Le gouvernement wallon vient d’approuver le projet de décret relatif au parcours d’accueil des primo-arrivants. Lisez bien parcours d’accueil, et non, d’intégration. Si aux oreilles du tout-venant cela peut sonner comme chou vert et vert chou, d’un point de vue politique, le choix des mots est chargé de sens. « On peut mettre en place un dispositif d’accueil. Mais l’intégration ne se décrète pas », nous confie la ministre de l’Action sociale, Eliane Tillieux (PS). Ce n’est pas l’avis partagé par Willy Borsus, que nous avons également interrogé. Pour le président du groupe MR au parlement wallon, le parcours d’intégration doit revêtir un caractère obligatoire sur toute la ligne.
A.E : Le parcours d’accueil a suscité quelques remous récents au Parlement wallon. Quel est le point de friction ?
Eliane Tillieux : « C’est une discussion qui oppose la droite, favorable à une obligation assortie de sanctions, à la gauche. L’aile gauche du gouvernement veut qu’on propose un maximum de formations sur une base volontaire, en tenant compte de l’accessibilité, des objectifs de chacun. »
A.E. : Mais à Bruxelles, Charles Picqué verrait d’un bon œil de rendre le volet linguistique obligatoire ?
E.T. : « À Bruxelles, Charles Picqué a annoncé qu’avec la réforme de l’Etat, une partie du refinancement de la Région serait alloué à l’apprentissage de la langue. Le contexte n’est pas le même d’une Région à l’autre. Si on a créé les Régions, c’est bien parce qu’il y a des difficultés liées à des spécificités sociales et économiques différentes. À cette échelle, on a des convictions différentes. En Flandre, où il y a une culture d’identité linguistique forte, l’inburgering a un caractère obligatoire. À Bruxelles, il y a davantage d’immigration. Il y a une volonté que les primo-arrivants puissent se débrouiller dans une ville multiculturelle et où il y a une multitude de langues. »
A.E. Pourquoi la Wallonie a-t-elle fait le choix de ne rendre obligatoire que le volet accueil ?
E.T. : « On m’a critiquée, on m’a accusée de ne pas vouloir que les gens apprennent la langue. Ce qui est bien sûr faux ! Je suis traductrice, c’est vous dire si la question de la langue est importante pour moi. Mais je ne pense pas qu’on puisse apprendre une langue en obligeant les gens à aller trois fois par semaine suivre des cours sous peine de leur supprimer leur revenu d’intégration. C’est quand on donne la possibilité aux gens de participer à la société, à des actions culturelles, au marché du travail, que le besoin et l’envie d’apprendre s’expriment.
Et puis, on peut parler français sans être intégré pour autant. La question de l’intégration ne se réduit pas à la langue! »
A.E. : Pourquoi parler de parcours d’accueil plutôt que d’intégration ?
E.T. : « On peut mettre en place un dispositif d’accueil. En revanche, on ne peut pas décréter l’intégration. L’intégration, c’est une relation à double sens, dans laquelle, le primo-arrivant et la société d’accueil doivent fournir un effort tous les deux. Aujourd’hui, les discriminations à l’emploi, au logement, sont encore bien trop nombreuses.
L’obligation a aussi un coût. Est-ce vraiment la priorité de dégager des millions pour obliger un public à suivre un parcours quand on voit le contexte économique de crise actuelle, les pertes d’emploi chez Arcelor ? »
A. E. : Les partisans de l’obligation avancent parfois que cela permettrait de rencontrer un public féminin parfois confiné chez lui. L’obligation peut-elle être émancipatrice ?
E.T. : « On peut rétorquer que si des sanctions sont mises en place, il suffira de payer l’amende pour éviter de participer aux actions si on ne le veut vraiment pas. Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles les femmes peuvent être absentes de ces activités : pour des raisons de coutumes, de garde d’enfants, de transport… On ne va pas changer cela avec une obligation. C’est quelque chose de beaucoup plus complexe ! Par ailleurs, quand je visite une association qui fait de l’alphabétisation, par exemple, je remarque qu’il y a beaucoup de femmes. »
A.E. : Quel sera l’impact de ce parcours pour les opérateurs qui font aujourd’hui de l’alphabétisation ou de l’insertion socioprofessionnelle ?
E.T : « Il faut fonctionner avec ce qui existe déjà. Il y a une grande diversité d’acteurs et c’est une bonne chose. Une jeune qui cherche du travail n’apprend pas le français pour les mêmes raisons et de la même façon qu’une grand-mère. Il faut garder cette diversité, mais faire du rangement. On a commencé à classifier l’offre de formation pour pouvoir mieux diriger le public. »
A.E. : Les opérateurs se disent déjà surchargés, le public de primo-arrivants ne risque-t-il pas de prendre la place d’autres ?
E.T. : « C’est effectivement une crainte du public aujourd’hui. Mais c’est évidemment hors de question qu’une politique soit prioritaire sur une autre ! C’est pour cela qu’il faudra dégager des moyens supplémentaires. »
A.E. : Le projet de décret porte sur un parcours d’accueil. Au MR on aurait préféré un parcours d’intégration obligatoire ?
