Contraception masculine : l’affaire est dans le slip

Contraception masculine : l’affaire est dans le slip

Santé

Contraception masculine : l’affaire est dans le slip

L’amour est le meilleur des médicaments, même si parfois la pilule est dure à avaler. Une pilule qui passe de plus en plus mal, et pour cause : la contraception est aujourd’hui en large majorité prise en charge par les femmes, y compris le préservatif (lire « Capote, affaire de femmes ? »). Sans nier la victoire qu’elle constitue pour les femmes de disposer de leur corps, elles sont de plus en plus nombreuses aussi à souligner la charge mentale, financière, physique que fait peser sur elle cette gestion. Les hommes, s’ils restent extrêmement minoritaires à prendre en charge la contraception – on parle ici de préservatif et de vasectomie, seuls contraceptifs masculins accessibles aux hommes en Belgique aujourd’hui –, n’y sont pas pour autant tous opposés (lire « Vasectomie : un choix tranché »). D’autres méthodes plus expérimentales apparaissent aussi parmi des pirates de la contraception qui interrogent leur propre masculinité (lire « À la pêche aux boules »). Promouvoir la contraception masculine ne revient pas à remettre en cause cette victoire fondamentale pour les femmes à disposer de leur corps, mais bien de porter l’enjeu de la contraception à l’échelle du collectif, parce qu’il concerne la maîtrise de la fertilité, l’autonomie et le désir de chacun et chacune. Mais la route est encore longue, comme le dit Laurence Stevelinck, chargée de mission à la Fédération laïque de centres de planning familial (lire « Contraception : qui porte la culotte ? »). « Les freins principaux sont culturels et symboliques. On est dans une société sexiste, les tâches sont séparées et hiérarchisées. La sphère reproductive a toujours été liée aux femmes. Des hommes qui changent les couches d’un enfant peuvent encore être charriés aujourd’hui… L’idée qu’un homme qui prendrait la contraception se féminiserait, se déviriliserait, est toujours partagée par des hommes mais aussi par des femmes. » Et sur le terrain, si certains professionnels de la santé se penchent sur la question, ils se heurtent à différents écueils : manque de techniques disponibles, tradition, absence de formation, craintes de la part des hommes… (lire « Contraception masculine, une technique de pro ? »).

 

Un dossier réalisé par Alter Échos Images : Philippe Debongnie 26-02-2020

Contraception : qui porte la culotte ?

Les dispositifs sont encore peu nombreux, les entreprises pharmaceutiques pas franchement proactives, mais la contraception masculine suscite ces dernières années un regain d’intérêt. Tant dans les couples que dans le débat public, l’idée d’un partage de la contraception, toujours majoritairement prise en charge par les femmes, fait son chemin. Laurence Stevelinck, chargée de mission à la Fédération laïque des centres de planning familial, y a consacré son mémoire de master en études de genre.

Alter Échos : Vous avez écrit ce mémoire en 2017. C’est assez neuf qu’on parle de la contraception masculine en Belgique, pourquoi cet intérêt croissant selon vous ?

Laurence Stevelinck : J’ai réalisé cette recherche l’année où l’on célébrait les 50 ans de la loi Neuwirth, qui a autorisé en France l’usage des contraceptifs, et notamment la contraception orale. Cet anniversaire a permis de soulever la question de la place des hommes. On a en outre ces dernières années observé une remise en question de la contraception hormonale et de ses effets secondaires, parfois très violents comme des AVC. Certaines femmes la rejettent et cherchent des méthodes naturelles. Elles se posent alors aussi la question : « Pourquoi suis-je la seule à gérer ma contraception ? » Ces deux événements ont contribué au fait qu’on en parle en Belgique et en France. Mais au niveau international, la question n’est pas neuve. On en parle depuis dix ans en Inde et en Chine, et des choses y sont mises en place, dans une optique de diminution de la pression démographique. Les pays anglo-saxons sont aussi bien au point sur la question du partage de la contraception. Aux Pays-Bas aussi, on entendait déjà dans les années septante des slogans comme « Sois responsable de ton sperme ».

AÉ : En quoi est-ce un enjeu féministe ?

LS : Tout ce qui touche au corps des femmes est un enjeu féministe. La contraception médicale a libéré les femmes de leur destin biologique tout tracé. On voit à l’heure actuelle que la contraception est clairement une affaire de femmes, techniquement, mentalement et financièrement. C’est une préoccupation quotidienne des femmes qui doivent anticiper le désir et subir, pour certaines, les effets secondaires… Cela en dit long sur la hiérarchisation sexuelle de la santé : les femmes peuvent souffrir, mais, quelques boutons d’acné chez les hommes, c’est inacceptable.

AÉ : On parle de charge contraceptive pour les femmes… Mais maîtriser la contraception était une demande des femmes de maîtriser leurs corps. N’est-ce donc pas aussi un recul pour les femmes que les hommes s’en mêlent ?

LS : Les plus jeunes femmes ressentent plus la charge quotidienne que des féministes plus âgées qui voient la contraception comme une victoire qui dépasse tous les désavantages. Le fait que la « charge » soit essentiellement féminine alors qu’elle était davantage masculine avant les années 60 correspond à une demande des féministes de ces années-là, et il s’agit d’une victoire en effet : celle d’avoir la maîtrise de son propre corps. En réclamant que les hommes « prennent leur part », c’est une sorte de retour de balancier qui s’opère, les « clefs » de la maîtrise du corps – et du choix d’avoir un enfant – sont redonnées en partie aux hommes. Donc, certaines pourront y voir plus d’égalité, d’autres pourraient y voir un recul pour les femmes.

AÉ : Mais comment partager égalitairement une chose par rapport à laquelle nous ne sommes pas physiologiquement égaux ?

LS : En effet, ce sont toujours les femmes qui tombent enceintes et il faudra donc veiller à ne pas remettre en cause la décision et l’autonomie des femmes par rapport à l’avortement par exemple. Mais hommes et femmes peuvent partager la responsabilité, partager les effets secondaires. Il y a des hommes qui refusent aujourd’hui la vasectomie alors qu’ils sont en couple, qu’ils ont eu des enfants, que leurs compagnes ne supportent pas la contraception… Cela peut être mal vécu par des femmes.

AÉ : Quels sont les freins dans le chef des hommes ?

