Les silhouettes se dessinent dans la vaste prairie à l’horizon boisé. Trois adolescents avancent d’un pas prudent. À leurs côtés, Valérie Degauquier, cofondatrice et coordinatrice de l’asbl Animae Mundi, et Sophie, sa collaboratrice du jour. «Pour commencer, on va trouver un endroit où on parvient à bien les observer», lance Valérie. Plus loin, en contrebas, une dizaine d’ânes et quelques mini-poneys broutent paisiblement au soleil. «On va s’arrête ici, poursuit Valérie. D’ici, on les voit et ils nous voient.» Il n’en faut pas plus pour que les premiers ânes, hardis, s’approchent et pointent le bout de leur museau. Jean, l’un des adolescents, les rejoint, tendant la main vers le premier venu. Grégory hésite. Max, lui, reste en retrait. «Les ânes sont très curieux et très envahissants», explique Valérie. «Ils sont aussi très câlins», ajoute Sophie en caressant délicatement l’encolure de l’âne gris aux yeux cerclés de blanc venu se frotter contre elle. En l’espace d’un instant, un attroupement d’une dizaine d’ânes s’est immiscé parmi les visiteurs. Les accompagnatrices, toutes deux formées en médiation animale (voir encadré), rappellent quelques consignes de sécurité et d’approche en douceur: laisser venir l’animal, ne pas se placer derrière lui, marquer ses limites s’il se montre trop intrusif… Elles vont progressivement «dessiner un cadre de sécurité au sein duquel la spontanéité va venir s’installer», partage Valérie, non sans redoubler d’attention, prête à intervenir au besoin.
Dans un premier temps, il s’agit de maintenir les distances pour laisser l’interaction se créer. «Dites-vous qu’ici on est chez eux, c’est nous qui venons occuper leur espace», souligne Sophie. «Leur espace», cette prairie, c’est celle des Poilus du Blé, à Wavre. Ce refuge fait partie des partenaires d’Animae Mundi. Il met à disposition son lieu et ses animaux pour que Valérie puisse y proposer des ateliers en médiation animale. «Les poilus qui sont ici, ce sont des rescapés, raconte Valérie aux jeunes. Ils ont été maltraités ou abandonnés. Ici, ils sont soignés et retapés, avant d’être accueillis dans une nouvelle famille.»
Quand la magie opère
Les trois jeunes sont ensuite invités à choisir un âne, à le regarder droit dans les yeux et à lui donner un nom, «pour que la relation s’installe», précise Valérie. Ils s’exécutent. Jean jette son dévolu sur un âne blanc, qu’il baptise Albert. L’âne de Max se prénommera Kevin. Celui de Grégory, 2Pac «comme le rappeur», précise-t-il. Les ânes se laissent approcher, les gestes des adolescents sont de plus en plus confiants.
Valérie propose ensuite aux ados de s’éloigner d’une dizaine de mètres, pour appeler leurs ânes. «On va voir si le lien invisible que vous venez de créer se poursuit.» La magie opère: les animaux choisis rejoignent leurs nouveaux comparses du monde humain. L’un hésite. «Essaie de l’attirer à toi.» Les liens se tissent, en douceur. Les jeunes sont également conviés à s’asseoir par terre, pour prendre un goûter. Une façon détournée de renverser la position dominante. Valérie explique: «Assis, on représente moins une menace pour eux. On se met plus bas qu’eux, on est sans défense et on ouvre la porte à la rencontre, tout en restant vigilants.» Les deux accompagnatrices veillent à éloigner les ânes envahissants et ainsi, à rassurer les jeunes. Au départ sur ses gardes, Max finit par se détendre.
Plus tard, Jean, Grégory et Max partent à la rencontre des mini-poneys restés en contrebas de la prairie. De prime abord désintéressés, ces animaux-là se montrent plus distants. L’occasion pour les ados de comparer comment les relations se nouent, différemment, d’un animal à l’autre. D’une voix sereine, Valérie diffuse ses conseils. «Pour ne pas les brusquer, avancez doucement, utilisez votre capacité d’observation, votre regard, puis seulement vos mains…» La patience est payante, les poneys acceptent même d’être brossés. Sauf un… Malgré les tentatives répétées des jeunes, l’animal ne se laissera pas approcher aujourd’hui. Il détourne la tête, recule de quelques pas et finit par s’éloigner en courant, la crinière au vent, pour se réfugier ailleurs, bien à l’écart du groupe. «Il vous montre là, tout en souplesse, qu’il n’a pas envie d’une rencontre, sourit Valérie à l’adresse des trois jeunes. Une belle démonstration de ce qu’est la liberté de choix, tout comme dans le monde humain.»