Le Collectif « Pour une école ouverte à tous » souligne l’avancée du décret mais se montre circonspect quant à sa bonne application. Ilréclame une instance supérieure collective et neutre pour gérer les inscriptions de manière impartiale.
Le fameux « décret Inscriptions » a déjà fait couler beaucoup d’encre, et le flux n’est pas prêt de se tarir. Pour rappel, le texte, dûà la ministre Maria Arena, interdit le changement d’école au sein d’un même cycle et fixe au 30 novembre précédent la rentrée scolaire, le momentà partir duquel toutes les écoles de la Communauté française sont tenues d’inscrire les élèves dans l’ordre d’arrivée des demandes.Adopté le 28 février 2007 dans le but de promouvoir l’égalité des chances et de lutter contre les « écoles ghettos », il a étépublié au Moniteur belge le 12 novembre dernier et s’appliquera donc bien dès la rentrée 2008… ce qui signifie que les inscriptions pour lesélèves de 1re et 2e années du secondaire peuvent commencer dès ce 30 novembre ou même le 16 novembre pour les élèvesprioritaires1. Fini, donc, a priori, les listes d’attente cadenassées pour les dix prochaines années – cela s’est vu –, ou les refusd’inscription non motivés, voire motivés par des raisons de ségrégation inavouées. Les premiers arrivés seront les premiers servis. C’est dumoins le but affirmé de la manœuvre.
Si d’aucuns craignent déjà de devoir camper devant leur école de prédilection afin d’être en bonne place dans la file des inscriptions, d’autresquestions non moins pragmatiques se profilent, portées par le collectif « Pour une école ouverte à tous », constitué d’une dizained’associations2. Le Collectif, favorable au décret qu’il considère comme « un pas dans la bonne direction » en faveur de la mixité sociale dansles écoles, précise que de nombreuses zones d’ombre subsistent et surtout, que ce pas n’est que le premier pas dans une longue marche vers une écoleégalitaire. « Si on en reste là, c’est insuffisant ! À la fois sur la problématique des inscriptions et sur d’autres priorités comme larevalorisation de l’enseignement et de toutes ses filières. » Sa crainte aujourd’hui : que la complexité de la mise en œuvre du décret ne served’argument majeur à ses opposants, qui auraient alors beau jeu de le déclarer « irréaliste ».
Ne pas s’arrêter aux inscriptions
Rappelant les piètres résultats de la Belgique, sur la base des enquêtes Pisa de l’OCDE, Didier de Laveleye, directeur du Mrax, épingle non sans cynisme : «Ça demande beaucoup d’efforts pour avoir une école aussi inégalitaire que celle que nous avons en Belgique puisqu’il s’agit de mettre en place toutes unesérie de filtres, sociaux, culturels ou encore des listes d’inscriptions verrouillées. Sans négliger qu’il existe encore des arguments de discrimination directe, detype raciste, pour refuser des inscriptions. Il est grand temps de mettre ces efforts au service d’une école de la réussite pour tous, ça ne demandera pas plusd’énergie. » Au-delà de la boutade, le collectif veut s’assurer que « l’esprit du décret » sera suivi et que les parents seront bieninformés de ses implications pour la scolarité de leurs enfants. Il réclame notamment une meilleure diffusion de l’information. « Les parents ont reçu unelettre de trois pages, un peu rébarbative. Il nous semblerait judicieux de faire passer le message par des médias grand public comme la télévision, la radio ou encore unsite internet simplifié », suggère Corinne Villée du Service Droit des jeunes.
Le collectif s’inquiète aussi de la publicité qui pourra être faite : comment les parents seront-ils informés des heures d’inscription ? À quel momentrecevront-ils le « volet B » complété, motivant le refus d’inscription : dès que l’école aura atteint son nombre d’élèvesmaximum ? Le 30 juin, lorsque les inscriptions pourront réellement être enregistrées avec la preuve d’obtention du CEB ? En septembre, lorsque le nombre de places encoredisponibles sera connu ? Pourront-ils vérifier leur ordre sur la liste d’attente ? Les questions sont pertinentes, mais bon nombre de parents n’en prendront sans doute pas lamesure avant le mois de juin, voire fin août. Comme le souligne Chantal Massaer directrice d’Infor Jeunes, l’enjeu du décret risque d’être occulté par lesfamilles les plus concernées par la ségrégation scolaire, pour des raisons pragmatiques : « Les familles privilégiées sont aussi celles qui considèrentl’école comme un investissement alors que dans les milieux défavorisés, l’école est avant tout une dépense. On risque de retrouver les premièresen tête de file pour inscrire leurs enfants dans les meilleures écoles alors que les secondes attendront le 30 juin et la réussite de leurs enfants pour songer àl’inscription. ».
Et si certains enfants sont inscrits dans plusieurs écoles en attendant de se décider à la rentrée, bloquant de facto des places, comment ceux qui sont sur listed’attente seront-ils informés, dans quels délais et surtout comment pourront-ils vérifier la légalité d’un refus ?
Le collectif insiste : « En tant qu’associations de terrain, on constate déjà que de nombreuses écoles ne respectent pas la législation existante. Pourquoi leferaient-elles avec un décret plus contraignant s’il n’y a aucune sanction ? » Derrière cette question se profile une exigence essentielle du collectif : lanécessité d’une instance supérieure collective et neutre pour gérer les inscriptions en toute impartialité. Ce qui aurait aussi le mérite dedébroussailler les inextricables complications dues aux inscriptions multiples et de centraliser les inévitables problèmes d’encombrement qui ne manqueront pas de se poserpour certaines écoles dès le 30 novembre. Cette seule question vaut son pesant de sueurs froides pour les chefs d’établissement : « On imagine que les parents neprendront pas toujours la peine, le 1er septembre, d’alerter les différentes écoles où leur enfant est inscrit pour signaler que finalement il va à telleécole et pas à telle autre. Dès lors, à partir de quel moment les directeurs vont-ils connaître le nombre de places exactes disponibles pour les enfants inscrits surla liste d’attente ? ».
1. Les élèves fréquentant un internat lié à l’école ; dont le frère/la sœur ou tout autre mineur résidant sous le même toitest déjà inscrit dans l’établissement scolaire ; les élèves suivant l’apprentissage en immersion dans une école primaire qui a conclu un accordde collaboration avec l’établissement ; ceux dont au moins un parent travaille dans l’établissement scolaire ; les élèves inscrits dans une écoleprimaire rattachée à l’établissement.
2. Le Service droit des jeunes, Changement pour l’égalité, la Ligue des droits de l’homme, la Coordination des Écoles de devoirs de Bruxelles, la Ligue des familles,la Fédération des institutions de prévention éducative, Samarcande, le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, Simplement uneécole, Bouillon de cultures, Infor-Jeunes Bno, Arba IJ.