Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

médias interactifs

L’interaction, un clic citoyen?

L’apparition des moyens numériques a renforcé des formules de participation citoyenne dans les médias. Les occasions sont nombreuses, mais souvent peu exploitées faute de temps et de moyens. Des initiatives diverses existent, notamment à L’Avenir, pour aller au-delà du simple dépôt de réactions ou commentaires immédiats.

L’apparition des moyens numériques a renforcé des formules de participation citoyenne dans les médias. Les occasions sont nombreuses, mais souvent peu exploitées faute de temps et de moyens. Des initiatives diverses existent, notamment à L’Avenir, pour aller au-delà du simple dépôt de réactions ou commentaires immédiats.

«Beaucoup de médias cherchent l’interactivité en tant que telle, explique le journaliste et producteur de webdocumentaires Patrick Séverin. Si c’est interagir uniquement pour avoir du trafic sur ta page et pour pouvoir te gausser d’avoir autant de “likes”, de commentaires, c’est vide de sens.»

Mais d’autres formules existent. C’est le cas au sein des rédactions de L’Avenir. En 2015, le titre s’est associé à Patrick Séverin pour diffuser son documentaire Parasites à propos de l’exclusion des demandeurs d’emploi. Durant une semaine, une équipe de journalistes a animé le débat sur cette thématique. Un travail de longue haleine qui s’est terminé par une «édition citoyenne», à savoir un supplément de huit pages reprenant les commentaires – y compris les plus négatifs – des lecteurs et internautes, venus sur le site, par mail ou encore via la page Facebook du journal. Mais, comme l’explique Arnaud Wéry, journaliste à L’Avenir, valoriser les commentaires des lecteurs, cela se prépare. «C’est un gros boulot pour le faire intelligemment avec une vraie plus-value. Un dossier comme celui-là doit être planifié pour être suivi sur les différents canaux. Les contacts avec le lecteur peuvent être multipliés à l’envi, mais, s’il n’y a pas de suivi, c’est assez difficile. Puis, dans les forums, les réactions des lecteurs ne sont pas toujours en lien avec l’article, mais plutôt avec d’autres réactions. Cela peut rapidement dévier, s’il n’y a pas de valorisation de la part de la rédaction». Lors de ce projet, il y eut pourtant des pour et des contre, certains membres de la rédaction trouvant étonnant de donner autant de place aux commentaires. Il en fut de même pour Patrick Séverin, le réalisateur: «La démarche était intéressante, mais elle n’était pas aboutie à mes yeux. La rédaction a récolté la vague de commentaires, en les publiant bruts. Cela aurait dû, à mes yeux, être davantage éditorialisé. À côté des avis, il aurait dû y avoir de la mise en perspective, du fact-checking, un rappel du cadre légal… Comme les gens se reconnaissent dans certains commentaires, il faut pouvoir distinguer la réalité de l’idée reçue, en mettant en perspective la réaction du lecteur.»

«(…) il faut pouvoir distinguer la réalité de l’idée reçue, en mettant en perspective la réaction du lecteur.», Patrick Séverin, journaliste et producteur de webdocumentaires

Arnaud Wéry reconnaît que ce travail aurait pu aller plus loin. Pour le journaliste, il faut avant tout bien cadrer les questions. «On parle du chômage, mais en anglant: les jeunes qui sortent de l’école, les femmes seules avec enfants… De la sorte, face au risque de brouhaha, des réalités apparaissent. Si le thème est trop large, on risque d’aller dans tous les sens et de se perdre rapidement, sans réussir à retirer des informations ou à nouer un lien avec une personne qui, après, pourra témoigner dans le journal. Entre venir se plaindre sur un forum et accepter d’être interrogé, il y a une marge. Parfois, trois lignes sur un forum peuvent faire l’objet d’un plus large développement. C’est là aussi la plus-value de notre travail qui, grâce à ce contact, peut faire ressortir des réalités, des histoires qui sont interpellantes et qui pourraient passer inaperçues.»

