Les dispositifs sont encore peu nombreux, les entreprises pharmaceutiques pas franchement proactives, mais la contraception masculine suscite ces dernières années un regain d’intérêt. Tant dans les couples que dans le débat public, l’idée d’un partage de la contraception, toujours majoritairement prise en charge par les femmes, fait son chemin. Laurence Stevelinck, chargée de mission à la Fédération laïque des centres de planning familial, y a consacré son mémoire de master en études de genre.
Alter Échos : Vous avez écrit ce mémoire en 2017. C’est assez neuf qu’on parle de la contraception masculine en Belgique, pourquoi cet intérêt croissant selon vous ?
Laurence Stevelinck : J’ai réalisé cette recherche l’année où l’on célébrait les 50 ans de la loi Neuwirth, qui a autorisé en France l’usage des contraceptifs, et notamment la contraception orale. Cet anniversaire a permis de soulever la question de la place des hommes. On a en outre ces dernières années observé une remise en question de la contraception hormonale et de ses effets secondaires, parfois très violents comme des AVC. Certaines femmes la rejettent et cherchent des méthodes naturelles. Elles se posent alors aussi la question : « Pourquoi suis-je la seule à gérer ma contraception ? » Ces deux événements ont contribué au fait qu’on en parle en Belgique et en France. Mais au niveau international, la question n’est pas neuve. On en parle depuis dix ans en Inde et en Chine, et des choses y sont mises en place, dans une optique de diminution de la pression démographique. Les pays anglo-saxons sont aussi bien au point sur la question du partage de la contraception. Aux Pays-Bas aussi, on entendait déjà dans les années septante des slogans comme « Sois responsable de ton sperme ».
AÉ : En quoi est-ce un enjeu féministe ?
LS : Tout ce qui touche au corps des femmes est un enjeu féministe. La contraception médicale a libéré les femmes de leur destin biologique tout tracé. On voit à l’heure actuelle que la contraception est clairement une affaire de femmes, techniquement, mentalement et financièrement. C’est une préoccupation quotidienne des femmes qui doivent anticiper le désir et subir, pour certaines, les effets secondaires… Cela en dit long sur la hiérarchisation sexuelle de la santé : les femmes peuvent souffrir, mais, quelques boutons d’acné chez les hommes, c’est inacceptable.
AÉ : On parle de charge contraceptive pour les femmes… Mais maîtriser la contraception était une demande des femmes de maîtriser leurs corps. N’est-ce donc pas aussi un recul pour les femmes que les hommes s’en mêlent ?
LS : Les plus jeunes femmes ressentent plus la charge quotidienne que des féministes plus âgées qui voient la contraception comme une victoire qui dépasse tous les désavantages. Le fait que la « charge » soit essentiellement féminine alors qu’elle était davantage masculine avant les années 60 correspond à une demande des féministes de ces années-là, et il s’agit d’une victoire en effet : celle d’avoir la maîtrise de son propre corps. En réclamant que les hommes « prennent leur part », c’est une sorte de retour de balancier qui s’opère, les « clefs » de la maîtrise du corps – et du choix d’avoir un enfant – sont redonnées en partie aux hommes. Donc, certaines pourront y voir plus d’égalité, d’autres pourraient y voir un recul pour les femmes.
AÉ : Mais comment partager égalitairement une chose par rapport à laquelle nous ne sommes pas physiologiquement égaux ?
LS : En effet, ce sont toujours les femmes qui tombent enceintes et il faudra donc veiller à ne pas remettre en cause la décision et l’autonomie des femmes par rapport à l’avortement par exemple. Mais hommes et femmes peuvent partager la responsabilité, partager les effets secondaires. Il y a des hommes qui refusent aujourd’hui la vasectomie alors qu’ils sont en couple, qu’ils ont eu des enfants, que leurs compagnes ne supportent pas la contraception… Cela peut être mal vécu par des femmes.
AÉ : Quels sont les freins dans le chef des hommes ?
LS : Les freins principaux sont culturels et symboliques. On est dans une société sexiste, les tâches sont séparées et hiérarchisées. La sphère reproductive a toujours été liée aux femmes. Des hommes qui changent les couches d’un enfant peuvent encore être charriés aujourd’hui… L’idée qu’un homme qui prendrait la contraception se féminiserait, se déviriliserait, est toujours partagée par des hommes mais aussi par des femmes.
Tant qu’on sera dans une société où les femmes seront subordonnées aux hommes, l’égalité contraceptive pourra être instrumentalisée et se retourner contre les femmes, limiter le droit à disposer de leur corps.
C’est une histoire de socialisation différenciée. On n’apprend pas aux petits garçons et aux jeunes hommes à être responsables de la contraception. Par contre, dès qu’une jeune femme a ses règles, elle est envoyée chez la/le gynécologue. On surmédicalise même les femmes alors que les hommes voient peu le médecin pour des questions de santé sexuelle. Cela génère un tas de craintes et d’imaginaires autour de la contraception masculine – la peur de perdre sa libido par exemple… – que des gynécologues aujourd’hui essayent de déconstruire.
