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Logement social en Flandre : néerlandais à tous les étages ?

C’était dans l’air depuis un an. Les candidats à un logement social en Flandre allaient devoir maîtriser le néerlandais. Aujourd’hui, un projet de décret vaclairement dans ce sens. Le 2 décembre, le gouvernement flamand a adopté diverses modifications au Code flamand du logement (Wooncode), sur proposition du ministre compétent,Marino Keulen (VLD)1. Désormais, les candidats locataires à un logement social en Flandre devront connaître ou apprendre le néerlandais. Ils devront êtreen possession d’un diplôme de l’enseignement flamand ou subir un test. En cas d’échec, ils devront suivre un cours de néerlandais. En cas de non-respect de ces conditions, leslocataires risquent une rupture de bail.

14-12-2005 Alter Échos n° 199

C’était dans l’air depuis un an. Les candidats à un logement social en Flandre allaient devoir maîtriser le néerlandais. Aujourd’hui, un projet de décret vaclairement dans ce sens. Le 2 décembre, le gouvernement flamand a adopté diverses modifications au Code flamand du logement (Wooncode), sur proposition du ministre compétent,Marino Keulen (VLD)1. Désormais, les candidats locataires à un logement social en Flandre devront connaître ou apprendre le néerlandais. Ils devront êtreen possession d’un diplôme de l’enseignement flamand ou subir un test. En cas d’échec, ils devront suivre un cours de néerlandais. En cas de non-respect de ces conditions, leslocataires risquent une rupture de bail.

Lutte contre la francisation

Selon le ministre flamand du Logement, la connaissance du néerlandais par les locataires sociaux répond à une demande du secteur. Celles-ci se plaignent que pour communiqueravec les locataires, il faut parler avec les enfants, parce que les parents ne parlent pas un mot de néerlandais. En décembre 2004, les trois sociétés de logement socialanversoises avaient effectivement posé cette exigence dans le but d’éviter la formation de ghettos dans les ensembles de logements. Le ministre abonde dans ce sens. Pour lui, laconnaissance de la langue favorisera l’intégration des locataires sociaux, permettra d’impliquer davantage ces derniers dans la vie du quartier, ou encore « améliorera lasécurité dans les grands ensembles ». Marino Keulen précise que le but de cette disposition n’est pas d’exclure certaines personnes du logement social, ni de réduire lenombre de demandeurs. Néanmoins, il est très clair que cette mesure est « un instrument important de lutte contre la francisation du logement social dans lapériphérie flamande de Bruxelles ».
Par ailleurs, le projet introduit aussi une période probatoire de deux ans pour les nouveaux locataires. Durant cette période, ils devront respecter les obligations, payer leur loyerdans les temps, ne pas causer de nuisances, occuper le bien en bon père de famille, etc. Les locataires seront « encadrés », si nécessaire.

Levée de boucliers du côté francophone

À la suite de cette annonce, André Antoine, ministre wallon du Logement (CDH)2, a déclaré que le projet flamand remet en cause certains articles de laConstitution : égalité devant la loi, droit au logement et liberté d’emploi des langues. Il ajoute que la proposition du ministre Keulen, « outre qu’elle blesseles valeurs essentielles de liberté et de libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne, est révélatrice du repli identitaire du monde politiqueflamand accentué par les surenchères antifrancophone et anti-étrangers du Vlaams Belang. » Il rappelle qu’en Wallonie l’accès au logement social se faituniquement sur la base de la situation sociale du candidat locataire.

Dès lors, il compte intenter tous les recours possibles pour défendre la liberté d’établissement des francophones en Belgique. Il a également consulté levice-président de la Commission européenne, chargé des Libertés, sur la compatibilité de la décision flamande avec les valeurs fondamentales del’Union. Enfin, il a écrit à Christian Dupont, ministre fédéral en charge de l’Intégration sociale et de l’Égalité des Chances (PS),en vue « de garantir l’accès à un logement décent en Belgique sans distinction d’origine et de langue ». André Antoine compte mettre le sujet surla table de la conférence interministérielle du Logement.

