En 2017/2018, un tram en rive gauche de Meuse, à financer via 500 millions d’euros en partenariat public-privé, parcourra 17,6 kilomètres en fond de vallée entreJemeppe-sur-Meuse, la gare des Guillemins, Saint-Lambert et Herstal1. Les enjeux et les risques de dérive sociale tissent les rails du tram.
Le premier coup de pioche pour le tram « va générer, d’ici trois ans, deux mille emplois directs et un retour économiqueindirect », table l’échevin des Affaires sociales Benoît Drèze (CDH)2, en comptant la moitié du budget de 500 millions d’euros pourl’emploi et l’autre moitié pour l’infrastructure. L’enjeu social, après trois ans de travaux et inauguration du premier tronçon Guillemins-Coronmeuse pourl’éventuelle Exposition internationale 2017 sur 25 hectares à Coronmeuse, concerne ensuite le public sans voiture ou démuni : « Le tram, assurel’échevin, ne sera pas un bus de luxe et la Ville fera pression sur la Région et le privé du PPP (partenariat public-privé) pour des tarifs alignés sur ceuxdu bus. »
L’association Urbagora3, cheville ouvrière de la Plate-forme TramLiege.be4 organisatrice de débats sur le tram, décrie, par la voix de sonprésident François Schreuer, « le carcan contractuel du PPP qui risque de peser sur la tarification, et d’être plus cher qu’un endettement traditionnel cecimalgré l’orthodoxie budgétaire imposée par Maastricht ». Le PPP n’est « pas la tasse de thé » du ministre wallon de laMobilité Philippe Henry (Ecolo), « mais sans PPP, rétorque-t-il, il n’y aura pas de tram. Sans cette formule, la décision du tram pour Liègen’existe plus, vu l’endettement wallon ». Il assure par ailleurs que « l’exploitation et la tarification seront publiques ».
Enfin, le tram s’adresse socialement aux femmes – 66 % des navetteurs TEC et aux PMR (personnes à mobilité réduite : accidentés, malades, parentsavec poussettes, personnes âgées, clients avec caddies, voyageurs avec valises) – 30 % des 192 711 Liégeois : « Le plain pied des quais aux rames,se réjouit Benoît Drèze, a été garanti par le gouvernement wallon précédent. Actuellement, le taux de satisfaction sur les bus équipésd’une rampe d’accès PMR n’est que de 50 % pour une ambition au départ de 90 %, car les rampes automatiques ne se déploient pas toujours. Lerésultat est que les PMR, découragés, prennent peu le bus. »
Boulevard du Tram
Le tracé en seule rive gauche est décrié par le chercheur sociologue François Bertrand et par Urbagora avec la crainte que le tram « ne creusedavantage le fossé social avec la rive droite plus peuplée [NDLR 4 300 habitants de plus], plus démunie et moins pourvue de services publics ».L’Observatoire du commerce et l’échevinat des Finances amenuisent l’argument : « Les deux rives sont plus pauvres et les deux périphéries sontplus riches. Cela dit, la rive gauche est davantage dotée de musées et compte l’Opéra et l’Orchestre philharmonique. »
Mais pour François Schreuer, « une boucle supplémentaire, liant les deux rives, répondrait à la demande en rive droite où les lignes 4 et 17 du TECsont saturées. Le chantier nécessiterait des travaux sur deux ponts, finançables en limitant dans un premier temps la ligne Herstal-Jemeppe àCoronmeuse-Sclessin ». Benoît Drèze acquiesce – « une ligne de plus serait mieux » –, mais rappelle que « le gouvernement atranché. Je préfère un tram en rive gauche que pas de tram », frémit-il. Il invite à « ne pas contester les décisions, de crainte quetrop de tergiversations ne bénéficient à d’autres régions, par exemple à Charleroi pour la rallonge du métro ».
Le bourgmestre de Liège, Willy Demeyer (PS), évoque d’ailleurs l’éventualité de « transformer, à terme, le boulevard de l’Automobile(aux Vennes, en rive droite) en boulevard du Tram, notamment pour desservir le Longdoz fort du nouveau complexe commercial Médiacité ». Quid aux Guillemins, près de lagare TGV ? « On étudie l’hypothèse d’une double ligne, avec voie principale rue Paradis et boucle cadencée une fois sur deux, rue des Guillemins dansle sens vers Sclessin », confie le bourgmestre. A noter que la SNCB-Holding, propriétaire de la gare et riveraine du futur tram, n’a « pas encore deprédilection arrêtée », nous dit le porte-parole Louis Maraite… Pourquoi ? « La SNCB n’a jamais, répond-il, étéconsultée sur le tracé, ce qui est surprenant. Donc elle ne se prononce pas à ce stade, même si certains de ses bureaux se trouvent… rue des Guillemins. »Ambiance. A suivre…
Pour Saint-Léonard, le Collège privilégie les quais, au grand dam d’Urbagora qui défend « mordicus » le tracé au cœur duquartier. Benoît Drèze justifie pour Saint-Léonard « des problèmes de mobilité et une forte diminution de vitesse du tram. On doit arbitrer entre desobjectifs parfois contradictoires : dynamique du quartier et vitesse. Un tram moins rapide que le bus ne serait pas crédible. » Pour Seraing, la députée wallonneliégeoise Veronica Cremasco (Ecolo) demande aussi un tracé supplémentaire (via passage sur deux ponts) en rive droite « pour regrouper les fonds sur le site du futurBoulevard urbain, inclus au Master Plan sérésien pour la requalification de 800 hectares ».
