C’est à l’occasion d’une rencontre en mai dernier entre des éducateurs de rue et un représentant du ministère de l’Intérieur venuexpliquer ce qu’il en ressortait, qu’est apparu dans le champ francophone des secteurs « social » et « jeunesse » le dossier des « Réseauxd’information de quartier » (RIQ). Dès 1998, le ministre Vande Lanotte légiféra sur ce sujet sous forme d’une circulaire, modifiée le 2 juillet 2001 parle ministre Duquesne (PRL). Depuis, côté francophone, le sujet a fait du chemin : des positions s’affirment.
Les RIQ arrivent plutôt discrètement, mais en quoi consistent-t-ils ? Parcours explicatif à travers trois textes du ministre Duquesne (la circulaire de 2001, une « Lettred’accompagnement » et une « Charte ») soutenus par les commentaires de Philip Willekens membre du Secrétariat permanent à la politique de prévention1.
De quoi s’agit-il ?
Sa définition d’abord. « Un réseau d’information de quartier est une association structurée entre les citoyens et la police locale au sein d’un territoiredélimité », spécifie le texte. Ces réseaux « constituent une concertation avancée entre la police locale et les citoyens », stipule la circulaire.« Le projet n’est pas nouveau, introduit Philip Willekens, cette structuration existait avant les années 90. En 98, pour mettre fin aux dérives type « milicesprivées », la circulaire a surtout mis l’accent sur la différence entre les RIQ et les milices. » Leurs finalités ? « L’accroissement du sentiment desécurité général, l’encouragement du contrôle social et l’élargissement de l’aspect préventif », lit-on plus loin. Ainsi,« la création du réseau est un moyen d’inciter à l’adoption de mesures préventives et à une vigilance et attention accrues ». Concrètement,« il s’agit d’un ensemble d’habitants qui s’organisent, sous l’égide d’un coordinateur (bénévole) et d’un fonctionnaire de policemandaté, désigné par le bourgmestre en concertation avec le chef de corps ».
Mode opératoire : « Un RIQ échangera des informations entre la police et les collaborateurs du RIQ et ce, par l’intermédiaire d’un plan de communication convenuau préalable; le fonctionnaire de police diffusera des conseils préventifs et fera un feed-back des infos fournies. » En outre, tout en se situant à l’échelled’un quartier voire d’un pâté de maisons ou de commerces, « un RIQ doit disposer d’un réseau de moyens de communication permettant l’échangerapide et efficace d’informations ». Par exemple : « La diffusion régulière d’un petit journal ou d’un bulletin d’informations, faisant objectivement état desactivités du RIQ et comportant des conseils préventifs, est recommandée. »
Qui peut mettre en place ce réseau ? « Ce sont les citoyens qui prennent l’initiative », toutefois, lit-on encore dans la circulaire, « il est évident que lesautorités locales peuvent anticiper le besoin spontané des citoyens de créer un RIQ ». Enfin, une « Charte pour le partenariat en matière de RIQ » estsignée par tous les membres du RIQ, le fonctionnaire de police et le bourgmestre.
Que font les membres d’un RIQ ?
Les « membres-collaborateurs » des RIQ « déclarent des délits et comportements suspects uniquement à la police et n’en informent pas les autrescollaborateurs du RIQ », note la circulaire. Ainsi, dans cette opérationalisation concrète de la « police de proximité », tout se mène au plan local, laresponsabilité du ministère de l’Intérieur tenant dans l’approbation des chartes rentrées ainsi qu’au contrôle des dérives vers unfonctionnement du type « milice ». Des dérives ? « Il n’y en a pas eu », affirme Philip Willekens.
On dénombre à ce jour environ 130 RIQ, situés surtout dans les provinces de Flandre-Orientale et Occidentale. Pourquoi cet écart Flandre/Wallonie-Bruxelles ? «L’origine vient, dans la région d’Ypres, des bandes de cambrioleurs organisés qui se couvraient en passant les frontières franco-belges », explique leresponsable du ministère. Les habitants se sont organisés pour se défendre. Depuis, ça a fait tâche d’huile en Flandre.
S’ils font leur apparition à Bruxelles (un projet à Uccle et à Ixelles) ou à Liège (Bernissart), il apparaît que les politiques francophones –Charles Michel (Affaires intérieures en RW, PRL) émettait récemment « de sérieuses réserves vis-à-vis de ce type de projet » –, lescitoyens (au vu du nombre de projets rentrés) et les secteurs de la Jeunesse ne trouvent pas là quelque chose qui ressemble à un projet de vie dans les quartiers wallons etbruxellois.
