Keirsblick insiste sur la coopération tant européenne (via le Conseil de l’Europe qui devrait adopter une résolution) qu’internationale (àtravers les organes onusiens comme l’Unicef ou encore le HCR).
1. Plate-forme des mineurs en exil
2. Cabinet Dupont, rue de la Loi, 51 à 1040 Bruxelles – tél. : 02 790 57 11 – christian.dupont@p-o.be
3. Association Joseph Denamur (38 places), centre ouvert communautaire. Service d’aide etd’intervention éducative qui accueille des MENA. Rue de Mazy 1 à 5030 Gembloux – tél. : 081 62 55 00 – x.grosjean@associationdenamur.be
4. Esperanto (centre caché pour mineurs victimes de la traite des êtres humains) – tél./fax. : 078 15 38 91 – GSM : 0473 40 00 66.
5. NOH, Centre de Neder-over-Heembeek – tél. : 02 264 54 33 – centredenoh@hotmail.com
6. STK, Centre d’accueil de Steenokkerzeel, Keizerinlaan 2 à 1820 Steenokkerzeel – tél. : 02 755 23 60 – stef.vercruysse@fedasil.be
7. CECLR, rue Royale, 138 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 212 30 06 – n° vert : 0800 14 912
8. CPAS d’Assesse, rue de Lustin 20 à 5330 Maillen – tél. : 083 61 54 81.
9. Mentor Escale, rue Souveraine, 19 à 1050 Ixelles – tél. : 02 505 32 32 – mentorescale@brutele.be
10. Caritas International, rue de la Charité 43 à 1210 Bruxelles – tél. : 02 229 36 11.
11. Service droit des jeunes, rue Marché aux Poulets, 30 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 209 61 61 – bruxelles@sdj.be ou secretariat.bxl@sdj.be