Willy Borsus : Lorsqu’on s’installe dans une société, il y a des droits et des devoirs et il faut être clair sur les devoirs. Il y a plein de règles qui sont obligatoires dans notre société, comme l’obligation scolaire. Dès lors, pourquoi le parcours d’accueil ne serait-il qu’une simple invitation. On vit dans une période de communautarisme. Le taux de chômage dans les groupes immigrés est dramatiquement important. Si on veut donner à chacun la possibilité de trouver du travail, de trouver sa place dans la société, il faut un parcours obligatoire. Si on ne rend pas le parcours obligatoire, une partie du public, délibérément ou non, ne le suivra pas. Ou peut-être en sera empêché par son entourage…
A.E. : Vous voulez dire les femmes ?
W.B. : Le parcours obligatoire est une opportunité pour les femmes migrantes de connaître notre langue, de trouver du travail, d’entrer en contact avec les autres. Notre société est basée sur l’égalité homme femme, c’est un fondement sur lequel on ne revient pas.
A.E. : Mais ne suffira-t-il pas de s’acquitter de l’amende pour échapper à l’obligation ?
W.B. : Le projet de décret annonce des amendes qui peuvent aller jusqu’à 2 500 euros. Je ne vois pas quel primo-arrivant pourrait débourser une telle somme !
A.E. : Avec la réforme du Code de la nationalité au niveau fédéral, il faudra apporter la preuve de son intégration, qui pourrait être la participation au parcours. Ne serait-ce pas là une forme d’obligation, ou du moins, de très forte incitation ?
W.B. : Effectivement. Mais est-ce que le fédéral va considérer le projet de parcours d’accueil wallon comme un vrai parcours ? Rien ne l’indique. Où est-ce qu’on risque de se retrouver avec un parcours d’intégration considéré comme preuve en Flandre et pas en Wallonie ?
A.E. : La question de l’obligation n’est-elle pas aussi une question de moyens ?
W.B. : Il faut voir ce que coûte le fait de ne pas avoir de parcours obligatoire du point de vue humain et socio-économique. Selon le MR, il faudrait entre quatre et six millions d’euros pour enclencher significativement le processus d’un parcours obligatoire. N’est-ce pas un investissement bénéficiaire quand on considère le taux de chômage chez les jeunes migrants ? Nous ne manquons pas d’idées pour économiser de l’argent ailleurs, notamment, dans la constellation d’agences pararégionales.
Le 24 décembre, le gouvernement wallon a approuvé le projet de décret relatif au parcours d’accueil des primo-arrivants. Ce dispositif s’adressera aux personnes séjournant en Belgique depuis moins de trois ans et disposant d’un titre de séjour de plus de trois mois.
Lors de son inscription à la commune, chaque primo-arrivant sera orienté vers un bureau d’accueil, organisé par un des Centres régionaux d’intégration (CRI), où il recevra une information sur ses droits et ses devoirs et une aide dans ses démarches administratives, prévoit le texte. Il devra se rendre à ce rendez-vous dans les trois mois sous peine de se voir infliger une amende administrative allant de 50 jusqu’à 2 500 euros ! Une mesure qui a fait couler beaucoup d’encre… « Il va de soi que la sanction ne pourra pas être infligée si la Wallonie ne rencontre pas elle-même ses obligations en termes d’organisation de l’ensemble du parcours d’accueil », précise la ministre wallonne de l’Action sociale, Eliane Tillieux, dans une intervention au Parlement datée du 16 janvier.
Lors de ce premier accueil, un bilan social sera également soumis au primo-arrivant. En fonction de ses besoins, un apprentissage de la langue française, une formation à la citoyenneté ou un accompagnement socioprofessionnel lui seront proposés. Sans obligation cette fois. « L’accueil sera personnalisé. C’est ce qui change par rapport au dispositif existant en Wallonie actuellement avec les Centres régionaux d’intégration », explique la ministre. Les étapes du parcours seront formalisées au sein d’une convention signée entre le primo-arrivant et le centre régional d’intégration. Un référent unique lui sera également désigné.
Le projet de décret doit encore être soumis à différentes lectures. On peut raisonnablement miser sur une mise en œuvre pour l’horizon janvier 2014. En attendant, 2 millions d’euros ont été dégagés par la ministre de l’Action sociale pour la mise en place des bureaux d’accueil et la création d’un huitième Centre régional d’intégration en province de Luxembourg.
Aller plus loin
– Alter Echos n° 352 du 25.01.2013 : Parcours d’accueil des primo-arrivants, financer l’obligation Parcours d’accueil des primo-arrivants, financer l’obligation
– Alter Echos n° 341 du 22.06.2012 : https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=341&l=1&d=i&art_id=22533 S’intégrer, c’est obligé !
– Alter Echos n° 316 du 29.05.2011 : https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=316&l=1&d=i&art_id=21399 Enfin un parcours pour les primo-arrivants