Une avancée de la politique sécuritaire ?
Si les « réseaux d’information de quartier » (RIQ) sont bien implantés en Flandre orientale et occidentale, en revanche, depuis leur entrée en 2001 dans quatrecommunes francophones, une série d’acteurs prennent fermement la parole quant aux enjeux de ce type de réseaux. Plusieurs secteurs s’insurgent en effet face à cetteavancée de la politique sécuritaire.
D’abord une série de constats : la logique sécuritaire tous azimuts. Pascal Rigaux (président de la Fédération des institutions de préventionéducative2 – Fipe) insiste sur la confluence sécuritaire des mesures récentes dans plusieurs domaines touchant au secteur de la Jeunesse. « Avec les projets de Verwilghensur la délinquance juvénile, le centre d’Everberg, la modernisation de la loi de 65, la réforme des Plans sociaux intégrés et maintenant les RIQ, nous sommesforts inquiets de voir l’aile libérale avancer sur le sécuritaire. Avec l’illusion qu’après ces mesures, ça ira mieux ! » Parce que, ajoute-t-il,« le risque zéro ça n’existe pas ! Les politiciens leurrent donc les gens, peut-être au départ d’une bonne intention, en leur faisant croire que ladélinquance ou les crimes disparaîtront ! » Il remarque encore que « sur le sentiment d’insécurité, subjectif, il y a des versions contradictoires.Impliquer les citoyens c’est très bien, mais instaurer un système de délation comme devoir civique à partir de ce sentiment !… La délation peutfacilement déraper. Car les principaux problèmes traités par la police dans les quartiers sont les conflits de voisinage ! C’est un risque… Enfin,l’insécurité, pour les gens, c’est l’angoisse de leur avenir proche, pas les intérêts des commerçants. »
Nur le thème de l’« insécuri
té », Liliane Baudart, conseillère du SAJ de Namur3, parle de « mystification des termes sous couvert decitoyenneté » et accuse les pouvoirs d’organiser la confusion des rôles. « Nous devons résister à ça ! Et, au contraire, par la prévention,articuler plus une politique intégrée d’action sociale avec une politiqueýd’aide aux enfants et aux mineurs. Donc provoquer des protocoles d’intervention entrela Communauté française et la Région wallonne via les plans sociaux intégrés ! Parce que l’aide à la jeunesse est sans cesse confrontée àdes situations d’urgence où l’on dépense une énergie énorme pour décloisonner les secteurs. »
Par ailleurs, Jean-Michel Heuskin, président du Centre d’action laïque de Liège4, s’oppose à la logique du « Chacun chez soi et on ne se mélange pas» qui se trouverait derrière les RIQ. Sur base de la rencontre de mai dernier avec un représentant de l’Intérieur, il estime qu’« avec les RIQ il n’y aque des dérives ! Quelles garanties a-t-on sur la moralité des gens qui peuvent y aller ? Côté police, on pourrait fort bien en arriver à avoir des shérifsqui créent indirectement leur propre réseau d’informateurs. « De nouveau, analyse-t-il, ce sont des méthodes ‘vitrines’ qui peuvent conduire à l’effetinverse : d’une insécurité subjective de la délinquance à l’insécurité de la surveillance. C’est très malsain. Or, pour retisser desliens sociaux, il faut du dialogue dans les comités de quartier, et non se surveiller derrière les rideaux. Par ailleurs, les RIQ rendraient suspects etdécrédibiliseraient aux yeux des habitants le travail des éducateurs de rue. »
Ainsi, ces différents acteurs prônent de concert :
> le renforcement des moyens de la Justice ;
> le renforcement du secteur de l’Aide à la Jeunesse en Communauté française, notamment, insiste Pascal Rigaux, par la signature entre Verwilghen et Duquesne d’unaccord de coopération pour renforcer les moyens des Communautés ;
> davantage de collaboration autour du décret de 1991 dans le secteur de l’Aide à la jeunesse en Communauté française.
1 Ministère des Affaires intérieures, Secrétariat permanent à la politique de prévention, rue Royale, 60-62 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 500 2445.
2 Fédération des institutions de prévention éducative – tél. : 071 32 78 32.
3 Service d’aide à la jeunesse de Namur, rue Lucien Namèche, 12 à 5000 Namur – tél. : 081/24 10 60
4 CAL, boulevard d’Avroy, 86 à 4000 Liège – tél. : 04/232 70 40.
Archives
"Les Réseaux d'information de quartier font doucement leur entrée en Wallonie et à Bruxelles"
Olivier Bailly
26-08-2002
Alter Échos n° 125
Olivier Bailly
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