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Regard critique · Justice sociale

Santé

L’IVG, c’est pas encore gagné…

Avec l’avènement de la coalition Vivaldi au fédéral, la sortie de l’interruption volontaire de grossesse du Code pénal a encore une fois été reportée. L’occasion de revenir sur les articles qu’Alter Échos a consacrés à l’accès à l’IVG, un droit que l’on aurait tort de croire comme totalement acquis…

© Ludovic Geoffroy - Projet «Libre d'avoir le choix» de Klervi Laurent.

«Progressistes, n’oubliez pas les droits des femmes.» Dans un édito publié il y a plus de trois ans ( 440, mars 2017), Alter Échos mettait les partis «progressistes» en garde. Fort occupés à défendre les droits économiques et sociaux, ceux-ci n’avaient-ils pas oublié les libertés fondamentales, dont celles des femmes? «On a l’impression qu’en faisant de ces engagements l’alpha et l’oméga de leur action, ces acteurs ont aussi oublié quelques-uns de leurs fondamentaux historiques en chemin, notait notre magazine. Des fondamentaux parmi lesquels on retrouve notamment le combat pour l’égalité entre les sexes, les droits des femmes. Or ces droits et libertés fondamentales sont très loin d’être acquis de manière durable, même en Belgique. On en a encore aujourd’hui un exemple édifiant avec le débat autour de l’avortement.»

À l’époque, le débat faisait effectivement rage à propos d’une dépénalisation totale de l’avortement. Car, il faut le rappeler, la fameuse loi Lallemand-Michielsens de 1990 dépénalisant partiellement l’IVG en Belgique n’autorise pas l’avortement, mais suspend les poursuites judiciaires si un certain nombre de conditions sont remplies. Aujourd’hui, l’IVG en Belgique fait donc toujours partie du Code pénal. Une situation qui a des conséquences. «Garder l’avortement dans le Code pénal, c’est symboliquement l’appesantir d’une honte, d’une menace. Cela ajoute du poids à la culpabilisation des femmes», soulignait dans nos pages Julie Harlet, chargée de communication à la Fédération des centres de planning familial des Femmes prévoyantes socialistes («25 ans de droit à l’avortement: ‘La vigilance reste de mise’», article en ligne, 3 avril 2015).

Pour venir contrer cette situation, PS, DéFi et Écolo avaient chacun déposé au printemps 2016 une proposition de loi sortant l’IVG du Code pénal. Le PS proposait également d’étendre le délai légal pour l’IVG de 12 à 14 semaines.

L’IVG en danger?

Pourquoi tant d’attention à propos de droits que certains considèrent comme acquis? Parce qu’ils sont justement loin d’être «bétonnés». En mars 2014, Alter Échos consacrait un dossier au sujet. Intitulé «L’IVG en danger?», il alignait des constats pour le moins anxiogènes. Dans un article au titre évocateur («Belgique: l’accès à l’avortement menacé?»,  377, mars 2014), Alter Échos listait les phénomènes menaçant le recours à l’IVG. Parmi eux: la pénurie prochaine de médecins acceptant de pratiquer des avortements. «Sur les 20.000 avortements signalés en 2011 à la commission d’évaluation, 17.000 sont effectués dans des centres extrahospitaliers par 90 médecins généralistes. Or, dans six à sept ans, la moitié de ces médecins seront admis à la pension. Et la relève est loin d’être assurée», s’alarmait Dominique Roynet, médecin généraliste au centre de planning familial de Rochefort et chargée de cours à l’ULB.

Autre menace citée: la structuration progressive d’opposants à l’IVG. Dans le même article, Michel Ghins, président d’Action pour la famille, une asbl dont l’objectif est «de défendre et de promouvoir la famille naturelle, fondée sur l’amour complémentaire d’une femme et d’un homme» plaidait pour une législation beaucoup plus stricte. «Elle ne conduirait pas à poursuivre les femmes, mais uniquement les personnes qui pratiquent une interruption de grossesse», notait-il.