LS : Les freins principaux sont culturels et symboliques. On est dans une société sexiste, les tâches sont séparées et hiérarchisées. La sphère reproductive a toujours été liée aux femmes. Des hommes qui changent les couches d’un enfant peuvent encore être charriés aujourd’hui… L’idée qu’un homme qui prendrait la contraception se féminiserait, se déviriliserait, est toujours partagée par des hommes mais aussi par des femmes.

Tant qu’on sera dans une société où les femmes seront subordonnées aux hommes, l’égalité contraceptive pourra être instrumentalisée et se retourner contre les femmes, limiter le droit à disposer de leur corps.

C’est une histoire de socialisation différenciée. On n’apprend pas aux petits garçons et aux jeunes hommes à être responsables de la contraception. Par contre, dès qu’une jeune femme a ses règles, elle est envoyée chez la/le gynécologue. On surmédicalise même les femmes alors que les hommes voient peu le médecin pour des questions de santé sexuelle. Cela génère un tas de craintes et d’imaginaires autour de la contraception masculine – la peur de perdre sa libido par exemple… – que des gynécologues aujourd’hui essayent de déconstruire.

AÉ : Pourtant, les hommes prennent quand même en charge, et depuis longtemps, le préservatif…

LS : En fait, pas vraiment. On remarque que les femmes prennent aussi en charge le préservatif : elles le négocient, elles l’achètent, elles l’érotisent même… On est toujours dans ce modèle genré où c’est la femme qui se soucie de la sexualité et de la santé de son couple. C’est à elle qu’incombe cette charge. Dans cette même construction des rôles de genre, on voit aussi que la prise de risque, le danger, peut être glorifiée chez les hommes, à travers des pratiques comme le skateboard par exemple. C’est considéré comme inconscient mais courageux. Et cela vaut aussi dans la vie affective et sexuelle. Des études ont montré que les femmes vont davantage faire des tests d’infections sexuellement transmissibles. Ou le suggérer aux hommes.

AÉ : Cette contraception dite masculine est surtout encouragée par des femmes aujourd’hui. Mais est-elle aussi initiée par des hommes ?

LS : Oui, on le voit en France avec Ardecom (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine, NDLR), qui dans les années 80 a initié et développé la contraception hormonale et thermique pour les hommes. Il y a aussi le collectif Thomas Boulou. Ce sont deux associations fondées par des hommes, proches de milieux de gauche ou d’extrême gauche et de milieux féministes. Ce sont donc des hommes qui proviennent de milieux proféministes, des alliés, qui veulent être des êtres féconds responsables. Il faut se méfier d’autres hommes qui militent aussi pour la contraception masculine.

On voit à l’heure actuelle que la contraception est clairement une affaire de femmes, techniquement, mentalement et financièrement. C’est une préoccupation quotidienne des femmes qui doivent anticiper le désir et subir, pour certaines, les effets secondaires…

Le sujet revient souvent sur les blogs masculinistes, qui la défendent en réaction à la crainte de se faire faire un enfant dans le dos. Ils ne sont pas dans des questions d’égalité dans le couple, mais dans une méfiance envers les femmes. Tant qu’on sera dans une société où les femmes seront subordonnées aux hommes, l’égalité contraceptive pourra être instrumentalisée et se retourner contre les femmes, limiter le droit à disposer de leur corps.

AÉ : Comment se prémunir contre ce risque ?

LS : Réaffirmer que la seule personne qui a le dernier mot sur l’avortement, ce sont les femmes. Il faut aussi que l’on continue à déconstruire les rôles de genre pour éviter les pièges de l’égalité. On peut faire le parallèle avec la garde alternée. L’idée de base est bonne, mais, une fois le couple séparé, qui va faire les courses, qui emmène les enfants chez le médecin, etc. ? La charge parentale pèse davantage sur les femmes parce qu’on est toujours dans une société inégalitaire.

AÉ : En quoi la contraception partagée pourrait-elle influer positivement sur la vie sexuelle et affective des femmes et des hommes ?

LS : On le voit aujourd’hui, cette prise en charge contraceptive est un travail invisible des femmes qui peut peser sur leur sexualité. Elles anticipent les relations sexuelles et créent toutes les conditions pour que le désir des hommes puisse, lui, être spontané, sans qu’ils doivent se soucier de la contraception… Le partage de la contraception permettrait donc une libération. Mais cela doit s’accompagner aussi d’autres choses : penser les rapports sexuels au-delà de la pénétration par exemple.

 

Anne Verougstraete, gynécologue (ULB-VUB-FLCPF), exerce en planning familial et pratique des IVG. Elle appelle à une certaine vigilance.

Elle n’y est pas opposée, mais, autour de la table du premier colloque consacré à la contraception dite masculine, Anne Verougstraete faisait figure de dissidente dans le panel unanimement enthousiasmé par la contraception pour les hommes. « C’est un mouvement intéressant. Jusqu’ici, on a toujours considéré que c’était aux femmes de prendre leur pilule, point. Et quand il y avait vasectomie, c’était en général parce que madame avait un problème de santé. Je regarde donc avec un intérêt la volonté des hommes d’être responsables de leurs spermatozoïdes, de prendre la responsabilité de leur fécondité et d’être prêts à partager la tâche de la contraception avec leur compagne. D’ailleurs, si l’homme ne veut pas devenir papa, il doit s’occuper de ses spermatozoïdes au moment du coït, car, en cas de grossesse, c’est madame qui aura le dernier mot ! Cependant, une contraception masculine ne protège pas nécessairement la femme d’une grossesse, la fidélité n’étant pas toujours au rendez-vous ! Lors de mon travail en planning familial pratiquant l’IVG, je vois régulièrement des femmes me confiant qu’elles sont enceintes d’un géniteur qui n’est pas son partenaire officiel. C’est très bien de vouloir partager mais il faut que cela se fasse dans la confiance. Et la vie n’est pas toujours si rose… » La gynécologue insiste aussi sur l’importance de professionnaliser les méthodes de contraception testiculaire thermique réversible : « Il faut des études, des protocoles. On ne peut pas décréter un contraceptif masculin fiable sur des tests d’il y a trente ans, ou à partir d’une seule personne. » Enfin, pour elle, il s’agit aussi de penser à sortir cette question d’un « entre-soi bobo-bio francophone »« Quand il y aura eu des études sérieuses validées par l’OMS sur les dispositifs de la contraception thermique, on pourra les trouver en pharmacie, les promouvoir dans les écoles. Sortir ces méthodes de la confidentialité dans laquelle elles sont aujourd’hui et en faire profiter les hommes de par le monde. »

Contraception masculine, une technique de pro ?

