Beaucoup disaient que c’était impossible, et pourtant, ils l’ont fait. Début décembre, les 27 États membres de l’Union européenne (UE) ont réussi à s’entendre, au sein du Conseil de l’UE, sur la proposition de directive «relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne». Il s’agit d’un chantier de taille, qui consiste à réduire les écarts entre les salaires minimums, partout en Europe.
Cette proposition avait été mise sur la table par la Commission européenne en octobre 2020 et vise, selon l’institution, «à faire en sorte que les travailleurs de l’Union soient protégés par des salaires minimaux adéquats leur permettant de vivre dignement quel que soit l’endroit où ils travaillent». Le but de l’exécutif européen, présidé par l’Allemande Ursula von der Leyen, n’est pas de fixer un même salaire minimum partout en Europe – il n’en a évidemment pas la compétence. Mais en matière d’égalité des rémunérations, il y a toutefois fort à faire: le salaire minimum bulgare est près de sept fois moins important que celui du Luxembourg.
En matière d’égalité des rémunérations, il y a fort à faire: le salaire minimum bulgare est près de sept fois moins important que celui du Luxembourg.
D’autant que «dans de nombreux États membres, au cours des dernières décennies, les bas salaires n’ont pas progressé au même rythme que les autres salaires. Les tendances structurelles qui sont en train de modifier en profondeur les marchés du travail, telles que la mondialisation, la numérisation et l’essor de formes de travail atypiques, en particulier dans le secteur des services, ont entraîné une polarisation accrue des emplois qui s’est traduite par une part croissante d’emplois faiblement rémunérés et peu qualifiés, et ont contribué à l’érosion des structures traditionnelles de négociations collectives», souligne la Commission européenne, qui poursuit: «Cela a entraîné une augmentation de la pauvreté au travail et des inégalités salariales.»
Six États membres sans salaire minimum
Depuis un peu plus d’un an, les co-législateurs (c’est-à-dire les 27 États membres au Conseil de l’UE et les eurodéputés au Parlement européen) se sont donc penchés sur cette proposition de directive d’une trentaine de pages. Elle n’a pas immédiatement fait l’unanimité – loin de là – notamment car les systèmes sociaux ne sont pas identiques partout sur le territoire du Vieux continent. Les pays scandinaves n’ont par exemple pas de salaires minimums en tant que tels, mais des systèmes reposant sur des conventions collectives négociées, branche par branche, entre les employeurs et les syndicats.
Au Parlement européen comme au Conseil de l’UE, pour les représentants de ces pays dans lesquels un salaire minimum n’est pas fixé légalement, la priorité a été de préserver leur «culture sociale» à part. De son côté, la Commission européenne souligne bien que la «protection offerte par des salaires minimaux peut être prévue par des conventions collectives ou résulter de salaires minimaux fixés par la loi». Le premier cas de figure existe dans six États membres (Danemark, Italie, Chypre, Autriche, Finlande et Suède), le second dans les 21 autres.
Le Parlement européen s’est entendu sur sa position de négociation fin novembre: par 443 voix pour, 192 contre et 58 abstentions, les eurodéputés se sont exprimés en faveur de l’idée de garantir une rémunération offrant des «conditions de vie décentes aux travailleurs et à leurs familles», soit via un salaire minimum légal, soit en permettant aux travailleurs de négocier leur salaire avec leurs employeurs via la négociation collective. Pour cette dernière, le Parlement européen souhaite renforcer et étendre la couverture de la négociation collective en obligeant les Etats membres ayant moins de 80% des travailleurs couverts par ces accords à prendre des mesures pour promouvoir cet instrument. Ce sera l’un des points centraux de la suite des négociations.
Par 443 voix pour, 192 contre et 58 abstentions, les eurodéputés se sont exprimés en faveur de l’idée de garantir une rémunération offrant des «conditions de vie décentes aux travailleurs et à leurs familles», soit via un salaire minimum légal, soit en permettant aux travailleurs de négocier leur salaire avec leurs employeurs via la négociation collective.
Victoire symbolique
Puisqu’à son tour, le Conseil de l’UE est parvenu à dégager un accord, les pourparlers entre les États membres et les parlementaires peuvent débuter. Au premier semestre 2022, c’est la France qui occupera la présidence tournante du Conseil de l’UE. Paris espère qu’un accord global pourra être trouvé au cours de ses six mois de présidence, afin que l’Hexagone puisse accrocher ce trophée à son tableau de chasse. La France n’a en effet de cesse de répéter qu’elle veut avancer sur le plan de «l’Europe sociale». Et pendant sa conférence de presse du 9 décembre, le président français Emmanuel Macron, qui présentait les priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), n’a pas caché que la «directive sur les salaires minimum dans l’Union européenne qui définit non pas un Smic européen comme une moyenne mais tire tous les bas salaires vers le haut grâce à un salaire minimum décent sera au coeur» du programme de travail de Paris à Bruxelles.
Mais il s’agira avant tout d’une victoire symbolique, déjà parce que dans la proposition initiale de la Commission, aucun seuil salarial minimum n’avait été fixé juridiquement, et ensuite parce que la seule indication chiffrée esquissée par la Commission (celle de fixer les salaires minimums à 60% du salaire médian brut ou à 50% du salaire moyen brut) risque d’être gommée à l’issue des pourparlers. En d’autres termes, la mouture finale de la directive pourrait se contenter de plaider pour l’alignement (vers le haut) des salaires minimums en Europe, mais sans jamais réellement donner de véritables ordres de grandeur. Depuis novembre 2017 pourtant, l’UE, dans son Socle européen des droits sociaux, avait déjà préconisé la mise en place de salaires minimaux «adéquats» ainsi que d’une fixation transparente et prévisible des salaires, conformément aux pratiques nationales et dans le respect de l’autonomie des partenaires sociaux.