Tout aussi interpellant, notre dossier soulignait que les enjeux étaient identiques au niveau européen. Il revenait ainsi dans un article («L’Europe face aux lobbies conservateurs»,  377, mars 2014) sur le parcours du «Rapport Estrela», un texte non contraignant du Parlement européen qui prônait l’accès légal à des «services d’avortement sûrs» et, entre autres, à une éducation sexuelle adaptée aux jeunes. Un texte finalement non voté, le parlement lui ayant préféré une motion alternative renvoyant la balle aux seuls États membres. Parmi les «responsables» de cette situation pointés du doigt à l’époque: la droite européenne, réunie au sein du Parti populaire européen (PPE). «Habituellement divisé sur la question, le PPE a, cette fois-ci, voté comme un seul homme pour la résolution alternative au rapport Estrela», déplorait notre article.

Le CD&V en embuscade

Cet «épisode» européen est tout sauf anodin. Car quels sont les partis belges membres du PPE? Le CDH et, surtout, le CD&V… Or, sur notre territoire, c’est bien le CD&V qui se montre le plus frileux par rapport au droit à l’avortement.

Au cours du printemps 2016, alors que le PS, Écolo et DéFi ferraillent pour sortir l’IVG du Code pénal, le CD&V propose quant à lui un autre texte. Son objectif? Permettre d’inscrire les «enfants nés sans vie» en dessous de 180 jours de grossesse au registre des naissances. À première vue anodine, la proposition du CD&V n’en est pas moins dangereuse. Alter Échos note très vite que «l’objectif de cette proposition de loi serait de fragiliser le recours à l’avortement. Dresser un acte de naissance en dessous de 180 jours pourrait en effet donner un autre statut, même de manière symbolique, au fœtus ou à l’embryon» ( 424/425, juin 2016). Finalement, le texte ne sera pas voté. Mais le parti chrétien flamand ne baisse pas les bras. En mars 2017, lors du vote d’une loi concernant la reconnaissance prénatale par un parent non marié, il parvient à insérer dans la loi – via un amendement – un petit mot qui change tout: «enfant». La loi stipule en effet que «la reconnaissance d’un enfant conçu peut avoir lieu à tout moment de la grossesse sur la base d’une attestation de grossesse réalisée par un médecin ou par une sage-femme». C’est bien le terme «enfant» qui est utilisé ici. Même pour un embryon de quelques jours… Dans nos pages ( 440, mars 2017), Viviane Teitelbaum, alors présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique et parlementaire bruxelloise au MR, s’indigne. «Grâce à cette confusion sémantique, un embryon égale maintenant un enfant. […] Ce 9 février 2017, la Belgique a reculé de 25 ans. Je voudrais à ce propos rappeler le rôle du CD&V qui, depuis la dépénalisation partielle de l’avortement en 1990, n’a cessé de remettre cet acquis en cause.»

Un CD&V qui n’a visiblement pas décidé de s’arrêter en si bon chemin. Car, si les propositions du PS, d’Écolo et de DéFi de 2016 ne sont finalement pas passées, on a cru avec la période des affaires courantes ayant suivi les élections fédérales de mai 2019 qu’un texte plus ambitieux pourrait être voté par une majorité combinant certains partis du gouvernement et de l’opposition. À l’été 2020, une proposition du PS cosignée par des députés Écolo-Groen, sp.a, MR, Open Vld, PTB et DéFi a bien failli passer. Une proposition ambitieuse: elle proposait de dépénaliser l’IVG, de porter le délai à 18 semaines et de réduire le délai de réflexion obligatoire de 6 à 2 jours. Pourtant, certains partis, comme la N-VA, le Vlaams Belang et… le CD&V ont gagné du temps en demandant le renvoi du texte devant le Conseil d’État. Bien joué: suite à l’entrée en fonction de la coalition fédérale «Vivaldi» début octobre 2020, la proposition de loi a finalement été renvoyée en commission Justice de la Chambre. Autant dire que son vote est reporté aux calendes grecques. Membre de la Vivaldi, le CD&V a apparemment bien manœuvré lors des négociations pour la mise en place du gouvernement fédéral…

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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