AÉ : Pourtant, les hommes prennent quand même en charge, et depuis longtemps, le préservatif…
LS : En fait, pas vraiment. On remarque que les femmes prennent aussi en charge le préservatif : elles le négocient, elles l’achètent, elles l’érotisent même… On est toujours dans ce modèle genré où c’est la femme qui se soucie de la sexualité et de la santé de son couple. C’est à elle qu’incombe cette charge. Dans cette même construction des rôles de genre, on voit aussi que la prise de risque, le danger, peut être glorifiée chez les hommes, à travers des pratiques comme le skateboard par exemple. C’est considéré comme inconscient mais courageux. Et cela vaut aussi dans la vie affective et sexuelle. Des études ont montré que les femmes vont davantage faire des tests d’infections sexuellement transmissibles. Ou le suggérer aux hommes.
AÉ : Cette contraception dite masculine est surtout encouragée par des femmes aujourd’hui. Mais est-elle aussi initiée par des hommes ?
LS : Oui, on le voit en France avec Ardecom (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine, NDLR), qui dans les années 80 a initié et développé la contraception hormonale et thermique pour les hommes. Il y a aussi le collectif Thomas Boulou. Ce sont deux associations fondées par des hommes, proches de milieux de gauche ou d’extrême gauche et de milieux féministes. Ce sont donc des hommes qui proviennent de milieux proféministes, des alliés, qui veulent être des êtres féconds responsables. Il faut se méfier d’autres hommes qui militent aussi pour la contraception masculine.
On voit à l’heure actuelle que la contraception est clairement une affaire de femmes, techniquement, mentalement et financièrement. C’est une préoccupation quotidienne des femmes qui doivent anticiper le désir et subir, pour certaines, les effets secondaires…
Le sujet revient souvent sur les blogs masculinistes, qui la défendent en réaction à la crainte de se faire faire un enfant dans le dos. Ils ne sont pas dans des questions d’égalité dans le couple, mais dans une méfiance envers les femmes. Tant qu’on sera dans une société où les femmes seront subordonnées aux hommes, l’égalité contraceptive pourra être instrumentalisée et se retourner contre les femmes, limiter le droit à disposer de leur corps.
AÉ : Comment se prémunir contre ce risque ?
LS : Réaffirmer que la seule personne qui a le dernier mot sur l’avortement, ce sont les femmes. Il faut aussi que l’on continue à déconstruire les rôles de genre pour éviter les pièges de l’égalité. On peut faire le parallèle avec la garde alternée. L’idée de base est bonne, mais, une fois le couple séparé, qui va faire les courses, qui emmène les enfants chez le médecin, etc. ? La charge parentale pèse davantage sur les femmes parce qu’on est toujours dans une société inégalitaire.
AÉ : En quoi la contraception partagée pourrait-elle influer positivement sur la vie sexuelle et affective des femmes et des hommes ?
LS : On le voit aujourd’hui, cette prise en charge contraceptive est un travail invisible des femmes qui peut peser sur leur sexualité. Elles anticipent les relations sexuelles et créent toutes les conditions pour que le désir des hommes puisse, lui, être spontané, sans qu’ils doivent se soucier de la contraception… Le partage de la contraception permettrait donc une libération. Mais cela doit s’accompagner aussi d’autres choses : penser les rapports sexuels au-delà de la pénétration par exemple.
Anne Verougstraete, gynécologue (ULB-VUB-FLCPF), exerce en planning familial et pratique des IVG. Elle appelle à une certaine vigilance.
Elle n’y est pas opposée, mais, autour de la table du premier colloque consacré à la contraception dite masculine, Anne Verougstraete faisait figure de dissidente dans le panel unanimement enthousiasmé par la contraception pour les hommes. « C’est un mouvement intéressant. Jusqu’ici, on a toujours considéré que c’était aux femmes de prendre leur pilule, point. Et quand il y avait vasectomie, c’était en général parce que madame avait un problème de santé. Je regarde donc avec un intérêt la volonté des hommes d’être responsables de leurs spermatozoïdes, de prendre la responsabilité de leur fécondité et d’être prêts à partager la tâche de la contraception avec leur compagne. D’ailleurs, si l’homme ne veut pas devenir papa, il doit s’occuper de ses spermatozoïdes au moment du coït, car, en cas de grossesse, c’est madame qui aura le dernier mot ! Cependant, une contraception masculine ne protège pas nécessairement la femme d’une grossesse, la fidélité n’étant pas toujours au rendez-vous ! Lors de mon travail en planning familial pratiquant l’IVG, je vois régulièrement des femmes me confiant qu’elles sont enceintes d’un géniteur qui n’est pas son partenaire officiel. C’est très bien de vouloir partager mais il faut que cela se fasse dans la confiance. Et la vie n’est pas toujours si rose… » La gynécologue insiste aussi sur l’importance de professionnaliser les méthodes de contraception testiculaire thermique réversible : « Il faut des études, des protocoles. On ne peut pas décréter un contraceptif masculin fiable sur des tests d’il y a trente ans, ou à partir d’une seule personne. » Enfin, pour elle, il s’agit aussi de penser à sortir cette question d’un « entre-soi bobo-bio francophone ». « Quand il y aura eu des études sérieuses validées par l’OMS sur les dispositifs de la contraception thermique, on pourra les trouver en pharmacie, les promouvoir dans les écoles. Sortir ces méthodes de la confidentialité dans laquelle elles sont aujourd’hui et en faire profiter les hommes de par le monde. »