De justesse. Quand Simon* prend le téléphone ce soir-là pour dire à sa fille que c’est terminé, qu’il n’en peut plus, qu’elle ne le reverra plus jamais, la corde est prête… «Elle a pleuré, raconte-t-il aujourd’hui. Elle m’a dit qu’elle m’aimait et moi aussi j’ai pleuré… J’ai pleuré et ça m’a fait réfléchir.» Dans la nuit, sa fille déniche sur internet les coordonnées d’Agricall, «une association qui s’occupe des agriculteurs en détresse». Simon prend contact dès le matin. «Ça n’a pas été facile, reconnaît-il. J’ai dû prendre mon courage à deux mains…» En plus de ses vaches, il avait repris celles de ses parents quand ils ont cessé leur exploitation. «On est monté jusqu’à 240 bêtes, dit-il. On a agrandi, on a investi dans une nouvelle étable, des caillebotis, des stabulations paillées, une nouvelle salle de traite…» Huit millions de francs belges à l’époque et surtout beaucoup de travail, beaucoup de frais, pas assez de nourriture, pas assez de paille. Et de nombreuses nuits sans dormir. Disputes dans le couple, dépression, tentative de suicide, Simon a pu parler de tout cela au psychologue qu’Agricall a rapidement dépêché chez lui, avant de se pencher sur de possibles solutions.
Des voyants dans le rouge
En 2002, une recherche exploratoire menée par l’Université de Liège montrait que 31% des agriculteurs wallons sondés souffraient d’un niveau de stress élevé et que 29% d’entre eux présentaient un état d’épuisement professionnel. Des chiffres supérieurs à ceux que l’on pouvait trouver dans d’autres professions, dans les secteurs en restructuration, le milieu bancaire, la police ou l’enseignement par exemple. Selon cette étude, les principaux facteurs de stress étaient les problèmes financiers, la charge administrative et les tensions familiales dues à la superposition de la vie privée et de la vie professionnelle. Bref, un métier à haut risque. C’est dans un contexte de prévention des accidents de travail et des maladies en agriculture que la cellule de soutien psychosocial Agricall a démarré. Laurence Leruse y travaille depuis sa création. Psychologue, elle en est aujourd’hui la coordinatrice. «Le service a été créé à l’époque de la maladie de la vache folle, dit-elle. On s’attendait que les appels soient liés à cette problématique-là, à des symptômes apparentés à du stress post-traumatique causé par l’abattage du bétail, mais c’est une souffrance plus globale dont les gens nous ont témoigné.» Une souffrance diffuse, dont les causes n’étaient pas toujours identifiées par les victimes elles-mêmes.
Si parler de ses difficultés à quelqu’un fait du bien, cela ne résout pas pour autant tous les soucis, financiers notamment. D’hier à aujourd’hui, Agricall a étoffé ses services: accueil téléphonique et soutien, conseils et renseignements, consultations psychologiques, audit financier, aide juridique, médiation de dettes… Des ressources vastes et complémentaires, à la mesure des problématiques rencontrées.
* Prénom d’emprunt.