Que fait un homme quand il veut prendre sa contraception en main ? Il en parle avec sa copine ou un pote… Tiré d’une étude, ce constat souligne le désert médical auquel la gente masculine est confrontée dès que l’on parle de santé reproductive. Pourtant, certains professionnels de la santé se penchent sur la question. Mais ils se heurtent à différents écueils : manque de techniques disponibles, tradition, absence de formation, craintes de la part des hommes…

Au CHU Saint-Pierre de Bruxelles, Daniel Murillo reçoit le journaliste en tunique médicale verte, à la manière de ce qu’il fait pour les couples lui rendant visite dans le cadre de consultations de procréation médicalement assistée (PMA). Bien sûr, qui dit PMA dit désir d’enfant. Mais une fois celui-ci assouvi, d’autres questions pointent le bout du nez, comme la contraception. Oui, les couples ayant des problèmes de fertilité recourent aussi à certains moyens contraceptifs. Et comme pour la majorité des couples, ces moyens sont souvent de la responsabilité de la femme. Une situation que certaines aimeraient voir changer. « Bon nombre de femmes présentes à ma consultation ont commencé à dire qu’elles en avaient assez de porter, seules, ces questions de contraception », retrace Daniel Murillo. Cette situation a poussé ce chef de clinique adjoint en Andrologie et PMA à s’intéresser à une alternative : la contraception masculine. Au point de devenir une des références en la matière en Belgique francophone et de proposer systématiquement cette alternative à ses patients« Pourtant, vous seriez venu il y a dix ans, je n’aurais rien pu vous dire », ajoute-t-il comme pour illustrer la situation actuelle d’une partie de ses collègues. Dans beaucoup de cas, la contraception masculine reste effectivement le parent pauvre du domaine. Les praticiens n’y pensent pas. Ou, quand ils le font, se heurtent à d’autres obstacles : refus de la part des hommes, manque de techniques de contraception masculine réversibles, etc.

Des époux pas très branchés

Faisons tout d’abord le point. Il existe deux techniques de contraception masculine aujourd’hui remboursées sur le territoire belge : le préservatif et la vasectomie (stérilisation). Pourtant, d’autres méthodes ont produit des résultats prometteurs : contraception « thermique », hormonale… Mais elles se heurtent à différents problèmes comme une non-reconnaissance par l’OMS, une absence de tests à grande échelle. « Il n’existe pas de médicament enregistré qui ait le label ‘Contraceptif masculin’ », déplore Daniel Murillo. Du côté des praticiens, cette limitation « technique » constitue une première pierre d’achoppement. « Ce n’est pas un sujet dont on s’occupe beaucoup, notamment parce que nous sommes un peu limités au niveau des techniques disponibles », concède Thierry Van der Schueren, secrétaire général de la Société scientifique de médecine générale.

« Pour les hommes, si la vasectomie tourne mal, la pire des choses qu’il puisse leur arriver est de perdre un testicule. Chez les femmes, avec la ligature des trompes, le pire scénario, c’est la mort… » Christophe Assenmacher, urologue

D’après lui, la contraception masculine serait pourtant de plus en plus proposée aux patients, notamment grâce à la « féminisation de la profession »« Les conseils dans ce domaine sont plus systématiques », assure le secrétaire général. Attention : derrière le mot « conseil » se cache en fait la vasectomie, tant le préservatif semble vite abandonné une fois que le couple est stabilisé. Christophe Assenmacher est urologue aux Cliniques de l’Europe et vice-président de la Société belge d’urologie. Des vasectomies, il en effectue « deux ou trois par semaine ». Un chiffre qui est en augmentation sur le territoire belge. D’après l’Inasti, près de 11.000 hommes ont eu recours à cette forme de stérilisation en 2018, contre 10.000 en 2017, 8.500 en 2014 ou 7.300 en 2010. Une option examinée davantage qu’auparavant, en lieu et place de la ligature des trompes chez la femme, quand le couple envisage une contraception « définitive ». « Si vous comparez la vasectomie à la ligature des trompes, il n’y a pas photo, détaille Christophe Assenmacher. Pour les hommes, si la vasectomie tourne mal, la pire des choses qu’il puisse leur arriver est de perdre un testicule. Chez les femmes, avec la ligature des trompes, le pire scénario, c’est la mort… » Signe de ce tournant, le nombre de ligatures des trompes est en baisse depuis quelques années, toujours d’après l’Inasti : 5.211 en 2013, 4.175 en 2016, 3.787 en 2018…

Attention : la vasectomie reste une technique qui n’est pas suggérée à tout le monde. Elle est la plupart du temps définitive et ne s’applique donc en principe pas aux hommes qui souhaiteraient avoir des enfants. À titre d’exemple, Christophe Assenmacher ne la pratique pas chez les hommes de moins de 30 ans. Autre « détail » : malgré le léger engouement à son égard, la vasectomie reste un phénomène de niche. « Les femmes que je rencontre n’ont en général pas des époux très branchés là-dessus. Et ceux qui acceptent viennent de milieu assez éduqués », témoigne Axelle Pintiaux, cheffe de gynécologie obstétrique à l’hôpital Érasme. Serait-ce son côté définitif qui effraie ? « Ça peut avoir un effet, mais il y a surtout une peur infondée d’atteinte à la virilité », constate Thierry Van der Schueren. Une peur qui semble bien plus présente dans le sud du pays que dans le nord. D’après les chiffres de l’Inasti, trois quarts des vasectomisés en Belgique sont des Flamands. Et au niveau européen, « plus on remonte vers le nord, plus la vasectomie est courante », note Christophe Assenmacher. « C’est culturel, analyse-t-il. Dans le nord, on est plus pragmatique. Quand on parle de vasectomie, les hommes demandent une date d’intervention. Dans le sud, ils bondissent au ciel. »

Focus sur les couilles

Malgré ce frémissement, un constat s’impose : le fait de proposer – ou pas – la contraception masculine aux patients reste un choix personnel des praticiens. En gros, il n’existe pas de « protocole » fixe à appliquer par chaque professionnel de la santé dès lors que l’on parle de contraception. Et ce constat est également valable pour des structures de première ligne comme les plannings familiaux. Ici aussi, c’est la liberté de chaque professionnel qui prévaut, que l’on se trouve dans le cadre de l’Evras (l’éducation à la vie sexuelle et affective en milieu scolaire) ou des consultations au sein des plannings.

