La députée européenne socialiste Edite Estrela répond aux questions d’Alter Échos sur les débats houleux suscités par son rapport progressiste.
Alter Échos : Quelle est l’origine de votre rapport ? Quelles étaient vos motivations ?
Edite Estrela : Je n’ai pas décidé toute seule d’écrire ce rapport. C’était un long processus qui est passé par plusieurs étapes. Un rapport non législatif est formulé par le Parlement européen, à l’intérieur de la commission parlementaire responsable. En adoptant ce texte, le Parlement européen s’adresse aux autres institutions européennes et aux gouvernements nationaux pour attirer leur attention sur une question spécifique. Dans le cas de mon rapport sur les droits sexuels et l’avortement, la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres a pris cette décision et le Parlement européen l’a acceptée. Ensuite, le projet de rapport a été confié aux groupes politiques qui en ont fait la demande.
Le but du rapport était de fournir une analyse en profondeur des droits sexuels et génésiques et de la santé qui inclut des aspects importants comme l’éducation sexuelle pour filles et garçons, la protection de la grossesse, la contraception et l’avortement. Les droits sexuels et génésiques sont aussi un moyen de garantir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes.
AÉ : Pourquoi les membres du Parlement européen ont-ils choisi de ne pas voter pour votre rapport et ont-ils privilégié une motion alternative ?
EE : Contrairement à ce que de nombreux parlementaires conservateurs affirment, le rapport n’a pas été rejeté. Comme la motion alternative a été approuvée, mon rapport n’a même pas été soumis au vote. Il y a aussi eu un problème technique. Si vous prenez en compte les corrections après le vote, la résolution alternative proposée par les conservateurs aurait dû être rejetée. Certains parlementaires européens étaient mis sous pression par une campagne très agressive menée par les mouvements les plus conservateurs d’Europe. Ils ont préféré reporter la décision, à quelques mois seulement des élections européennes.
AÉ : D’après vous, qui est derrière ce choix ?
EE : En parallèle à ce rapport, l’Initiative citoyenne européenne « One of Us » a récolté 1,8 million de signatures dans vingt États membres. Son but est de stopper les financements européens pour toute activité qui implique la destruction d’embryons humains.
D’après les défenseurs de « One of Us », qui sont presque uniquement des organisations religieuses ou des mouvements anti-avortement, cela implique de stopper les financements européens à l’aide au développement pour la santé maternelle de peur qu’ils servent de prétexte pour fournir des services d’avortement.
Beaucoup de pays membres de l’Union européenne tentent actuellement de restreindre les droits sexuels. Les opposants se sont énormément professionnalisés et leur message populiste risque d’obtenir de plus en plus de soutien. L’église évangéliste américaine et des membres du Tea Party contribueraient à les financer.
AÉ : Quel est votre ressenti sur cette situation ?
EE : L’histoire nous montre que le chemin vers l’égalité entre hommes et femmes est fait de progrès et de retours en arrière. Je crois qu’actuellement nous sommes toujours dans une phase de progrès : les sondages montrent que la majorité des gens sont en faveur du choix. Néanmoins, nous devons rester vigilants.
Même si l’Union européenne ne peut pas changer les lois sur l’avortement dans les pays membres, les droits sexuels et génésiques font partie des droits humains fondamentaux que tous les pays de l’Union se sont engagés à respecter. Il est donc important que l’Union s’engage pour ces droits. Malheureusement, le Parlement européen n’a pas saisi l’opportunité donnée par mon rapport.