Pour sa part, Marie Arena (PS)3, ministre-présidente de la Communauté française, juge « intolérables » les propos de Marino Keulen : « Cespropositions créent un régime discriminatoire à l’égard des francophones de la périphérie. » Et d’ajouter que « les utilisateurs deslogements sociaux ne doivent pas être les victimes de la surenchère communautaire à laquelle se livrent certains responsables politiques flamands (…) Le dispositifenvisagé est incompatible, non seulement avec le droit, mais aussi avec la conception de la démocratie que se fait l’ensemble de la population belge, tant au nord qu’au suddu pays. »

Risques pour les locataires

Le Syndicat des locataires4 a fait également part de son indignation. Pour José Garcia, secrétaire général, « les raisons qui poussent leministre Keulen à défendre de telles inepties ont beau se couvrir d’oripeaux d’humanisme et d’intégration sociale, elles ne résistent plus d’uneminute à une simple analyse. Ce qui est grave dans le cas présent, c’est que ce sont des responsables de partis dits démocratiques qui font de telles propositions dignescertes d’un régime « national-raciste », totalement incompatibles avec les valeurs humanistes défendues par notre démocratie et notre État de droit.»

Il invite plutôt le ministre flamand à « s’attaquer aux véritables problèmes liés à la crise du logement en Flandre à savoir lapénurie de logements sociaux, l’état lamentable des logements loués, la cherté des loyers en vigueur dans les grandes villes flamandes, etc. »

De plus, craint José Garcia, il y a « danger que les bailleurs privés demandent à appliquer les mêmes mesures à leurs candidats locataires(…)L’ensemble de ces personnes seraient alors contraintes et forcées de se jeter dans les bras de marchands de sommeil sans scrupules ». Ces craintes sont partagées par JozefDewitte, directeur (flamand) du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Ce dernier déclarait dans La Libre Belgique du 7 décembre 2005 quecette mesure linguistique risque d’être discriminatoire. Pour lui, si la langue est un facteur d’intégration, elle ne suffit pas. Des conditions de revenus, d’accès àl’enseignement, de réseau social jouent également.

Un débat décalé ?

Le ministre Christian Dupont5 tente de recentrer le débat. Il estime que « des questions aussi sensibles que le droit au logement et l’intégration méritentplus que de la musculation communautaire ou de la boxe médiatique interposée ».

Il se réfère au rapport final de la Commission du dialogue interculturel, composée de 22 « sages » et experts tant néerlandophones que francophones, qui dits’inquiéter « des projets visant à imposer aux candidats locataires des logements sociaux la connaissance de la langue nationale de la Région. Certes, il faut encourager etfavoriser l’apprentissage d’une des langues nationales par les populations immigrées, car la connaissance de la langue est un puissant facteur d’intégration. Mais imposer cetteconnaissance comme une condition d’accès au logement est une mesure inadaptée sur le plan pratique, en plus d’être discutable sur le plan moral ».Se pose la question desavoir si la « lutte contre la francisation » sert vraiment la cause de l’intégration des personnes d’origine étrangères en Flandre.

Lacunes juridiques

En conséquence, Christian Dupont a demandé à une équipe d’universitaires de réaliser « une étude sur les problèmes potentiels que pose cetexte au regard des principes d’égalité et de non-discrimination, des règles répartitrices de compétences ainsi que des droits fondamentaux en général». Il pointe d’ores et déjà plusieurs problèmes :
• la remise en cause d’un droit constitutionnel;
• le fait que « lors de l’adoption du décret relatif à l’inburgering (« citoyennisation »), le Conseil d’État, chambre flamande, avait considéré quel’usage d’une langue, au même titre que le maintien de sa culture, faisait partie du droit au respect de sa vie privée, consacré par la Constitution, la Conventioneuropéenne des droits de l’homme et le Pacte relatif aux droits civils et politiques, et que les exceptions à cet usage doivent être sévèrement justifiées etproportionnelles à un objectif légitime » ;
• l’avant-projet de décret prévoit la rupture du bail pour cause de non-connaissance du néerlandais, or le droit du bail est de compétence fédérale;
• « l’emploi des langues dans les communes à facilité est de compétence fédérale, en vertu de l’article 129 §2 de la Constitution. Les francophonesde ces communes à facilités ont le droit d’utiliser le français pour communiquer avec les autorités locales, comme les sociétés publiques de logementssociaux » ;
• « imposer une condition de diplôme pour jouir d’un logement semble être une entrave discriminatoire indirecte à la liberté de circulation des personnesressortissant de l’Union européenne» ;
• « Pour les mêmes raisons, les Belges qui ont un diplôme autre que néerlandais voient également malmenée leur liberté de circulation interne,consacrée par la loi spéciale du 8 août 1980 » ;
• les articles 10 et 11 de la Constitution consacrent l’égalité et la non-discrimination dans la jouissance des droits garantis aux Belges ;
• « la directive européenne 2000/43/EC proscrit les discriminations directes ou indirectes sur la base de la race ou de l’origine ethnique, notamment dans le domaine du logement. LaFlandre est depuis cinq ans en défaut de transposer ces dispositions, comme l’y oblige la directive ».