Domino foncier
Quel est le « marketing urbain » du tram ? Le tram est « la pièce maîtresse du domino, répond Veronica Cremasco – rejointe sur ce pointpar le président du TEC, Michel Firket –, d’une restructuration performante du réseau des bus et il boostera donc les quartiers même éloignés.» Il est aussi, selon l’architecte français Marc Barani, lauréat du Prix de l’Equerre d’argent 2008 pour le terminal de tramways de Nice et invitéà un forum par TramLiege.be, « un outil de modelage à penser en concertation entre politiques, urbanistes et techniciens. Le pôle de Nice en spirales àpaliers étagés avec puits de lumière relie la colline à la ville et l’horizon méditerranéen. L’infrastructure technique avec interventiond’un paysagiste
a permis un projet urbain – donc social pour le cadre de vie. Le terminal a accroché à la ville un quartier populaire en colline où les piedsd’immeubles rétrogrades ont été relookés avec places, végétation… »
L’enjeu social est donc aussi foncier, avec « risque d’accroissement des loyers », redoute François Schreuer. Benoît Drèze tempère,« car les promoteurs, note-t-il, ne proposent pas que des logements de luxe à Liège où 50 % des 107 000 emplois sont occupés par des habitantsdes communes périphériques ». Et le Segefa5 de l’ULG édulcore pour Liège la fougue de Marc Barani en opposant « l’engouementfrançais à habiter aux centres-villes à la prédilection des Belges pour les périphéries ». Le tram dopera toutefois sur son tracé« le logement à Sclessin en déclin, décrit Benoît Drèze rejoint par l’échevin de l’Urbanisme, Michel Firket (CDH), les bureaux auxGuillemins, et les commerces en Féronstrée (près du centre) qui deviendra piétonnier. »
Clé ferroviaire
La Région attend de la SNCB une étude sur l’éventualité d’un REL (Réseau express liégeois). Selon François Schreuer, seul le RELplébiscitera le tram liégeois auprès des communes périphériques. « Car à Liège, expose-t-il, le tram s’impose vu des busbondés (40 000 navetteurs/jour sur les lignes les plus fréquentées, compte le TEC, avec croissance de 7 % par an) qui parfois ne s’arrêtent donc pas. Maisle ferroviaire est une clé fédératrice du tram pour l’agglomération, si les navetteurs REL empruntent le tram avec le même titre de transport. » Ilpropose « d’abord pour 100 millions d’euros, dans le même délai que le tram, un réseau léger de deux lignes :Waremme-Ans-Guillemins-Bressoux-Visé et Huy-Flémalle-Seraing-Guillemins-Herstal-Liers ». Mais l’aiguillage tram/train est « pendant au fédéralen affaires courantes, rétorque le ministre Philippe Henry, donc les contacts sont sommaires. Bien sûr, on peut se dire « attendons une discussion avec la SNCB » mais alors, il n’yaura pas le tronçon Sclessin-Coronmeuse pour 2017… »
Or la ville de Liège a inscrit le tram comme un atout dans sa candidature au BIE pour l’Exposition internationale.
Sainte-Marguerite : un abri auto-stop !
A Sainte-Marguerite bas – « tatoué » d’un taux de chômage de 22,58 %, sixième au hit-parade sur dix-neuf quartiers, lesartères Sainte-Marguerite et Saint-Séverin ne sont plus desservies par le bus depuis 1999. Le PTB y a fondé la société Stec (sans transport en commun) conceptriced’un frêle « abri auto-stop » inauguré pour protester « contre le bling-bling du Liège qui gagne en ignorant le Liège quiperd ». Le président du TEC, Michel Firket, réplique que « cela n’a rien à voir ! Je suis partisan du retour du bus. Mais avec laprésidence au TEC depuis 2009, j’ai hérité d’une situation pourrie depuis dix ans. Les chauffeurs refusent d’emprunter ces rues avec pour argumentl’indiscipline des camions. Je me heurte à un veto syndical. Les négociations sont dans l’impasse. »
1. Trois cadencés corridors BHNS (bus à haut niveau de service), potentiellement futures lignes tram, se grefferont via 60 millions d’euros wallons sur la voie du tram :Bressoux-Ans, Standard-CHU, et Guillemins-Chênée.
2. Cabinet de l’échevin des Affaires sociales :
– (cité administrative, 9e étage)
– adresse : rue Potiérue, 5 à 4000 Liège
– tél. : 04 221 84 48
– courriel : echevin.dreze@liege.be
3. L’asbl UrbAgora, groupe de réflexion en aménagement urbain, propose un concours d’architecture pour le tram et le design environnant. Rue Pierreuse, 19/21 à 4000Liège
4. La plate-forme TramLiege.be, présidée par Gérard Debraz, à la tête du comité de quartier Fragnée-Blonden et forte de 28 associations, aorganisé du 20 octobre au 27 novembre six débats et un forum citoyen sur le tram – site : http://tramliege.be
5. Segefa
– Service de recherche en géographie économique de l’ULg, Institut de géographie (B11) Sart-Tilman
– adresse : allée du 6 Août, 2 à 4000 Liège
– tél. : 04 366 53 19