Le fait de proposer – ou pas – la contraception masculine aux patients reste un choix personnel des praticiens, guidé par leurs intérêts personnels, leur militance.

Comment expliquer cette situation ? Par la sacro-sainte liberté associative. Il est difficile pour les fédérations d’imposer quoi que ce soit à des membres jaloux de leur indépendance. « Les centres sont intéressés par cette thématique, tente de tempérer Caroline Watillon, chargée de mission à la Fédération laïque des centres de planning familial. Mais si on leur dit : ‘Voilà un protocole à appliquer’, cela ne va pas fonctionner. » Du côté des fédérations, on joue donc plutôt la carte de l’émulation et de l’échange de bonnes pratiques. Témoin de cette tendance : l’organisation, le 4 février 2020 à Bruxelles de « Focus sur les couilles », le « Premier colloque sur la contraception dite masculine en Belgique », à l’origine duquel on trouve notamment la Fédération des centres pluralistes de planning familial. Au programme ce jour-là : une soirée d’ateliers tous publics mais aussi une série d’exposés et de débats destinés à sensibiliser les professionnels. Parmi les stands garnis de slips chauffants (contraception thermique) et de godemichets, on croise quelques travailleuses du planning familial « Le 37 », situé à Liège. D’emblée, Florence, Coline et Marjorie admettent que, si le sujet de la contraception masculine est abordé en interne depuis longtemps, il ne fait pas l’objet « d’une réflexion d’équipe pour l’aborder automatiquement »En cause, de nouveau : le nombre limité de techniques validées et le peu d’informations disponibles à ce sujet.

Autre point, interpellant : les hommes seraient peu présents en planning familial. Ce qui rendrait le travail de sensibilisation compliqué. Une affirmation confirmée par des chiffres fournis par la Fédération des centres de planning et de consultations (FCPC) dont fait partie « Le 37 ». À la FCPC, les hommes représenteraient seulement 25 % des consultations. Du côté des centres de planning familial des Femmes prévoyantes socialistes, on parle de 14 %« Les centres de planning familial traitent de sujets qui, culturellement, sont encore vus comme liés aux femmes. Il y a la contraception, mais, même pour les interruptions volontaires de grossesse, on ne voit pas beaucoup les hommes, alors que ça concerne le couple dans son ensemble… », tente en guise d’explication Pascaline Nuncic, chargée de mission à la Fédération des centres de planning familial des « FPS ».

Plus globalement, c’est le rapport des hommes à leur santé qui serait différent. Thierry Van der Schueren note que « les hommes sont en retrait dès lors que l’on en vient aux choses médicales, ce n’est pas limité à la contraception. On les voit moins que les femmes, qui consultent plus. Il existe un rapport genré à la santé ». Résultat des courses : lorsqu’il s’agit de sa santé reproductive, et a fortiori de contraception, l’homme ne va consulter que lorsqu’il y a un problème. Un phénomène qui serait à nouveau culturel : « Depuis que la contraception s’est développée et médicalisée dans les années 60 avec la pilule contraceptive féminine, on a en quelque sorte déclaré les hommes hors contraception », analyse Daniel Murillo. Dès leur puberté, les jeunes filles sont envoyées chez le gynécologue avec qui elles parlent de contraception. Pour les jeunes hommes, c’est le néant, il n’existe pas d’endroit où ils puissent aborder ce sujet. Illustration édifiante de ce désert médical, une enquête menée en 2017 par Solidaris1 montrait que les femmes se voyaient conseiller des moyens contraceptifs par – dans l’ordre d’importance – leur gynécologue, leur famille et leur généraliste. Chez l’homme, il s’agit de la partenaire, de la famille et d’un ou une amie… Une situation qui pousse Daniel Murillo à envisager la création, au sein du planning familial du CHU Saint-Pierre, d’une consultation dévolue à la santé sexuelle et à la contraception des hommes.

Des slips chauffants dans Playboy ?

Reste que, pour que tout cela fonctionne, il faudra aussi former les professionnels. « Les acteurs de première ligne n’ont pas d’information à ce sujet, beaucoup ne sont pas formés. Quand je parle de contraception masculine à mes collègues, certains lèvent les yeux au ciel », sourit Daniel Murillo. Avant de souligner une « anecdote » en guise d’exemple. « On dit qu’il n’existe pas de méthodes alternatives à la vasectomie ou au préservatif. Mais c’est faux. Certaines substances présentes sur le marché, prévues pour d’autres usages thérapeutiques, ont des effets contraceptifs chez les hommes. Je pense notamment à la testostérone. On pourrait l’utiliser ‘off label’. Mais peu de praticiens le savent. »

« Quand je parle de contraception masculine à mes collègues, certains lèvent les yeux au ciel. » Daniel Murillo, chef de clinique adjoint en Andrologie et PMA au CHU Saint-Pierre

Dans d’autres cas, c’est à nouveau le facteur culturel qui prend le dessus. Christophe Assenmacher pointe le cas d’un collègue, très religieux, qui refuse de pratiquer la vasectomie. Les travailleuses du 37, elles, soulignent le poids de l’habitude. « Quand on fait un dépistage chez une femme, on pense à parler de santé reproductive. Alors qu’avec un homme, non. » D’autres évoquent, un peu sous le manteau, la pilule féminine qui nécessite que l’on multiplie les visites chez le gynécologue, qui peut à chaque fois les facturer. Alors que des techniques définitives comme la vasectomie sont réglées en une ou deux consultations…

Autant d’écueils qu’il faudra dépasser, en plus de celui d’un élargissement des options validées de contraception masculine. Et puis ? Et puis il faudra aussi probablement passer par des campagnes de sensibilisation. À ce propos, Axelle Pintiaux a une petite idée, pas si bête que ça. « Si un jour les ‘médias masculins’ – NDLR : comme Playboy ou GQ –  pouvaient en parler, on ferait un pas dans la bonne direction… »

  1. Grande enquête – Contraception 2017, Solidaris, Fédération des centres de planning familial des Femmes prévoyantes socialistes.

