Le futur « parcours d’accueil » des primo-arrivants en Région wallonne prévoit notamment une orientation socioprofessionnelle. Il existe cependant des projets qui n’ont pas attendu la création du parcours pour s’attaquer à cette question.
S’il est encore un peu tôt pour savoir de quoi sera réellement fait le parcours d’accueil dans son volet socioprofessionnel (on attend les arrêtés d’exécution pour clarifier la chose), certains projets existent déjà en la matière, plus particulièrement du côté des Centres régionaux d’intégration (CRI) au départ desquels le parcours d’accueil sera mis en place. C’est que les CRI, comme on les appelle, n’ont paradoxalement pas attendu de se voir confier cette mission pour s’atteler à l’insertion socioprofessionnelle des migrants, ou des primo-arrivants, selon le terme que l’on veut bien utiliser, et qui n’est pas anodin.
En effet, alors que la définition des primo-arrivants donnée par le futur décret se veut assez limitative (voir encadré), les projets auxquels nous nous sommes intéressés offrent leurs services aux « migrants » dans le sens parfois large du terme, comme le projet Disismi (Dispositif spécifique d’insertion socioprofessionnelle des migrants), développé par le Cripel1 (Centre régional pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège). « Le Disismi concerne toute personne qui peut avoir un lien avec l’immigration, explique Yamina Meziani, coordinatrice du département d’insertion sociale et professionnelle du Cripel. Il peut ainsi s’agir de Belges de deuxième ou de troisième génération. » Du côté du CAI2 (Centre d’action interculturelle), le centre régional pour l’intégration de Namur, le projet Disie (Dispositif d’interventions intégrées pour l’emploi) concerne les personnes étrangères ou d’origine étrangère. « Elles doivent avoir au moins un ascendant [NDLR père ou mère] étranger, même si nous pouvons aussi parfois travailler avec des « troisième génération » », détaille Emilie Jusniaux, responsable du secteur insertion socioprofessionnelle du CAI.
Le parcours concerne toute personne étrangère séjournant en Belgique depuis moins de trois ans et disposant d’un titre de séjour de plus de trois mois à l’exception des citoyens d’un Etat membre de l’Union européenne, de l’espace économique européen et de la Suisse et les membres de leur famille.
Des problèmes spécifiques
Tous deux financés dans le cadre d’un appel à projet du FSE (Fonds social européen), le Disismi et le Disie s’adressent donc à ce type de public dès lors qu’il rencontre des obstacles dans son insertion socioprofessionnelle. « Notre projet est né du constat qu’il manquait d’espaces spécifiques, à ce niveau pour les migrants », souligne Emilie Jusniaux. Est-ce à dire que ce public rencontre des problématiques qui lui sont propres ? « Je tiens à préciser que tous les migrants ne viennent pas nous trouver, certains s’en tirent très bien, précise Yamina Meziani. Mais il est clair qu’ils rencontrent des problématiques spécifiques qui sont un frein à leur insertion. »
Les problèmes de langue, de reconnaissance de diplôme ou de discrimination sont régulièrement cités. Au CAI de Namur, la reconnaissance de diplômes concerne ainsi 30 % des dossiers ISP. « Les dossiers de reconnaissance pour les humanités générales sont en général plus « faciles » à faire aboutir que ceux pour les diplômes universitaires, explique Emilie Jusniaux. Dans le cas des diplômes universitaires, nous travaillons ainsi sur les raisons qui poussent la personne à entamer cette démarche. Il s’agit parfois de voir si elle est nécessaire à l’obtention du travail que la personne convoite. » Un travail de mise en perspective qui est aussi parfois effectué pour les cas de discrimination, peu évidents car on entre ici bien souvent dans le domaine du ressenti. « C’est une question très compliquée à aborder, car il n’y a pas de noir ou de blanc. La personne peut parfois avoir ressenti de la discrimination là où il y avait de l’incompréhension », continue-t-elle.
Autre point important : des « mésententes culturelles » peuvent aussi jouer un rôle dans les problèmes rencontrés par les migrants, comme lors de tentatives d’accès à la formation. « Certains tests à l’entrée sont très orientés culturellement, faits pour des « natifs » et compliqués même pour des étrangers ayant un très bon niveau de français », explique Yamina Meziani. Enfin, cette dernière pointe également certains problèmes plus spécifiques pour certains « de troisième génération ». « La question du français ne se pose plus, mais leurs parents éprouvent encore parfois du mal avec la complexité du système belge. Ce qui peut amener à des problèmes d’orientation, des problèmes à l’école », enchaîne la coordinatrice en évoquant aussi le manque de réseaux ou de capital social de cette génération qui ne peut souvent pas compter sur des membres de leur famille pour leur faciliter l’accès à tel ou tel domaine. « Le père travaillait dans les charbonnages, mais les charbonnages n’existent plus ! », lance-t-elle en guise d’exemple.
