C’est une des revendications récurrentes des militants pour le droit au logement: rendre opérationnelle la loi «Onkelinx» qui permet aux bourgmestres de réquisitionner les bâtiments inoccupés. Plus de vingt années ont passé depuis l’adoption de cette loi et le problème est toujours d’actualité. La preuve? Le ministre wallon du Logement, Paul Furlan, annonce pour l’année prochaine un nouveau dispositif pour aider les communes à réaliser ce qu’on appelle désormais de la réquisition «douce».
Combien de logements vides en Wallonie? On n’en sait rien. Entre 15.000 et 20.000, selon Paul Furlan. Mais cela reste une estimation car le «vide» reste difficile à débusquer et plus encore à combattre. Le gouvernement fédéral d’abord, les Régions ensuite ont pourtant essayé. La réquisition façon Onkelinx? Cela n’a fonctionné qu’une seule fois depuis 1993. Les Régions ont joué du bâton financier: impôt régional sur les bâtiments vides d’abord, taxe qui est passée aux mains des communes ensuite. Cela fonctionne mais pas très bien. D’abord parce que seul le bâtiment abandonné est taxé (en fonction de la longueur des façades et du nombre d’étages le plus souvent) et même si neuf appartements sur dix d’un même immeuble sont vides, les communes ne peuvent agir. Autre souci: au cours de ces dernières années, plusieurs décisions de justice ont donné raison aux propriétaires qui refusaient de payer la taxe. Ils ont été aidés dans leur argumentation par le syndicat national des propriétaires qui estime discriminatoire une taxe qui ne cible que les logements inoccupés privés.
Le dispositif proposé par Paul Furlan, c’est un peu le retour du bâton pour les propriétaires de mauvaise volonté. Sur la base d’une attestation d’inoccupation, la commune pourra mobiliser un opérateur mobilier (l’agence immobilière sociale le plus souvent) pour qu’il prenne le logement «en gestion unilatérale». Le propriétaire ne pourra s’y opposer mais ne sera pas spolié puisqu’il percevra un loyer une fois le logement attribué et, si des travaux de rénovation doivent être réalisés, la commune récupérera ces investissements sur les loyers. Révolutionnaire? Non. Une avancée, sans doute car depuis le décret de la députée Écolo Isabelle Meerhaegue en 2014, le code wallon du logement donne déjà pas mal d’outils aux communes pour mener bataille contre les logements inoccupés. Et des villes comme Namur et Charleroi ont relevé le défi avec succès.
Le code du logement définit un logement inoccupé comme étant vide depuis au moins douze mois, dépourvu de mobilier et avec des consommations en eau et en électricité inférieures à un seuil minimal «fixé par le gouvernement wallon»… mais qui ne l’a jamais précisé par AR (lire l’encadré). Tous les ans, les exploitants du service public de distribution d’eau et les gestionnaires du réseau d’électricité doivent transmettre aux communes la liste des logements pour lesquels les consommations sont inférieures au seuil minimal. Ce sera bientôt abrogé, nous explique le porte-parole du ministre. Les données ne seront plus transmises que sur demande expresse des communes. Et toujours sans définir le seuil minimal.
Ces seuils que la Wallonie ne franchit pas
Pourquoi le gouvernement wallon ne détermine-t-il pas les seuils de consommation d’eau et d’électricité qui permettent de présumer l’inoccupation d’un logement? La question a été posée en octobre dernier par Stéphane Hazée (Écolo) et Isabelle Stommens (CDH).
Parce que c’est trop compliqué, répond, en résumé, Paul Furlan (PS). Certes, le CEDH a testé des seuils et il préconise 15 m3 et 100 kWh. Mais, poursuit Paul Furlan, «il s’avère que seulement la moitié des logements ayant ces consommations sont effectivement vacants. Il y a donc un risque que les listes transmises par les distributeurs reprennent une proportion trop élevée de logements estimés inoccupés». Le ministre concède que le croisement des données eau/électricité permettrait de réduire le problème mais «ce croisement est extrêmement énergivore et budgétivore». À Charleroi, c’est la plus faible consommation en électricité qui permet de détecter un logement vide. À Namur, c’est l’eau. Et Paul Furlan d’ajouter: «262 communes, c’est 262 situations différentes.»
Un peu court comme raisonnement, répond Stéphane Hazée. D’accord, c’est complexe, dit-il, mais les communes ont besoin de cet outil réglementaire pour agir. «Rien n’empêche d’établir un premier seuil permettant aux communes de travailler déjà à partir de quelques milliers d’adresses».