 

Contraception masculine : le tour de la question

Autant le dire, la contraception masculine ne dispose pas, à l’heure actuelle, de nombreuses techniques. Hormis le préservatif et la vasectomie, les autres méthodes restent largement marginales et expérimentales.

Côté contraception, les hommes restent largement minoritaires à la prendre en charge : 33 % contre 67 % des femmes. En la matière, on parle du préservatif et de la vasectomie, seuls contraceptifs masculins accessibles aux hommes en Belgique, là où les femmes disposent d’une dizaine de méthodes. Mais le premier reste « tabou » pour 80 % des Belges, à en croire une étude réalisée en 2019 par un fabricant de préservatifs ; quant au second, si le nombre d’hommes ayant recours à la vasectomie augmente – en 2018, 11.000 hommes ont eu recours dans notre pays à une vasectomie contre 8.143 dix ans plus tôt –, ce chiffre reste dérisoire en comparaison avec la quantité d’opérations effectuées au Canada, au Royaume-Uni ou en Nouvelle-Zélande, par exemple. Pourtant, la vasectomie est l’une des méthodes de contraception les plus efficaces avec un taux de réussite de 99 %. En outre, et contrairement à la stérilisation féminine, l’opération en elle-même est peu coûteuse et bénigne. À noter aussi que la vasectomie en Belgique concerne principalement des hommes entre 30 et 45 ans, et plus précisément entre 35 et 40 ans. Au sein même du pays, la répartition des vasectomies n’est pas uniforme : environ les trois quarts des hommes vasectomisés l’ont été en Flandre, et seulement un quart en Wallonie.

 

Selon une enquête de Solidaris, menée en 2017, 40 % des hommes seraient d’accord d’utiliser la pilule masculine si celle-ci était commercialisée. Mais cette commercialisation, bien que souvent annoncée dans la presse, tarde à voir le jour en raison d’effets secondaires qu’entraîne ce type de médicaments. « Une raison quelque peu étrange quand les effets secondaires (acné, migraines, changements d’humeur, modification de la libido…) sont les mêmes, ou presque, que ceux de la pilule féminine », rappelait Solidaris dans son étude.

D’autres méthodes sont évoquées, à l’instar de la méthode thermique. Naturelle, elle permet d’augmenter légèrement la température des testicules grâce à la chaleur corporelle à l’aide d’un sous-vêtement adapté. C’est ce que propose le slip chauffant imaginé par le Dr Mieusset, andrologue français au CHU de Toulouse. En l’enfilant, on passe sa verge et son scrotum par un anneau. Les testicules remontent alors dans le pubis et sont maintenus à une température de 37 degrés. Ce qui permet, en le portant 15 h par jour, de faire diminuer le taux de spermatozoïdes mobiles dans le sperme, et donc d’être considéré comme stérile. Contrairement à la vasectomie, la méthode est réversible. L’homme intéressé doit faire une analyse avant de porter la contraception thermique, pour vérifier son taux de spermatozoïdes. Il doit ensuite porter le slip chauffant pendant trois mois, tous les jours, pour que le nombre de spermatozoïdes ne soit plus suffisant pour être fertile. Après cette période, il doit refaire une analyse pour vérifier qu’il est bien stérile. Si le sous-vêtement a fait ses preuves, il n’est pas encore commercialisé, même si des tutoriels sont disponibles sur Internet pour le réaliser à moindre coût. Dans le même style, il y a l’Andro-switch, un anneau en silicone conçu par Maxime Labrit, un infirmier français. Il suffit d’introduire le pénis dans l’anneau et d’y glisser ensuite la peau du scrotum, ce qui permet de maintenir les testicules en position haute. Mais là aussi, la fabrication reste artisanale.

Deux autres contraceptions sont à l’étude : une contraception hormonale par injection hebdomadaire. Comme la pilule, elle peut provoquer d’éventuels effets secondaires. Les spécialistes évoquent aussi le Vasalgel, un gel polymère injectable chirurgicalement destiné à bloquer les spermatozoïdes dans leur chemin vers l’éjaculation. Une méthode là aussi toujours en voie d’expérimentation.

 

Capote, affaire de femmes ?

La charge de la contraception repose largement sur les femmes. Celle de l’usage du préservatif, qui a une double fonction contraceptive et de protection contre les infections sexuellement transmissibles (IST), est-elle plus partagée ?

Sachet en vessie de chèvre, fourreau d’étoffe, étui pénien rigide fait d’écailles de tortue ou encore capuchons en boyaux de mouton, le préservatif est employé sous des formes variées depuis des millénaires, tantôt dans un but contraceptif, tantôt pour se protéger des maladies sexuellement transmissibles. En Europe, son usage explose à la fin des années quatre-vingt avec l’arrivée de l’épidémie du VIH/sida et des campagnes de prévention qui y sont associées : son utilisation lors du premier rapport sexuel passe de 10 % en 1985 à 85 % en 1996, selon une étude française(1). Aujourd’hui, la hausse généralisée de toutes les IST témoignerait d’une baisse de l’utilisation de cet étui en latex ou en polyuréthane, baisse souvent expliquée par l’atténuation de la menace du VIH, devenu une maladie chronique. Mais cette « explosion » des IST pourrait aussi tout simplement s’expliquer par le nombre toujours plus élevé de dépistages réalisés ou, qui sait, par une augmentation du nombre des rapports sexuels.

