Dernière halte sur l’autre rive de la Meuse, dans le quartier Naniot-Molinvaux, situés à la lisière d’Ans, pour rencontrer le dernier-né de la lutte contre la bétonisation, le Collectif Nalvaux. Des effluves de crêpes parfument la terrasse. L’école est en grève, alors les enfants se régalent chez les grands-parents. La maison, sous le soleil, a des airs d’agriturismo toscan. Mais ce ne sont pas les collines de cyprès qu’on découvre en hauteur, une fois traversé le jardin-potager en plateaux, mais une ancienne zone de maraîchage dont il ne reste que quelques serres laissées à l’abandon. À gauche, le terril Sainte-Barbe, dont la sauvegarde en zone naturelle a fait l’objet d’une lutte acharnée dans le passé. En bas, la rue Molinvaux. Et droit devant, une maison imposante trône, suzeraine, au milieu d’un terrain envahi par les hautes herbes. C’est sur cette zone escarpée que pourrait bientôt apparaître un complexe immobilier contre lequel le collectif Nalvaux se mobilise. «Là, c’est la coopérative maraîchère bio. Là, tu as l’écohabitat, et là, le parc de la diversité, et là, le parc de la biodiversité, un espace à la fois récréatif et formatif, et là encore, une Maison de l’environnement, de la solidarité et de la participation.» Étienne Hublart, l’un des fondateurs du collectif, s’imagine déjà le projet alternatif envisagé avec les habitants sur ce site, pour l’instant couché sur papier.
En mai 2019, une demande de permis est introduite pour la construction de 11 maisons unifamiliales, d’un immeuble de quatre appartements et d’un immeuble de 23 appartements sur une parcelle de 10 % de la surface totale. Les habitants ne sont pas dupes. Renseignements pris chez les collectifs de la région, ils comprennent que cela pourrait constituer la première phase d’un projet immobilier de beaucoup plus grande ampleur. Ils les ont vus, ces dernières années, les logements Matexi pousser comme des champignons non loin de là autour du terril, les immeubles remplir les dents creuses de la rue des 14 Verges en contrebas, ainsi que les premiers logements d’un nouveau quartier sortir de terre à côté de la Cité Lonay d’Ans. Pression automobile, nuisances sonores et pollution, risque accru d’inondations, perte de visibilité et de luminosité pour les riverains du projet immobilier font partie de leurs craintes. Mais d’emblée, ils inscrivent leur combat dans une perspective plus large : la défense de l’environnement et de la biodiversité, la promotion de projets agricoles en bio et des circuits courts, la lutte contre le réchauffement climatique, la nécessité de penser un habitat qui favorise le lien social et la protection d’un espace faisant partie de l’âme du quartier. Ils récoltent plus de 3.000 signatures lors de l’enquête publique – la demande de permis est rejetée en février 2020.
Le problème est que ces terres ont été classées par la Wallonie comme une zone d’habitat et qu’elles appartiennent à des propriétaires privés. Elles ont donc une valeur bien supérieure à celle des terres agricoles. Soutenu par l’asbl Financité, le collectif réfléchit à la création d’une coopérative foncière qui achèterait ces terres afin d’assurer la réalisation de son projet alternatif : : «L’idée est de travailler sur une formule qui apparente l’investissement à un placement sur un carnet d’épargne. L’objet social serait limité à la gestion du patrimoine foncier. On pourrait garantir que l’argent puisse être récupéré dans la semaine par les personnes qui l’ont placé, à condition que ce ne soit pas de trop grandes sommes. Un fonds de réserve serait nourri, entre autres, par la vente d’un hectare pour l’écohabitat solidaire», explique Étienne Hublart. Soutenu par l’asbl Financité, le collectif est prêt à lancer un large appel au financement. Avec le soutien de la Ville ? «Le collège communal a rejeté la demande de permis de bâtir. C’est déjà une bonne chose. Pour le reste, la Ville se positionne comme un intermédiaire comptable et désargenté entre les citoyens et les promoteurs, entre bien commun et intérêts privés», ajoute-t-il. Dans ce bout de campagne à la ville, on compte les uns sur les autres. Et le Covid a même resserré les rangs. « On a une histoire assez collective dans le quartier, de solidarité et de lutte. On est comme le village d’Obélix», résume Étienne Hublart.
Et si tout ne finira peut-être pas par des chansons, les récits des luttes de ces valeureuses troupes mobilisées aux quatre coins de Liège survivront sans aucun doute au béton.
Liège téméraire et pionnière
Liège concentre un grand nombre de collectifs, si bien qu’une coordination liégeoise d’Occupons le terrain a été mise sur pied. Comment expliquer l’engouement? Parce que le Liégeois est de nature fier? Parce qu’il a toujours résisté à l’envahisseur? Parce que la Cité ardente a une histoire de lutte ouvrière et syndicale? Parce qu’elle est particulièrement sujette aux appétits économiques et aux grands projets inutiles? Chacun se racontera l’histoire qu’il voudra. «La vivacité des collectifs s’explique notamment par le fait que tout le monde se connaît et connaît assez bien les territoires concernés, ce qui n’est pas forcément le cas dans des régions plus étendues comme la province de Luxembourg», avance Steve Bottacin, animateur en transition écologique et économique au sein de l’asbl Barricade, lieu de débat et d’émulation collective, qui a, pionnière, dès 2016 impulsé l’idée de fédérer ces citoyens en lutte.«Nous avons voulu rassembler les citoyens mobilisés pour défendre des espaces verts, donner la parole à ces collectifs afin qu’ils se rencontrent, partagent leurs expériences et leurs outils plutôt que de réinventer l’eau chaude chacun dans son coin, explique-t-il. Il est important aussi de transmettre des luttes urbaines victorieuses.» Comme celle du site de Favechamps, il y a 30 ans: quatre hectares de prairies et une ferme menacés fin des années nonante par la construction de villas de luxe par le groupe français Bouygues… Dix années d’actions plus tard, Favechamps est devenu un site classé, un lieu de promenade et un bien commun sauvé des griffes de la privatisation. La preuve que le pot de terre parfois l’emporte. En savoir plus sur le site de Barricade.