À Bruxelles, depuis 2012, on part d’une consommation de 5 m3 d’eau et 100 kWh par an. Faut-il partir de ces chiffres? Le Centre d’études en habitat durable (CEHD) a réalisé en 2015 et en 2016 une étude à Charleroi, Namur et Seraing dans le but de mieux définir cette «inoccupation» à partir d’une faible consommation. La recherche est partie des seuils de 5 m3 et 10 kWh par an «qui sont les plus bas possible, explique Stéphanie Cassilde, auteur de l’étude. Les propriétaires contactés ont confirmé la vacance du logement mais ces seuils étaient trop faibles. Nous les avons portés à 25 m3 et 100 kWh. Cela a permis d’identifier 3.000 logements inoccupés à Charleroi et 1.000 à Namur». Mais, poursuit, Stéphanie Cassilde, définir ces seuils ne suffit pas: «Il faut aussi se rendre sur place. Ne serait-ce que pour comprendre, si le logement est occupé, pourquoi la consommation est si basse.» Se rendre sur place, c’est ce que font beaucoup de communes. Un repérage visuel, qui demande du temps, du personnel, de l’argent. Et une forte motivation.
L’exemple namurois
C’est le cas de Namur qui, depuis 2007, mène une politique très volontariste dans ce domaine. Le point de départ, c’est le groupe Liaison Logement (GLL), nous explique Hélène Muys, attachée au cabinet de l’échevine du Logement Stephanie Scailquin. Ce groupe rassemble le CPAS, la police, les services communaux liés au logement (urbanisme, population, cohésion sociale… ), le parquet. Les données fournies par ces services sont croisées. Les moyens d’action, ce sont la taxe et la réquisition «douce». La taxe vise uniquement les bâtiments inoccupés. Elle n’est effectuée qu’après deux constats d’inoccupation suivis d’un recommandé au propriétaire. C’est efficace. En juin 2016, pour 38 constats, seul neuf étaient encore d’actualité après un second passage. Mais ce n’est pas la panacée, poursuit Hélène Muys. Si le propriétaire est en maison de repos, il «occupe» encore le logement. Idem en cas de succession complexe.
La négligence et les visées spéculatives sont minoritaires.
L’autre levier, c’est celui de la réquisition «douce», comme Paul Furlan entend la généraliser. Une fois le constat d’inoccupation établi (notamment par les seuils de consommation très bas), le contact est établi avec le propriétaire. «Des bâtiments sont laissés à l’abandon parce que les propriétaires n’arrivent plus à gérer leur bien, pour différentes raisons.» La négligence et les visées spéculatives sont minoritaires. L’agence immobilière sociale, en prenant le logement en gestion, aide aussi le propriétaire de bonne volonté. Namur compte 51.492 logements et a traité 147 dossiers de logements inoccupés. La Ville a remis 119 d’entre eux sur le marché locatif et deux seulement ont fait l’objet d’une procédure judiciaire. Elle attend aujourd’hui de la Région deux vrais coups de pouce: un arrêté royal sur les seuils de consommation minimale et la possibilité de taxer les logements, pas seulement les bâtiments. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour du gouvernement wallon.
À Bruxelles, l’amende plutôt que la réquisition
Le 23 novembre dernier, la Ville de Bruxelles procédait pour la première fois à la réquisition de plusieurs logements, sans l’aval du propriétaire. Il s’agissait d’étages vides au-dessus d’un magasin. Un classique. Le propriétaire refusait de louer malgré les amendes infligées par la Ville. L’affaire a fait grand bruit mais ce n’était pourtant pas une «première». Saint-Gilles avait déjà procédé à la prise en gestion unilatérale d’un immeuble en 2012.
Bruxelles possède les mêmes outils législatifs que la Wallonie pour procéder à ces prises en gestion de logements inoccupés. C’est prévu dans le code du logement depuis 2003 et, en décembre 2012, un décret a défini ce qu’est un logement inoccupé à partir notamment d’une consommation minimale d’électricité et d’eau. La Région a aussi créé depuis 2012 une Cellule contre les logements inoccupés. En principe, les communes doivent lui signaler les logements vides, ce que peu d’entre elles font. Cela leur demande d’aller sur le terrain. Trop lourd, trop cher. C’est en tout le calcul qu’elles font.
Pourquoi si peu d’initiatives de «réquisition» de la part des communes bruxelloises alors que la crise du logement frappe particulièrement la capitale? La prise en gestion unilatérale d’un logement, comme dans les villes wallonnes, est la dernière étape d’un processus de mises en demeure du propriétaire récalcitrant. L’amende administrative est la première arme et elle est très utilisée à Bruxelles. Mais là encore, cela demande de mobiliser du personnel. Dix communes ont confié à la Région le soin de percevoir ces amendes et d’ouvrir un dossier contre le propriétaire. À la place, elles recevront une subvention de la Région pour mener des politiques en matière de logement. Les clés de la lutte contre les logements inoccupés sont de plus en plus dans les mains de la Région. Dernière initiative en cours: des «observatoires» du logement à l’échelle communale mais financés par la Région pour dresser un cadastre du bâti, occupé ou non.
«Paul Furlan: «Remettre du bon sens dans l’organisation du logement public»», Alter Echos n°396, 3 février 2015, Amélie Mouton