De nos jours, le préservatif est principalement utilisé en début de vie sexuelle, si on a des partenaires multiples ou quand l’un des partenaires a contracté une IST. Il peut aussi réapparaître lors de points de bascule dans les parcours de vie, après un accouchement ou une séparation par exemple. Bien que l’on dispose de peu de chiffres sur la question, si l’on en croit les acteurs de la prévention, l’usage de la capote chez les jeunes semble assez aléatoire. Dr Kpote est animateur de prévention sur la sexualité et les conduites addictives dans les lycées et centres d’apprentissage de la région parisienne. Il fait le constat que, dès que les jeunes se connaissent un peu, ils arrêtent d’utiliser ce moyen de protection, même sans avoir réalisé de dépistage. Il rapporte aussi : « Il y en a aussi pas mal qui disent qu’ils ne l’utilisent pas du tout. Ce sont toujours les mêmes réflexions qui reviennent : ils disent qu’ils n’ont pas les mêmes sensations. Mais, derrière tout cela, je pense surtout qu’ils n’ont pas envie de s’emmerder avec ce truc un peu technique. »

« Les femmes doivent avoir la main sur leur contraception, mais les hommes, sont aujourd’hui complètement déresponsabilisés. » Sophie Peloux, de l’asbl O’Yes

Le préservatif, une barrière au désir et au plaisir ? « Oui cela peut l’être », assure Olivier Mageren, animateur Évras (Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) et fondateur de la toute nouvelle association Love Health Center, qui a pour but de parler de sexualité « de manière positive, décomplexée et moderne »« S’il n’y avait que deux tailles de soutien-gorge pour les femmes, beaucoup trouveraient cela inconfortable. C’est la même chose pour le préservatif. S’il n’est pas adapté, cela ne marchera pas. Or il existe une telle diversité de pénis. Il faut aller en magasin spécialisé, comme au Roi de la capote à Paris, pour trouver une large gamme de produits. » Mais il confirme que la question de la « sensation » est souvent une excuse. « Une excuse un peu bidon au regard de tout ce qui se passe dans un échange. » Excuse ou pas, la « capote anglaise » ne fait pas l’unanimité. Elle demeure d’ailleurs la grande absente du paysage de la sexualité sur internet ou à la télévision, que ce soit dans le porno mainstream ou dans le cinéma en général, un peu comme si elle était inexistante.

Dans les faits, l’usage du préservatif se résume donc au premier rapport, avant d’être rapidement abandonné, partant du principe que la jeune fille possède son propre moyen de contraception (la responsabilité contraceptive reposant sur les épaules féminines). En termes de contraception, le préservatif n’est d’ailleurs pas la méthode la plus fiable. Son efficacité théorique (c’est-à-dire s’il est utilisé de manière parfaite) n’est pas mauvaise : 2 % de risque de grossesse (contre 5 % pour le préservatif interne – communément appelé « préservatif féminin », voir encadré –, de 0,3 % pour la pilule et de 0,2 % pour le stérilet hormonal). Mais son efficacité « pratique » (autrement dit, tenant compte des « ratés » liés aux contraintes de son utilisation) est beaucoup moins convaincante : 15 % et 21 % de risque de grossesse pour les préservatifs externe et interne, contre 8 % pour la pilule et 0,2 % pour le stérilet hormonal.

Objet d’homme, question de femme ?

Il reste que, pour les jeunes hommes, la capote demeure le moyen de contraception « le plus abordable, réversible et maîtrisable », observe Sophie Peloux, de l’asbl O’Yes (Organization for Youth Education & Sexuality – anciennement SIDA’SOS)« Elle est aussi un moyen de ne pas juste faire confiance à la fille », renchérit Olivier Mageren. Encore faut-il que les jeunes (ou moins jeunes) hommes se sentent responsables de cet enjeu, car, « naturellement, les filles sont beaucoup plus intéressées par ces questions. Les mecs sont plus orientés plaisir, jouissance, orgasme ».

Dès le plus jeune âge, la contraception est une affaire de femmes. En France comme en Belgique, la prescription de méthodes contraceptives par les médecins leur est quasi exclusivement réservée. Les jeunes femmes ont assez rapidement dans leur vie un contact avec un gynécologue, tandis que « les jeunes hommes, eux, n’ont pas de lieu d’information sur ces questions qui leur sont dédiés », rappelle Caroline Watillon, de la Fédération laïque des centres de planning familial, qui insiste sur la nécessaire évolution du rôle des médecins sur ces questions : « Souvent, il n’y a pas d’anamnèse pour comprendre ce qui convient le mieux à la personne. Il y a un schéma classique : le préservatif au début de la vie sexuelle, la pilule quand on est en couple, le stérilet après avoir eu des enfants jusqu’à la ménopause. Or ce choix, qui dépend des souhaits et des modes de vie de chacun, pourrait être plus varié. »

« Il existe une telle diversité de pénis. Il faut aller en magasin spécialisé, comme au Roi de la capote à Paris, pour trouver une large gamme de produits. » Olivier Mageren, animateur Évras, fondateur de la toute nouvelle association Love Health Center.

« ‘Mon corps, mon choix’ : c’est important et il ne faut pas que ça bouge, insiste de son côté Sophie Peloux. Par contre, il faut tout de même se rendre compte que les femmes sont fertiles quatre ou cinq jours par mois, alors que les hommes le sont tous les jours 24 h/24. Les femmes doivent avoir la main sur leur contraception, mais les hommes, qui sont leurs partenaires fertiles permanents, sont aujourd’hui complètement déresponsabilisés, sur ces questions. »

D’ailleurs, si le préservatif a longtemps été considéré comme un objet masculin et que la charge de son achat semble partagée entre les hommes et les femmes pour la première relation sexuelle, dès qu’il devient un moyen de contraception sur le long cours, ce sont les femmes qui en deviennent responsables. La sociologue Cécile Thomé explique dans une analyse genrée du préservatif(2) que le discours de prévention qui s’est construit dans les campagnes de prévention sida s’est rapidement adressé aux femmes, « déjà considérées comme des ‘agents de santé’ en matière de contraception ». Une responsabilité qui aurait donc contaminé la sphère de la prévention des IST. « Pour la première relation sexuelle, cette charge apparaît partagée entre hommes et femmes, écrit-elle. Mais passé cette première situation […], on remarque une assignation des femmes à la sphère sanitaire et, corollairement, une déresponsabilisation masculine. » Cette charge mentale et logistique « peut s’inscrire dans le cadre du travail domestique ».

