Jamboree le week-end dernier à Bruxelles : plus de 80 000 scouts se sont réunis pour fêter les cent ans du mouvement. À ce sujet, un livre vient de paraître fortopportunément aux éditions Luc Pire1 ; il analyse la réalité des mouvements de jeunesse aujourd’hui.
Ils sont plus de 100 000 en Communauté française, âgés de 5 à 17 ans (soit 10 % de la population concernée, 75 000 familles, dans 88 % des communes),à se rassembler chaque week-end pour crapahuter dans les bois et dans les parcs, apprendre à faire et défaire des nœuds… Pour ces enfants, encadrés par 20 000animateurs bénévoles, ce sont des expériences de vie hors du cocon familial, dont l’apothéose est le grand camp d’été. Les mouvements de jeunesseen organisent plus de 3 000 chaque année.
Scouts, guides et patros : en marge ou en marche ? Derrière ce titre, Bernard Mathieu et Olivier Servais, les deux directeurs de cet ouvrage collectif, posent la question des apportsactuels des mouvements de jeunesse. Plusieurs spécialistes apportent leur éclairage au départ d’un colloque organisé en 2006 (voir AEduc n°125, »A Mozet, lesmouvements de jeunesse se sont affirmés en marge et en marche« ).
Géographie du foulard
Structurellement polarisé, ce secteur s’articule autour de trois grands axes : chrétien, libéral et socialiste. « Cette structuration explique en partie le profilsociologique de la population des mouvements de jeunesse ainsi que leur diffusion spatiale », avancent Dominique Dubrulle et Benjamin Wayens, tous deux géographes.
Mais l’analyse est aussi plus fine. Comme le détaillent ces deux intervenants, la Fédération catholique des Scouts-Baden-Powell de Belgique (FCSBPB alias LesScouts)2 actuellement dominante en Communauté française avec 48 800 inscrits privilégie nettement les territoires urbains et de banlieue et est particulièrementbien ancrée en Région bruxelloise. Les unités de la capitale furent en fait les premières créées par le mouvement. Les Guides catholiques de Belgique(GCB)3, le pendant féminin des scouts qui compte 20 700 membres, se retrouvent davantage dans des communes à revenus plus élevés tandis que le Patro4(20 100 affiliés) fait figure de spécificité rurale. Les patronages, comme on les appelait dans le temps, étaient « destinés à préserver lajeunesse » de la supposée « dépravation des mœurs et des courants matérialistes gagnant la société ». Autrement dit, le clergé qui ledirigeait visait « à préserver les enfants des ouvriers des dangers de la rue et des influences socialistes » ; le patronage devint une sorte de catéchisme.
Aujourd’hui, le Patro conserve souvent des implantations paroissiales et il s’y développe, vu la petite taille des sections, un esprit assez familial. Plus confidentiel, lesScouts et guides pluralistes de Belgique (SGP)5 concentrent pour leur part plus d’un tiers de leurs effectifs dans la capitale. Contrairement aux précédents, quibénéficient du réseau catholique, les SGP soucieux de maintenir leur apolitisme se sont détachés du soutien du monde libéral. Ils comptent quelque 3 700membres.
Totems et promesses, un rituel inoxydable
Philippe van Meerbeeck, psychiatre et psychanalyste, place les mouvements de jeunesse au cœur de l’adolescence. Il rappelle les trois temps logiques de cet âge :séparation de sa famille, initiation, engagement. « Bien que les rituels traditionnels aient disparu de nos civilisations, le travail identitaire est toujours indispensable de nos jours,dit-il. Il n’existe pratiquement plus aucun cadre dans lequel ce travail peut se réaliser. Les familles sont en perte de vitesse, l’école est mise à mal […] ily a désormais un grand vide autour de cette évolution identitaire. » Pour lui, le « travail » des mouvements de jeunesse est en ce sens plus importantaujourd’hui que par le passé. Épreuve de vie, découverte du code et des lois, découverte des limites de la liberté individuelle et engagement de la parolecontribuent au passage à l’âge adulte. « Il s’agit de proposer un moment où le jeune peut, après avoir quitté le monde de l’enfance,s’initier petit à petit à la civilité », poursuit-il.
Des enjeux personnels mais aussi des enjeux citoyens… comme le souligne le sociologue Alain Eraly, les mouvements de jeunesse favorisent le processus de découverte etd’apprentissage des droits et des devoirs, de développement de la conscience de soi à partir des autres et de l’extension de la communauté deréférence.
Si l’on s’est attardé ici à la description du paysage du scoutisme en Belgique et aux bénéfices immédiats pour ses affiliés, ce livre souligneégalement l’investissement personnel des jeunes adultes qui les encadrent. Analysé en termes économiques, ce « travail » ne représente pas moins de 600heures par an pour chacun d’entre eux. Une implication et un know-how (de la gestion de groupe et de la gestion de budget à l’intendance pour cinquante personnes, deséléments de psychologie de l’enfant au sens des responsabilités) qui laissent des traces sur un curriculum vitae et qui font souvent mouche dans la recherche d’unpremier emploi.
1. Scouts, guides et patros : en marge ou en marche ? Sous la direction de Bernard Mathieu et Olivier Servais, éd. Luc Pire, 2007, 176 p.,
site : www.lucpire.eu.
2. Les Scouts, rue de Dublin, 21 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 508 12 00.
3. Guides catholiques de Belgique, rue Paul-Emile Janson, 35 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 538 40 70.
4. Fédération nationale des patros jeunes gens, rue de l’Hôpital, 17 à 6060 Gilly
tél. : 071 28 69 50
Fédération nationale des patros féminins, rue de l’Hôpital, 15 à 6060 Gilly –
tél.: 071 28 69 55.
5. Scouts et guides pluralistes de Belgique,
av. de la Porte de Hal, 38 à 1060 Bruxelles – tél : 02 539 23 19.