Depuis le 19 octobre dernier, quelque quatre-vingts sans-papiers, originaires de plusieurs continents, se sont rassemblés pour occuper une aile de l’église Saint-Boniface,située au cœur de Matonge, à Ixelles. Dans un quartier où la solidarité prime, ces adultes et ces familles font entendre leur voix à travers un mouvement quise veut fédérateur : l’Udep, l’Union pour la défense des sans-papiers1. Il s’agit, fait peu courant, d’un collectif mis en place par et pourles personnes réfugiées.
Vers l’émancipation des sans-papiers ?
Ce collectif, créé en juin 2004 dans le sillage de la » marche européenne des sans-papiers » à Liège, s’organise désormais comme » mouvementnational « , avec une structure » centrale » et des » régionales « . L’action qui s’ensuit ne dément ni les besoins sociaux et humanitaires importants que les migrantsmanifestent, ni leur capacité à se mobiliser dans la durée, comme c’est le cas à Saint-Boniface. Ainsi, on se rappellera la participation importante lors de ladernière manifestation de commémoration de la mort de Sémira Adamu, le 24 septembre dernier, où plus d’un millier de manifestants, belges solidaires et demandeursd’asiles avaient parcouru le centre de Bruxelles, de la gare du Nord au centre ouvert du Petit Château. Aussi, dans un contexte social et politique de plus en plus difficile pour lesmigrants, semblable mobilisation ne peut être que due à la prise en main des réfugiés par eux-mêmes.
Une occupation différente…
L’occupation actuelle, bien qu’apparemment similaire aux précédentes (aux églises d’Ixelles, de Bruxelles ou, plus récemment, de Charleroi),diffère pourtant des autres sur deux aspects importants. D’une part, il n’est pas question ici de mener une grève de la faim – » nous voulons éviter legaspillage de notre santé mais encore de ne pas tomber sous la critique du » chantage « , avancée lors de la grève des Iraniens ou des Afghans « , explique Ali, porte-parole del’Udep et coordinateur de l’occupation. » Et puis, les grèves de la faim sont assimilées par l’opinion publique à un acte de mendicité, or ce n’estpas notre motivation « , poursuit Ali. D’autre part, il ne s’agit plus de l’action d’une seule communauté ethnique, mais d’un ensemble multiethnique etmulticonfessionnel. Un question de cohérence, estime l’Udep, » puisque nous avons les mêmes problèmes et la même souffrance, unissons-nous plutôt ! «
» Avant-projet de loi de régularisation » : la contre-proposition de l’Udep
Mobilisation accrue, desiderata communs à tous les sans-papiers, occupation d’église, le mouvement va jusqu’à formuler un » Projet de loi de régularisation » … Mais d’où vient cette dynamique de convergence dans les revendications ? Le porte-parole explique ainsi que, » après avoir examiné les quatre critères derégularisation, à savoir le regroupement familial, attache durable, la procédure d’asile et l’article 9.3, augmentés de critères qui avaient servi lorsde la campagne de régularisation de 2000, nous avons voulu construire une proposition concrète. Parce que, à chaque fois que nous avons rencontré les autorités, ona remarqué que les mots d’ordre ou les slogans ne suffisaient pas. Il fallait donc amener quelque chose de beaucoup plus concret ! Afin de poser plus qu’un dossier de revendicationet faire preuve de citoyenneté ».
L’avant-projet de l’Udep sera finalisé prochainement. Quelle en est la teneur ? Dans un premier temps, il entend contrer le projet de loi actuellement finalisé par leministre VLD de l’Intérieur, Patrick Dewael (voir 2[x]e[x] « Au fait » dans ce numéro). Cette réforme de la procédure d’asile » veut introduire le principe deprotection subsidiaire en droit belge et modifier l’actuel article 9.3 de la loi du 15 décembre 1980. (…) l’application restrictive qu’en fait l’Office desétrangers est unanimement critiquée, note encore l’Udep « . Ensuite, les candidats au séjour réclament une » nouvelle loi de régularisation des sans-papiers « dont » les lignes de force » sont :
• » des critères clairs et permanents qui répondent à la situation de tous les sans-papiers : maladie et handicap grave ; longue procédure (régularisationautomatique au-delà d’un délai d’attente de trois années, incluant dans cette période la durée du recours devant le Conseil d’état) ; avoirdes attaches durables (cinq ans de séjour en Belgique) ; intégration socio-économique ou avoir un contrat de travail ;
• » des délais contraignants et une procédure respectueuse des droits de la défense » – droits dont une ‘commission de régularisation’ semblableà celle créée en 2000 sera garante, ainsi que des recours vraiment suspensifs de l’expulsion du territoire.
• pour terminer par la » garantie explicite de la liberté d’expression, d’organisation et de manifestation pour les sans-papiers en action collective et leursdélégués « .
Si cette contre-proposition peut sembler étonnante, il faut savoir que l’Udep a déjà rencontré des autorités. La vice-première ministre LauretteOnkelinx (PS) et le ministre de l’Intégration sociale, Christian Dupont (PS), sont parmi ceux qui constituent les premiers » interlocuteurs officiels « . Tous deux ont reconnu que lalégislation actuelle » tournait carré « . À cela, il faut ajouter que l’appui du tissu associatif et des ONG ne faiblit pas. Pensons au soutien récent du CNCD auxoccupants, lors de sa campagne » 11 11 11 « .
Les syndicats se mouillent
Tout récemment, les syndicats ont affiché leur soutien au mouvement des sans-papiers. Ainsi, dans un communiqué daté du 9 novembre, sur la base de son » combat contrel’exclusion sociale « , le bureau journalier de la Fédération bruxelloise de la CSC, en la personne du secrétaire fédéral Guy Tordeur, témoignait » sasolidarité aux occupants de l’église Saint-Boniface à Ixelles (…) et demandait » instamment aux pouvoirs publics d’entendre les revendications des occupants etde mettre en œuvre sans délai les moyens nécessaires pour l’accueil, l’accompagnement et la régularisation des sans-papiers « . À Liège, dessans-papiers ont commencé à s’affilier à la FGTB.
Et Ali de comparer l’actuelle situation des réfugiés précaires à celle des prolétaires des siècles derniers qui, de leur lutte, firentémerger les mouvements syndicaux …
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