« D’ailleurs, quand une fille achète des préservatifs, elle est soupçonnée d’avoir une vie sexuelle active et elle est vite assimilée à ‘une pute’. »

Pour ce qui est de l’achat, ce sont plutôt les jeunes mecs qui s’en chargent, observe de son côté Dr Kpote. « D’ailleurs, quand une fille achète des préservatifs, elle est soupçonnée d’avoir une vie sexuelle active et elle est vite assimilée à ‘une pute’. » L’animateur, qui rédige des chroniques dans le magazine Causette et qui tient un blog sur le sujet, a d’ailleurs demandé à 200 jeunes filles de photographier et publier anonymement le contenu de leur sac à main. Seules 2 % d’entre elles possédaient un préservatif. « Mais certaines m’ont expliqué ensuite qu’elles avaient enlevé les capotes par peur d’être reconnues et jugées. Les regards ne sont pas les mêmes par rapport aux filles et aux garçons. » L’objet change de sens selon la personne qui l’utilise, confirme Cécile Thomé : tandis que le préservatif est banalisé chez les hommes, son utilisation par les femmes reste associée à une sexualité hors couple connotée négativement. Il demeure aussi relié à une image de performance et de domination, et à une sexualité qui se réduit à la pénétration.

Prise de risque et consentement

Le partage de la charge contraceptive est aujourd’hui un enjeu de senbilisation pour les acteurs de prévention et pour les professionnels de la santé en général. « Aux jeunes, je parle du slip thermique et de la vasectomie. Évidemment, ils ne vont pas forcément utiliser ces moyens à leur âge, mais c’est une manière de les sensibiliser, afin qu’eux aussi portent un peu plus cette question de la contraception », explique Dr Kpote. Mais un autre défi se pose : celui du choix et de la prise de risque. Autrement dit, le choix de se protéger ou non. « On peut avoir le droit, en toute conscience, de ne pas vouloir se protéger. Le problème, c’est quand on met la pression sur l’autre. Dans les couples hétéros, ce sont plutôt les mecs qui mettent la pression sur les filles. Je travaille sur cette vulnérabilité des filles dans ce moment, sur cette difficulté à dire non. Dans les couples homosexuels, on retrouve la même vulnérabilité chez les jeunes qui viennent enfin de découvrir une communauté qui les accepte, mais qui subissent également des pressions pour des rapports non protégés venant de mecs plus âgés. » Et Caroline Watillon de conclure : « Le consentement, cela peut aussi être quelque chose de sexy… »

Souvent appelé « préservatif féminin », le préservatif interne peut aussi être utilisé par des hommes en cas de rapports sexuels anaux. Il est peu connu, peu accessible et plus cher que son homologue, le préservatif « externe ». « On n’en fait généralement pas la promotion, on en parle plutôt négativement, explique Sophie Peloux, de l’asbl O’Yes. Or il peut être chouette pour certains : il peut être placé à l’avance, il ne serre pas le pénis et permet donc d’éviter cette peur de débander chez certains hommes, et il peut être utilisé pour plusieurs rapports sexuels avec la même personne pendant huit heures. C’est vrai qu’il peut faire un peu de bruit (l’un des principaux griefs à son encontre serait le son qu’il produirait, celui d’un sac plastique ou un « floutch floutch », selon les dires des utilisateurs, NDLR), mais le but est alors… de faire plus de bruit que lui ! »

Vasectomie : un choix tranché

Ils s’appellent Guillaume, Nicolas et Christophe. Ils ont un point commun, celui d’avoir choisi d’être vasectomisés. Pour Alter Échos, ils témoignent de leur expérience.

 

A écouter. Podcast :  Choisir et après… 
En 2010, un an après la naissance de mon deuxième enfant, je me suis fait vasectomiser. Comme mon frère avant moi et notre père avant nous, mais sans concertation. Une coïncidence. Et un sujet de conversation comme un autre, si bien qu’à défaut de faire des petits, j’ai fait un émule. Dans ses pas, j’ai retrouvé des questions, j’en ai découvert d’autres, autour d’un choix de vie posé un jour en toute bonne foi, mais pas en toute connaissance de cause.Un documentaire de Dimitri Merchie à écouter ici 

À la pêche aux boules

Le 4 février dernier se déroulait « Focus sur les couilles », premier colloque belge sur la contraception masculine, suivi d’un salon sur ce qui se fait en la matière. Sens en éveil, on s’est baladé entre les stands. Et on y a rencontré des femmes lassées d’avaler seules la pilule et des hommes qui en ont autant dans la tête que dans le caleçon.

Si tous les projecteurs étaient mis sur les « couilles » lors de ce premier colloque grand public consacré à la contraception dite masculine, on ne peut pas dire que la salle du théâtre Molière dégageait beaucoup de testostérone… À vue d’œil : 80 % de femmes assistaient à l’événement.
« Tu vois, les hommes s’en moquent de la contraception… C’est toujours pour notre pomme ! », m’apprêtais-je à dire à ma voisine. Mais c’était avant de me rappeler que ce public reflétait la répartition dans les métiers du social, de l’éducation et de la santé, majoritairement féminins. Et surtout avant d’observer un renversement de situation sur les coups des 17 h rétablissant une parité tant espérée.

Les organisateurs de l’événement – l’asbl O’Yes (ancien Sida’SOS) – ont eu la bonne idée de poursuivre les tables rondes de l’après-midi par des stands d’information et des ateliers présentant ce qui existe de concret en matière de contraception masculine. Du « concret », le mot clé de cet afterwork atypique. « Concrètement, qu’est-ce qui existe ? »« Concrètement, comment ça marche ? », sont les questions qu’on a le plus entendues lors de notre déambulation. Question public, sans statistiques précises, l’âge moyen ne devait guère dépasser les 35 ans – les militants de la première heure derrière les stands faisant légèrement monter la moyenne. Aucun « boomer » en vue… Pourtant « public-cible » de la vasectomie. Mais de vasectomie, seul moyen de contraception, avec le préservatif, accessibles aux hommes aujourd’hui en Belgique, il n’en était plus vraiment question lors de cette seconde partie de journée. Ici, la place est faite aux modes « alternatifs », et encore très marginaux, de contraception.

