Depuis la rentrée, à Namur, la piscine de Jambes est fermée pour travaux. Le bassin, qui date des années 70, n’est plus aux normes. En attendant sa réouverture, les écoles se débrouillent comme elles peuvent. À l’Institut Saint-Marie, situé à quelques centaines de mètres de la piscine, les 200 élèves de la section sportive se rendent désormais à l’unique bassin en service sur le territoire namurois, celui de Saint-Servais, alors que la capitale wallonne en comptait encore trois jusqu’en 2020.
«La principale difficulté, c’est le transport, reconnaît Gauthier Martiat, directeur de l’Institut et ancien professeur d’éducation physique. Avant, les élèves se déplaçaient à pied pour aller à la piscine, désormais, il faut faire appel à une société de car. Le budget a évidemment explosé.» Pour ne pas mettre trop à mal les finances de l’école ni le portefeuille des parents, la poire a été coupée en deux en répartissant le coût de 160 euros par an et par élève de part et d’autre.
Dans cet établissement, seuls les élèves en option sport peuvent bénéficier de deux heures de natation par semaine. Pour les autres, par contre, rien n’est prévu alors qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles, la natation figure dans les programmes scolaires jusqu’en 3e secondaire. «Même quand toutes les piscines namuroises fonctionnaient, l’offre était déjà insuffisante. Il n’y avait pas assez de places disponibles. Pourtant, tout élève devrait durant sa scolarité fréquenter une piscine afin de maîtriser le milieu aquatique.»
Quand les communes tirent leur plan
Cette maîtrise, les jeunes de Hamoir, d’Anthisnes ou de Manhay en province de Liège ont dû faire une croix dessus pendant plusieurs années. En 2014, la piscine qu’ils fréquentaient à Ferrières, le village voisin, a fermé ses portes. L’infrastructure qui dépendait du Collège Saint-Roch était en fin de vie après 50 années d’exploitation. Et la situation aurait bien pu en rester là. Car, dès le départ, le constat était clair pour les exploitants: une telle rénovation était tout simplement impayable. Si la piscine a pu finalement rouvrir en novembre 2022, après de gros travaux de rénovation, c’est grâce à une solution originale: la mise sur pied d’une intercommunale autour de six communes (Anthines, Comblain-au-Pont, Ouffet, Ferrières, Hamoir et Manhay) et de deux asbl liées au collège. «Cette formule permet de partager les frais d’investissement et les frais de gestion. En règle générale, le déficit moyen d’une piscine tourne entre 300.000 et 400.000 euros par an. C’est une somme inimaginable à supporter pour une commune de moins de 5.000 habitants», explique Patrick Lecerf (MR), bourgmestre de Hamoir et à la tête de l’intercommunale.
«Le Plan Piscines est subsidié à un niveau de faiblesse qu’aucun autre projet sportif n’a jamais connu en Wallonie.»
Patrick Lecerf, bourgmestre de Hamoir
La piscine a bénéficié du soutien de la Wallonie et de son Plan Piscines. Depuis 2016, la Région a lancé ce plan qui verra à terme 27 projets de rénovation ou de construction menés à bien pour un subside global de 110 millions d’euros, répartis entre 55 millions de subsides et 55 millions de prêts à taux 0%. Une enveloppe fermée pour éviter les dérapages financiers. Si le Plan Piscines n’a pas permis d’augmenter le nombre de mètres carrés de plan d’eau en Wallonie, il aura en revanche évité de nouvelles fermetures de bassins. Actuellement, on compte 157 piscines sur le territoire régional, soit une piscine pour 29.000 habitants. «Ce plan a le mérite d’exister, reconnaît le bourgmestre de Hamoir. Mais il est paradoxal d’entendre les autorités régionales expliquer que c’est une priorité alors que ce plan est subsidié à un niveau de faiblesse qu’aucun autre projet sportif n’a jamais connu en Wallonie.»
Faire des miracles
À Bruxelles, où on compte 31 piscines (soit 1 pour 39.000 habitants), la question «éclabousse» également. Une piste est avancée par la Région, celle d’une structure supracommunale, laquelle pourrait prendre en charge par exemple la gestion du personnel, les marchés communs liés à la maintenance ou encore la rénovation de l’infrastructure. Des discussions sont d’ailleurs toujours en cours entre autorités.
En attendant, comme en Wallonie, une fermeture, une annonce de travaux, et c’est la pagaille pour organiser les cours de natation. En 2021, perspective.brussels a entamé une étude afin de récolter le maximum d’informations relatives aux fréquentations et saturations de bassins. Que constate-t-on? L’inventaire des piscines montre une distribution spatiale de l’offre déséquilibrée au détriment de l’ouest de la région. Forest, Anderlecht, le bas de Molenbeek ou le quartier Nord sont des zones en carence, tandis que l’est de la région compte plus de bassins privés, ce qui permet de pallier le déficit d’infrastructures publiques. «La saturation est plus importante que par le passé, vu l’évolution démographique de la région. La piscine de la VUB a été créée en 1988. Depuis, aucune piscine publique n’a été créée et la population a augmenté de 250.000 habitants», relève Benoit Demeester, chargé de la communication pour perspective.brussels.
«La piscine de la VUB a été créée en 1988. Depuis, aucune piscine publique n’a été créée et la population a augmenté de 250.000 habitants.»