La question de fond

Sur la base de ces questions, Christian Dupont interroge : « N’est-il pas possible de garantir le droit au logement pour les plus précarisés d’entre nous et assurer lameilleure intégration de chacun sans malmener autant les droits fondamentaux ? » La langue, présentée comme facteur d’intégration, devient un facteur discriminantdans ce projet. De plus, cette intégration sera entravée par le fait que « les pouvoirs publics flamands ne sont pas encore en mesure de satisfaire complètement la demandevolontaire » d’apprentissage du néerlandais.

Le Conseil d’État a été sollicité pour avis. Reste la question de fond, peu débattue, estime le ministre Christian Dupont, celle des  » défis despolitiques d’intégration que connaissent aujourd’hui toutes les sociétés occidentales face à la diversification culturelle croissante des populations. »

En effet, si l’angle d’attaque paraît communautaire, ce sont surtout les personnes d’origine étrangère qui sont concernées. Cet aspect n’a échappé nià José Garcia, du Syndicat des locataires, ni à Jozef De Witte du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. L’intention dessociétés de logement social anversoises n’est-elle pas de lutter contre les ghettos ?

Face à ces nombreuses réactions, Marino Keulen réagit. Interviewé dans Le Soir et La Libre Belgique du 9 décembre, il tempère en soulignantla vocation sociale de sa mesure. À La Libre Belgique, il déclare : « Nous ne demandons pas aux candidats locataires de connaître le néerlandais maisd’être prêt à l’apprendre. » Et de souligner que l’accès au logement n’est pas subordonné « à la réussite d’examens ». Il admet quel’offre de cours de néerlandais ne suit pas pour le moment, mais ajoute que l’objectif est d’y remédier.

Au Soir, il déclare que « le racisme et la discrimination n’ont rien à voir avec cette mesure ». Il confirme la notion d’apprentissage de la langue. Cette mesuredoit servir à lutter contre la ségrégation des habitants des logements sociaux, à briser leur isolement et à restaurer du lien entre voisins et avec le quartier.Des préoccupations somme toute assez proches des objectifs de mixité sociale et de cohésion sociale poursuivis dans le secteur du logement social à Bruxelles et enWallonie. Quoique les moyens pour les atteindre diffèrent.

Quant à la lutte contre la francisation de la périphérie, elle n’est pas l’objectif initial du projet, affirme Marino Keulen au Soir, mais une conséquence.

1. Cabinet de Marino Keulen, vlaams minister van Binnenlands Bestuur, Stedenbeleid, Wonen en Inburgering, Kreupelenstraat 2 à 1000 Bruxelles – tél : 02 552 65 00 – fax : 02 552 65 01– courriel : kabinet.keulen@vlaanderen.be – site : www.vlaanderen.be/regering

2. Cabinet d’André Antoine, ministre wallon du Logement, des Transports et du Développement territorial, rued’Harscamp, 22 à 5000 Namur – tél. : 081 25 38 11 – fax : 081 25 39 99 – courriel : andre.antoine@gov.wallonie.be
3. Cabinet de Marie Arena, ministre-présidente de la Communauté française, place Surlet de Chokier, 15-17à 1000 Bruxelles – tél. : 02 227 32 11 – fax : 02 227 33 21
4. Syndicat des locataires, square Albert Ier, 32 à 1070 Bruxelles – tél. : 02 522 98 69 – fax : 02 524 18 16.
5. Cabinet de Christian Dupont, ministre de la Fonction publique, de l’Intégration sociale, de la Politique des grandes villes et de l’Égalité des chances, rue de la Loi, 51à 1040 Bruxelles – tél. : 02 790 57 11 – courriel : christian.dupont@p-o.be

Baudouin Massart

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