A Ixelles, la CSC1 a mis en place un groupe d’employées domestiques pour soutenir les aides ménagères dans une lutte permanente pour faire reconnaître leurs droits sociaux
Ce sont des histoires quotidiennes. Celles de ces employées domestiques, souvent d’origine étrangère, qui sont exploitées avant d’être régularisées par des ambassades, des fonctionnaires ou des familles belges sans histoire.
C’est le cas d’Assia. En 2005, elle quitte son pays, le Maroc pour venir travailler pour un diplomate marocain, installé à Bruxelles. Payée 150 euros par mois, travaillant 7 jours sur 7 dans l’espoir d’avoir des papiers, elle sera finalement exploitée par le diplomate et sa famille pendant trois ans. « Même quand j’étais malade, je devais quand-même continuer à travailler. On me disait que je n’avais pas le droit d’être malade, je n’étais pas soignée. » C’est en 2008 qu’elle quitte le diplomate pour entamer des démarches pour être régularisée et avoir des papiers, Assia sera finalement reconnue par la justice comme victime de trafic d’êtres humains. Mais le diplomate marocain pour lequel Assia a travaillé pendant trois ans n’a écopé d’aucune peine, protégé par son immunité diplomatique. Aujourd’hui, elle essaie d’oublier cette terrible expérience et de se reconstruire. « Cette famille me traitait comme une esclave, je ne pouvais pas sortir sans leur autorisation. J’étais humiliée, à tel point que je n’ai rien dit à ma famille, j’avais tellement honte de ma vie. »
Ana Rodriguez est souvent confrontée à ces travailleuses étrangères, sans papiers et non déclarées, venues dans les ambassades ou simplement dans des familles belges, en attendant leurs papiers. Pour organiser et soutenir ces travailleuses, elle a lancé un groupe d’employées domestiques au sein de la CSC à Ixelles.
Ana Rodriguez a lancé un groupe d’employées domestiques au sein de la CSC à Ixelles en collaboration avec la centrale alimentation et services. Depuis 2010, ce sont près de 200 femmes, domestiques, aides ménagères ou employées avec des titres-services qui ont pu se rencontrer et évoquer les difficultés de leur parcours dans le secteur du nettoyage.
Payées entre 600 et 700 euros/mois
« Sans papiers, elles n’osent parfois pas porter plainte et se laissent exploiter. Dans le cas dans certaines ambassades, il faudrait enlever l’immunité des diplomates dès qu’un cas d’exploitation est avéré car sans cela, c’est la porte ouverte et assurée à l’exploitation de ces travailleuses sans défense, ni protection », dénonce Ana Rodriguez. Quand on travaille dans l’irrégularité, les salaires sont très bas et ne s’élèvent pas à plus de 600 ou 700 euros par mois, en travaillant toute la semaine, du lundi au dimanche, avec des horaires anarchiques. Sans compter que vous ne bénéficiez d’aucune protection, vous n’avez aucun congé dans de nombreux cas et comme vous êtes sans papiers, vous ne pouvez pas refuser. » Pourtant, il faut savoir que la législation sociale s’applique à toutes les travailleuses, avec ou sans papiers.
Débarquant à 24 ans d’Equateur, son diplôme de pharmacienne en poche, Gabriela commence à travailler en 2001 comme aide-ménagère dans des familles belges pour envoyer de l’argent à sa fille, laissée au pays. « Je suis arrivée le samedi à Liège et le lundi, je travaillais. Je gagnais 650 euros par mois, en travaillant douze heures par jour. Au bout de quelques années, je n’en pouvais plus, je me sentais à bout de force, quand ce n’était pas exploitée, mais vous ne pouvez pas refuser le travail, vous n’avez pas le choix si vous voulez vous en sortir ou obtenir des papiers. Vous êtes prête à tout, quitte à faire de mauvaises expériences. »
Abusée par un pasteur évangélique d’origine italienne comme 500 autres travailleurs sans-papiers de l’asbl de titres-services Cleanse-Brasileuro, Gabriela a cru que s’affilier à cette association, en payant 24 euros par an, allait lui permettre d’avoir des papiers en travaillant de façon régulière et déclarée. Mais en 2009, le directeur de la société est interpellé et inculpé pour détournement de fonds et occupation de travailleurs en situation irrégulière. Le procès n’a toujours pas eu lieu et de cet épisode, Gabriela n’a toujours pas été payée.
Aujourd’hui, enfin régularisée, Gabriela travaille avec les titres-services et gagne 1 400 euros par mois. Mais là aussi, les pressions restent nombreuses pour gagner sa vie. « Pour rentrer dans une entreprise de titres-services, la première question qu’on vous pose, c’est le nombre d’heures que l’on a. Si vous n’avez pas au moins déjà 15 heures, on ne vous fait pas de contrat de travail. C’est toujours à vous de trouver de nouveaux clients car il ne faut pas compter sur l’entreprise », dénonce-t-elle.
Pas de cadeau
Originaire du Pérou, Cristina a été régularisée en 2010. Comme Gabriela, elle travaille désormais avec les titres-services, après avoir longtemps été domestique, « au noir », pour des familles belges. « Je suis arrivée à Bruxelles en 2003 avec un visa touristique, sans rien connaître du pays, seulement une personne. J’ai travaillé un mois à Vilvorde, où je gagnais 400 euros par mois mais j’ai quitté ce travail car je ne pouvais pas communiquer. »
Après trois mois, Cristina a commencé à travailler dans une famille belge où elle gardait un bébé. « Je travaillais au noir, de 8 h à 17 h, du lundi au vendredi avec un salaire de 500 euros par mois. J’ai beaucoup souffert et souvent pleuré pendant cette période. J’ai travaillé trois ans et puis, des amis m’ont dit que mon salaire était trop faible », raconte-t-elle. Aujourd’hui, employée avec des titres-services, elle pensait être mieux protégée par ce système, mais quelle ne fut pas sa déconvenue quand l’entreprise de titres-services fit faillite. « En étant régularisée, je pensais échapper à ce genre d’exploitation, mais je suis restée sans être payée pendant trois mois. Il a fallu attendre plus d’un an avant que je ne puisse toucher le moindre centime », regrette-t-elle.
C’est que les entreprises en titres-services posent parfois de nombreux problèmes. En effet, certaines d’entre elles n’hésitent pas à prendre quelques libertés avec les droits sociaux de ces travailleuses. Pascale travaille pour Manpower depuis 2003 avec des titres-services. Ce choix, ce fut d’abord un choix de raison, quitte à être moins bien payée que dans d’autres entreprises. « Travailler pour Manpower, c’est l’avantage d’avoir une société fixe avec un emploi fixe car beaucoup de sociétés ferment, simplement parce qu’elles sont mal gérées », souligne-t-elle.
Mais derrière ce tableau idyllique, Pascale dénonce aussi certains abus au sein de sa société comme l’emploi systématique du chômage économique. « Cela m’est déjà arrivé de travailler le matin, et d’être mise au chômage l’après-midi. Ce qui n’est pas permis. C’est vrai qu’une entreprise en titres-services ne peut pas prévoir qu’un client va arrêter du jour au lendemain, mais elle devrait prévoir davantage de formations durant ces périodes car on perd de l’argent à cause de cela. » A côté de cela, Pascale admet que les travailleuses en titres-services doivent se battre encore pour être payées pour leurs déplacements. « Tous les mois, on doit recalculer, vérifier sur nos fiches de salaire car on ne vous fait pas de cadeau. »
1. CSC Ixelles :
– adresse : rue Malibran, 45 à 1050 Ixelles
– tél. : 02 557 80 71