L’importance du réseau
Pour faire face à ces questions, les deux CRI ont donc mis en place plusieurs outils. Du côté du Disie, des actions de première ligne existent : accompagnement individuel pour personnes en recherche d’orientation professionnelle, séances d’information collectives et formations collectives sont au programme. « Les formations collectives sont centrées sur l’orientation professionnelle et la compréhension du monde du travail. Il s’agit de permettre aux personnes de se familiariser avec le contexte du monde du travail, les notions de contrat de travail, de fiche de paie, de projet professionnel. C’est un processus participatif alors que les séances d’information, centrées sur les mêmes thèmes, sont plus sous une forme d’information « descendante » », explique Emilie Jusniaux. Enfin, des actions de deuxième ligne sont également organisées, centrées sur la sensibilisation des partenaires de l’ISP (missions régionales pour l’emploi, Forem, écoles de promotion sociale, EFT/OISP) à l’approche interculturelle.
Rappelons en effet qu’un des rôles principaux des CRI réside dans le travail en réseau. Un réseau que l’on retrouve également du côté du Disismi qui, outre des projets spécifiques (voir encadré), a mis en place un partenariat avec plusieurs structures comme la Mirel (Mission régionale de Liège), le CPAS de Seraing, le CPAS de Liège, le Forem conseil ou encore l’asbl Lire et écrire de Liège-Huy-Waremme. Tout comme pour le Disie, il s’agit de « sensibiliser nos partenaires à ces questions, de leur faire connaître les obstacles rencontrés par notre public cible », précise Yamina Meziani. Pour ce faire, un comité de suivi rassemblant les partenaires se réunit tous les mois, mettant en présence un travailleur de chacune des structures.
Un service ISP, notamment, accompagne les personnes pour des questions relatives à l’équivalence de diplôme, la rédaction de c.v., aux formations, aux cours de français ou au permis de travail. Un service de jobcoaching « classique » pour les jeunes existe également. « Pour les jobs étudiants, nous avons un accord avec certains employeurs afin qu’ils accueillent des jeunes en manque de réseaux, explique Yamina Meziani. Et nous mettons également en place un accompagnement pour des jeunes ayant arrêté leur cursus, afin de voir ce qu’ils veulent faire. »
Des structures qui semblent d’ailleurs positives concernant cette expérience. A la Mirel3, on note que le Disismi permet de « fluidifier » le parcours d’insertion de l’usager tout en faisant remarquer qu’une des conséquences du dispositif a été l’augmentation du nombre de primo-arrivants dans le public reçu (environ 25 % des 1 000 stagiaires accueillis chaque année). Il a aussi permis à la mission régionale, suite au soutien financier du FSE, d’affecter un « petit temps plein » au « public Cripel » possédant un niveau de français en adéquation avec les profils de fonctions, le passage préalable par Lire et écrire permettant de remédier à certains problèmes éventuels. « Ce « filtre positif » est un des effets intéressants du Disismi », pointe Eric Janssens, directeur de la Mirel qui pointe aussi la sensibilisation à la question des migrants comme autre adjuvant, « même si nous ne partions pas de rien ». Autre point positif : une meilleure maîtrise des aspects juridiques (notamment relatifs au permis de travail) par le travailleur « Cripel » qui peut en faire profiter ses collègues également appelés à travailler avec un public de primo-arrivants.
Parcours d’accueil : des conséquences ?
Le parcours d’accueil risque-t-il de venir enrayer cette mécanique bien huilée ? Pour Yamina Meziani, en tous cas, ce que la Région wallonne met en place existe en quelque sorte déjà. « A une époque, nous donnions des cours de citoyenneté. Maintenant cela va être repris par le parcours d’accueil, mais nous le faisions », illustre-t-elle.
Du côté du CAI Namur, on note que le parcours pourrait avoir une influence sur la concertation ISP, en la renforçant. « Pour le public cela posera aussi des questions de « temporalité ». Nous recevrons peut-être celui-ci plus tôt dans son parcours et il en sera à une étape moins avancée de son parcours, ce qui risque de mettre le côté ISP un peu plus en retrait par rapport à des questions de logement par exemple », suppute Emilie Jusniaux. Des questions se posent également en ce qui concerne une augmentation éventuelle du public, ou à propos du côté obligatoire de la démarche. « Quoi qu’il en soit, nous dépendons autant de ce décret que de la régionalisation ou encore de la future programmation du FSE [NDLR la programmation actuelle s’arrête fin 2013], cela fait donc beaucoup d’inconnues. Nous ne savons pas si nous serons pérennes dans le futur, ce qui augmente encore l’importance d’outiller nos partenaires ISP plus généralistes sur les questions relatives aux migrants », conclut notre interlocutrice. On est en effet jamais trop prudent…
1. Cripel :
– adresse : place Xavier Neujean, 19 B à 4000 Liège
– tél. : 04 220 01 20
– courriel : secretariat@cripel.be
– site : www.cripel.be
2. CAI Namur :
– adresse : rue Docteur Haibe, 2 à 5002 Namur
– tél. : 081 73 71 76
– site : http://www.cainamur.be
– adresse : bd Piercot, 42 à 4000 Liège
– tél. : 04 220 96 13
– site : http://www.mirelasbl.be
Aller plus loin
Alter échos n° 351 du 16.12.2012 : https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=351&l=1&d=i&art_id=22851 Quel avenir pour l’insertion socioprofessionnelle des migrants ?