Data-service

En 2014, le quotidien a aussi fait un premier projet du côté de son édition de Huy-Waremme, avec 31 communes tests sur les 38 que couvre l’édition. Il s’agissait pour les lecteurs de coter les plaines de jeux. Depuis, le quotidien creuse le sillon de la «data-servicielle» avec plus d’interaction. Une manière d’augmenter l’information avec la collaboration des lecteurs. L’Avenir a mis en ligne deux projets semblables en 2016, dans deux cas très différents: les lieux pour aller encourager les Diables rouges pendant l’Euro et les lieux où se trouvent les sirènes d’alerte nucléaire et chimique. «L’idée de base est toujours guidée par le même questionnement: quels services peut-on rendre aux visiteurs du site de L’Avenir, explique Arnaud Wéry. Les résultats en termes d’audience ont été assez encourageants, notamment en termes de temps de consultation. Une bonne nouvelle d’autant qu’il s’agit clairement d’un produit réutilisable. Une notion importante qu’on retrouve de plus en plus dans des rédactions. Logique, le temps passé à la conception peut être ainsi valorisé.»

«C’est une collecte de données qui rend service. À mes yeux, c’est une fonction du journalisme.», Arnaud Wery, journaliste à L’Avenir

Plus récemment, le concept a été repris autour des centres de ski en Wallonie. Là aussi, le lecteur pouvait indiquer et coter les stations wallonnes. «C’est plutôt indicatif qu’informatif, d’autant plus que c’est un outil qui n’existait pas en Wallonie. C’est une collecte de données qui rend service. À mes yeux, c’est une fonction du journalisme. Interagir avec le public, faire appel aux lecteurs, cela fait partie de notre travail. Comme pour un reportage, on rencontre des gens, sauf qu’on se sert d’autres canaux. La frontière est toujours un peu floue.» Aussi floue que le passage du site au papier, et inversement. C’est ainsi que L’Avenir a lancé l’opération «Déclic Citoyen» qui met en avant des initiatives citoyennes présentes partout en Wallonie et à Bruxelles. Le titre a créé une page Facebook, en publiant des articles en ligne, en créant une communauté, de façon à tisser des liens entre journalistes, lecteurs et associations. «Cela répond clairement à la ligne éditoriale, en mettant en avant le lectorat, reconnaît Arnaud Wéry. L’autre aspect, c’est d’attirer un public plus jeune. En créant une communauté, on parle à nos lecteurs, mais aussi à d’autres qui peuvent découvrir notre média à travers ce genre d’initiatives.»

Limiter l’interactivité

Pour Patrick Séverin, interagir avec le public ne doit pourtant pas devenir une priorité journalistique. Il en veut pour preuve ses différentes expériences. Pour le projet Bénévoles, lancé en 2012 avec Le Soir et Bel RTL, le journaliste interrogeait la valeur travail. «On voulait susciter le débat, et on s’est rendu compte qu’on avait seulement suscité du bruit. Pour certaines publications, on avait parfois jusqu’à 800 commentaires, mais les gens se répondaient entre eux, sans lien avec notre publication. Pour anticiper ce genre de phénomène, un membre de notre équipe épluchait, sans modérer, les interactions, en les racontant sur un blogue, en épinglant les commentaires les plus intéressants. Finalement, ce fut le seul élément intéressant à sortir de cette interactivité.» Depuis ce projet, le réalisateur de webdocumentaires essaie de cadrer l’interactivité, voire de la limiter. «Un dialogue entre le journaliste et le lecteur sur une thématique a plus d’intérêt, surtout à l’aune des nouvelles technologies. Il ne s’agit pas que le média se mette au service de ce que les gens veulent absolument ni qu’il reste dans sa tour d’ivoire. En plus sur des sujets sociaux, l’interactivité est parfois contre-productive», rappelle Patrick Séverin. Pour son dernier projet, Les Nouveaux Pauvres, le journaliste a pensé le projet pour qu’il ne soit pas clivant. «On ne voulait pas que les gens se mettent sur la gueule, en fonction de leur position. On a choisi nos personnages, on a bien veillé aux angles à prendre, sans aller sur le terrain de la discorde. Au final, cela a plutôt bien fonctionné sur les réseaux sociaux.»

En savoir plus

Découvrez Citizen Pen, le dossier d’Alter Echos sur le journalisme (et le) citoyen

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)