Dans une récente étude de Brussels studies[x]1[/x], Jacinthe Mazzocchetti se penche sur les théories du complot dans les quartiers pauvres de Bruxelles. Le complot : une forme de défiance face aux injustices ?
Les Illuminati dominent le monde. L’attentat du 11 septembre contre le Pentagone n’a jamais existé. Des « mafias internationales » contrôlent les médias… Les théories du complot semblent se multiplier.
A Bruxelles, Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue à l’UCL, a rencontré, dans le cadre d’une précédente étude, de nombreux jeunes du « croissant pauvre » de la capitale.
Bien souvent, ils faisaient référence à divers complots. Une grille de lecture du monde qui, selon la chercheuse, est un « effet du cumul des discriminations, des relégations et des violences d’Etat, qu’elles soient explicites, comme dans le cas de certains débordements policiers, ou pensées comme telles. »
C’est donc une nouvelle facette des effets des discriminations à l’encontre des jeunes d’origine immigrée des quartiers pauvres de Bruxelles que l’anthropologue analyse dans cette étude de Brussels studies à travers le prisme des théories du complot.
Une étude dont elle nous résume les enjeux : « L’analyse porte sur les représentations qui naissent au cœur des difficultés quotidiennes et dans les profonds sentiments d’injustice qui s’y articulent ».
Les dynamiques de relégation et de ségrégation dans les quartiers du croissant pauvre de Bruxelles sont largement étudiées. Avec leur récent ouvrage « Adolescences en exil », Jacinthe Mazzocchetti et Pascale Jamoulle avaient accordé une place prioritaire à la parole des jeunes. S’intéressant à leurs difficultés, « et à leurs ressources, à leurs stratégies de résistance et à leurs interprétations des obstacles rencontrés ».
Constructions paranoïdes
Pour la chercheuse, le constat est clair. Ces jeunes, enfermés dans une ségrégation scolaire et spatiale, « dont l’espace de vie se limite parfois à quelques rues », ont des « visions et vécus de la ville très fragmentés. » Résultat : « Des jeunes grandissent avec le sentiment fort de ne pas avoir de place à Bruxelles ». Les vécus de relégation « ont des effets sur la construction de soi et les dynamiques de vivre ensemble. Ils créent des sentiments d’injustice et alimentent des constructions de sens paranoïdes. »
Ces jeunes sont confrontés à des interventions policières parfois brutales, qu’ils ressentent comme arbitraires. Ils observent les représentations médiatiques de leurs quartiers « sombres, violentes et réductrices ». Des moments critiques qui, pour une série de jeunes « démontrent explicitement le rejet dont ils font l’objet, qu’ils interprètent comme orchestré de surcroît », nous apprend Jacinthe Mazzocchetti.
Dans ce contexte, le complot est pourvoyeur de sens. C’est ce qu’explique l’auteure de l’étude. « Le complot est une manière de mettre en mots et, surtout en sens, une accumulation de faits (pauvreté, ségrégation spatiale, relégation scolaire), auxquels se surajoutent les ressentis explicites de rejet ou les faits de racisme ordinaire. » Une grille de lecture qui permet à ces jeunes « d’avoir prise sur les événements en les rendant cohérents ». Pour l’auteure, « la tension et les colères repérées dans les écoles et quartiers bruxellois ne présagent rien de bon. » Conclusion de Jacinthe Mazzocchetti : Il importe d’agir rapidement sur le plan des discriminations socio-économiques.
1. Jacinthe Mazzocchetti, « Sentiments d’injustice et théorie du complot. Représentations d’adolescents migrants et issus des migrations africaines dans les quartiers précaires de Bruxelles », Brussels studies, n° 63, 26 novembre 2012. »