Benoit Demeester, chargé de la communication pour perspective.brussels
De plus, le parc aquatique vieillit et doit s’entretenir. Les fermetures pour rénovation se multiplient. «Neptunium à Schaerbeek a rouvert en septembre après six années de travaux. La piscine d’Ixelles est fermée depuis septembre 2019 et compte rouvrir fin 2023. Victor Boin, à Saint-Gilles, a fermé ses portes ce 1er juillet et prévoit de les rouvrir en 2026. Ces fermetures ont pour conséquence le transfert des utilisateurs vers d’autres piscines déjà saturées.» Autre conséquence de cette saturation: la quasi-totalité des piscines communales doivent chaque année refuser l’inscription de plusieurs écoles.
Une situation à laquelle est confrontée Graziella Baradel, directrice générale du complexe sportif Poséidon à Woluwe-Saint-Lambert. «On essaie de respecter nos obligations à l’égard des écoles – c’est même la priorité numéro 1, mais les places libres se font rares dans les couloirs.» La priorité est donc donnée aux écoles communales «puisque les habitants participent au coût d’un complexe sportif à travers leurs taxes communales». La piscine essaie ensuite d’être aussi ouverte que possible aux écoles hors de la commune, «souvent de communes voisines qui font des travaux dans leur propre infrastructure – et on arrive à faire quelques miracles». Mais la directrice reconnaît que pour maintenir un accès correct pour le reste du public «qui se plaint énormément de la fréquentation des écoles et de l’inconfort de venir nager en journée», il faut constamment refuser des élèves dans les bassins.
À Anderlecht, au sein de l’Institut Notre-Dame, la solution fut toute trouvée: le cours de natation a disparu des grilles horaires depuis plusieurs années maintenant. «Pour se rendre à la piscine la plus proche, il fallait choisir entre deux maux. En métro, cela prenait deux heures de cours pour 20 minutes dans l’eau, et en car, c’était hors de prix. Je ne peux pas me permettre de demander aux parents de payer par mois entre 40 et 50 euros pour deux fois 20 minutes dans l’eau. Simplement à cause du coût de transport. Dans un milieu en grande précarité, en plus. À un moment, il y a des priorités», témoigne la directrice Christine Toumpsin.
«Pour se rendre à la piscine la plus proche, il fallait choisir entre deux maux. En métro, cela prenait deux heures de cours pour 20 minutes dans l’eau, et en car, c’était hors de prix.»
Christine Toumpsin, directrice de l’Institut Notre-Dame à Anderlecht
L’établissement a décidé de travailler avec une asbl afin de proposer le cours, mais en extrascolaire. Cela permet à une soixantaine d’élèves de nager deux jours par semaine après la journée de cours. Le tout aux frais des parents. De quoi renforcer les inégalités dans un système scolaire qui n’en manque pas.
Un constat d’échec
Pour Boris Jidovtseff, responsable académique du Cereki (Centre d’étude et de recherche en kinanthropologie), un service de l’Université de Liège qui s’attache à l’éducation motrice des tout-petits, la situation actuelle, mêlant manque d’infrastructures et difficulté d’accès à celles-ci, avec des piscines saturées, conduit effectivement à cette éducation aquatique à deux vitesses. Surtout, à ses yeux, la Fédération Wallonie-Bruxelles n’a plus les moyens d’atteindre les objectifs qu’elle s’est elle-même fixés. «Pour apprendre à nager, il faut passer un certain temps dans l’eau, avec des contenus pédagogiques appropriés. Or, la réalité scolaire fait que le temps offert aux élèves dans l’eau est fortement réduit, et les opportunités insuffisantes pour atteindre les objectifs qui sont fixés dans les référentiels, relève Boris Jidovtseff. C’est le constat d’un échec de la politique éducative.»
Pourtant, le programme scolaire est très clair. Du primaire et jusqu’à la troisième secondaire, les référentiels précisent que l’élève devra être capable de «flotter, se propulser au terme de la 2e année, nager en fin de 6e primaire» et, à la fin du 1er degré du secondaire, «nager 25 mètres dans un style correct». Mais qu’on ne se leurre pas: de l’avis des professionnels rencontrés, l’école est loin d’être suffisante pour savoir nager. L’enjeu est pourtant de taille, et dès le plus jeune âge.
C’est pourquoi le Cereki propose des activités d’accoutumance à l’eau, suivies par un millier d’enfants de la maternelle chaque année. «Cette approche originale permet d’offrir aux enfants en fonction de leur niveau des situations stimulantes pour développer les compétences aquatiques dès le plus jeune âge. Normalement, à 6, 7 ans, en étant dans un contexte aquatique stimulant, bien accompagné, un enfant est capable de nager. Les référentiels indiquent que cette compétence doit être atteinte en fin de primaire. Or, si on offre aux jeunes des conditions éducatives de qualité, ils devraient même être capables de faire 25 m en milieu de primaire, et pas en milieu de secondaire. La Fédération Wallonie-Bruxelles a donc mis des barèmes à atteindre très larges qui tiennent compte de la difficulté des écoles à proposer et organiser des cours de natation.»
«Normalement, à 6, 7 ans, en étant dans un contexte aquatique stimulant, bien accompagné, un enfant est capable de nager.»
Boris Jidovtseff, responsable du CEREKI à l’Université de Liège
Savoir nager, ce n’est d’ailleurs pas qu’une compétence, c’est aussi une question de sécurité. «Dans les prochaines années, vu la situation, on va se retrouver avec des jeunes qui n’auront pas assez de maîtrise dans l’eau, incapables d’identifier les dangers propres au milieu aquatique, que ce soit en piscine ou en eaux vives», s’inquiète Boris Jidovtseff. Un enjeu crucial quand on sait qu’en Belgique, le nombre de noyades reste élevé. Selon Statbel, on dénombrait en moyenne une dizaine de noyades par an dans la tranche 0-24 ans entre 2017 et 2020. C’est même la première cause de décès accidentel jusqu’à l’âge de 6 ans dans notre pays.