Les pirates de la contraception

Première halte à ce qui ressemble à un atelier de couture. Petites chaussettes colorées sur la table, bandes élastiques bigarrées et deux Singer qui piquent et repiquent. « L’idéal est de trouver des chaussettes de bébé en jersey taille 24 », entends-je, suscitant ma curiosité immédiate. C’est Christian qui parle, quinqua au pull marin. Il fait partie du collectif « Thomas Boulou », tout droit venu de Quimper. Thomas, de Tomma, en breton, signifiant chauffer. Et boulou, on vous laisser deviner. Ces gaillards fabriquent des slips chauffants, des « boulocho » dans leur jargon. Le principe : un slip composé d’un anneau en tissu dans lequel glisser le sexe. Il permet de remonter les testicules, de les plaquer contre le corps, engendrant une hausse de la température qui freine la production de spermatozoïdes. « Il faut le porter 15 heures par jour et le procédé est efficace au bout de trois mois. Ce qui se vérifie par la réalisation d’un spermogramme tous les trois mois. Ce procédé contraceptif est réversible », explique Christian aux jeunes hommes intéressés. Et de leur répéter, tout de même : « Fais gaffe, c’est pas toi qui prends le risque ! » Des prototypes sont présentés sur la table. Des jockstraps (suspensoirs, en français), pour la plupart, qui laissent les fesses à l’air (et peuvent s’accommoder d’un boxer par-dessus). Le tout fabriqué en tissus de récup (et c’est ici que les chaussettes de bébé en jersey interviennent « parce que la taille et la matière sont pile-poil pour les anneaux ») et selon les principes du Do It Yourself. Modèle star : un soutien-gorge en dentelles détourné en caleçon façon porte-jarretelles.

« Ça fait un an et demi qu’on a lancé cet atelier inspiré par les remonte-couilles toulousains créés dans les années septante. Il est ouvert aux hommes et aux couples. Au départ, on avait une personne tous les mois, maintenant, on est bien à deux-trois personnes par atelier », explique notre pirate de la contraception, tout en restant concentré sur sa machine à coudre. Décidément, les Boulou troublent le genre.

Interroger la masculinité

Thomas, trentenaire, attend le slip que Christian est en train de lui confectionner. « Je me pose depuis deux ans des questions sur le sujet et j’ai envie de soulager ma compagne qui prend des hormones », explique-t-il, ravi d’avoir trouvé enfin des informations. Et l’objet tant convoité. Mais que va-t-il en faire ? « Maintenant que je peux le tester et que j’en ai un, je vais faire une vidéo Facebook et diffuser l’information à mes amis. »

« Notre idée, avec ce collectif, est de défendre l’autonomie, le partage de la contraception. Il est temps que les garçons prennent leurs responsabilités », poursuit Christian. Mais leur démarche dépasse la question contraceptive. « C’est aussi l’occasion de parler de nos comportements, de nos irresponsabilités, dans la vie affective et sexuelle en général. On organise par exemple des ateliers sur la violence des hommes. On remet en question notre masculinité. »

Quentin, infirmier dans un centre de planning, a lui aussi commandé son slip chauffant. « Je vais l’utiliser dans mon travail. Je trouve ça intéressant de montrer qu’il existe un possible. Dans l’EVRAS (éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle, NDLR), tu as soit la contraception mécanique, soit l’hormonale… Et c’est toujours très féminin. Ici, on voit autre chose… Et c’est aussi un moyen d’interroger la masculinité hégémonique. » Ces messieurs semblent avoir tendu l’oreille aux féministes. C’est une bonne nouvelle.

Haro sur les hormones

Un peu plus loin, Maxime Labrit ne craint pas les crampes aux zygomatiques. Cet infirmier libéral a toujours le même enthousiasme que durant son speech de l’après-midi sur la scène du théâtre. Son truc à lui, c’est l’anneau pénien thermique. Qui visiblement ne lui réchauffe pas que les bijoux puisque l’homme se balade pieds nus dans un lieu plutôt glacial… Il a développé un modèle en silicone, l’a fait breveter et le vend sur place (37 euros). Il en fait la démo, sur un pénis violet en caoutchouc.

 

« J’avais envie de me contracepter, d’avoir un autre choix que le préservatif ou la ‘vasec’. Et de trouver des méthodes naturelles contre le corps capitalisé », explique cet altermondialiste du slip. Car la contraception dite masculine, telle qu’elle est défendue par tous les invités, est aussi anticapitaliste et écolo. Les ateliers « contraception mutualisée » pleins à craquer à l’étage abordent d’ailleurs les contraceptifs sans hormones.

« Mais tu fais l’amour avec ? », lui demande une jeune femme très intéressée par le dispositif « pour son copain qui n’a pas pu venir. » « Tu peux le garder en sex-toy », répond, très chill, Maxime. Une dame, la soixantaine, regarde attentivement les anneaux disposés sur la table. « J’espère qu’il y a plusieurs tailles, mon fils ne saura jamais entrer là-dedans ! », lâche-t-elle dans un éclat de rire.

La porte de la cabine d’essayage s’ouvre. Julien en ressort les joues un peu rougies. Convaincu ? « Je garderai les préservatifs pour les partenaires pas stables. Si je suis pas en couple, je porterai pas ce truc. » Une amie qui l’accompagne s’interroge : « La contraception, c’est une charge, oui. Mais aussi une liberté ! On se protège des MST avec le préservatif mais je double aussi avec la pilule parce que c’est quand même les femmes qui tombent enceintes ! » Une jeune femme à ses côtés opine du chef : « Faut aussi penser aux risques que l’on court si on n’est plus contraceptée, et à la liberté qu’on peut perdre, si on a plusieurs partenaires par exemple. » Elle glisse une idée à son compagnon : « On pourrait alterner stérilet puis anneau thermique ? »

On ne combat pas les inégalités et on ne bouleverse pas les représentations millénaires en quelques coups d’aiguilles. Mais l’idée fait son chemin, des ateliers de couture du Finistère aux plannings familiaux de Bruxelles… Et ce soir, c’est certain, les langues se sont déliées. Et la virilité s’est pris quelques coups (de boule).

Ressources documentaires et poster téléchargeable

Sites web & Analyses

O’Yes, Focus sur les couilles

Grande enquête – Contraception 2017, Solidaris, Fédération des centres de planning familial des Femmes prévoyantes socialistes.

Contraception masculine : à la découverte de la vasectomie, analyse des FPS, 2018

Vidéos

Autrement, la contraception masculine, BX1

Contraception masculine, vous connaissez ?, Libres, ensemble

Podcasts

Contraception masculine : et si on partageait plus que du plaisir ?, France culture

Contraception masculine, au tour des hommes, Les couilles sur la table

Choisir et après, un documentaire de Dimitri Merchie sur la vasectomie

Poster pédagogique téléchargeable

Alter Échos